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L’entreprise à mission: une réelle opportunité

Le courrier des lecteurs|Publié le 03 juin 2021

L’entreprise à mission: une réelle opportunité

(Photo: Israel Andrade pour Unsplash)

COURRIER DES LECTEURS. Alors que nous soulignons le 10e anniversaire de la Loi sur les sociétés par actions, le Parti libéral du Québec a présenté le projet de loi 797 le 26 mai dernier. S’il était adopté, ce projet de loi verrait le Québec rejoindre la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, qui ont déjà modifié leur législation pour y intégrer l’entreprise à mission. Organisation hybride, l’entreprise à mission est une société par actions ayant une double mission inscrite: lucrative et sociale. 

Le projet de loi 797 s’inspire du modèle de la Benefit Corporation, qui a été adopté par plus de trente États aux États-Unis depuis 2010. L’entreprise à mission comporte trois principales caractéristiques. Premièrement, dans les statuts constitutifs, la société doit s’engager à exercer ses activités de façon responsable et durable et à promouvoir un ou plusieurs intérêts sociaux identifiés. Deuxièmement, les administrateurs doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, concilier leurs obligations de prudence, diligence et loyauté avec celle de veiller à ce que la société exerce ses activités de façon responsable et durable et qu’elle promeuve les intérêts sociaux inscrits aux statuts. Troisièmement, l’entreprise à mission doit produire un rapport annuel d’intérêt social présenté aux actionnaires qui évalue la performance de la société en lien avec la réalisation des engagements souscrits aux statuts en fonction d’une norme d’intérêt social. Contrairement à la certification volontaire B. Corp. qui a gagné en popularité au cours des dernières années notamment au Canada et au Québec, l’entreprise à mission est balisée par des normes plus fermes qui confèrent une effectivité aux engagements sociaux énoncés. 

L’entreprise à mission propose aux PME et aux grandes entreprises un véhicule juridique qui leur permet de s’engager pleinement dans un capitalisme responsable réclamé depuis nombre d’années. Même si le droit canadien offre déjà un modèle de gouvernance flexible qui n’est pas strictement axé sur la maximisation de la valeur actionnariale, l’entreprise à mission permettrait d’aller plus loin en signalant et sécurisant l’engagement dans la poursuite d’objectifs sociaux. En ce sens, le projet de loi doit être salué d’autant qu’il répond à des aspirations des milléniaux. 

Pour atteindre l’objectif poursuivi, le projet de loi 797 devrait comporter des exigences additionnelles pour assurer la sincérité de l’entreprise à mission et éviter toute instrumentalisation qui lui serait fatale. L’encadrement devrait notamment prévoir les éléments suivants :

  • Une indication du statut d’entreprise à mission dans la déclaration au Registre des entreprises du Québec ;
  • Une désignation identifiant cette forme de sociétés par actions ;
  • Un balisage de la déclaration de dividendes et du rachat des actions ;
  • Un double contrôle de la mission et du suivi des objectifs : en interne par un comité du CA et en externe par l’intervention d’un organisme tiers ;
  • Un recours judiciaire spécifique pour assurer la mise en œuvre des obligations des administrateurs et des dirigeants. 

Du reste, pour les sociétés cotées en bourse, les événements entourant le départ du président du conseil et directeur général de Danone, Emmanuel Faber, suggèrent que la migration vers l’entreprise à mission nécessitera une réflexion globale sur la gouvernance pour s’assurer que les CA disposent de l’appui des actionnaires dans la poursuite des missions identifiées. 

Une réforme du droit pour consacrer l’entreprise à mission est plus que pertinente à l’heure actuelle. Le Québec ne peut se passer d’une telle forme de société par actions. Les enjeux économiques, financiers, politiques et sociaux sont trop importants. Nous saluons donc la présentation du Projet de loi 797 qui permet d’amorcer la discussion dans les sphères législatives et gouvernementales.

 

Un texte de Stéphane Rousseau, professeur titulaire de la chaire en gouvernance et droit des affaires de la Faculté de droit de l’Université de Montréal et d’Ivan Tchotourian, professeur agrégé et codirecteur du Centre d’études en droit économique de la Faculté de droit de l’Université Laval