La quarantaine observée grâce aux données cellulaires en Alberta
La Presse Canadienne|Publié le 09 avril 2020« On veut savoir si cette personne se trouve véritablement confinée à la maison et qu’elle y reste.» (Photo: 123RF)
Une experte en protection des renseignements personnels estime que le projet du gouvernement albertain d’utiliser les téléphones intelligents pour faire respecter les quarantaines devrait être accompagné d’un échéancier précis et de détails clairs sur la façon dont ces données seront traitées.
Ce projet de « géolocalisation » des citoyens fait partie d’une « stratégie de redémarrage » annoncée par le premier ministre Jason Kenney dans un discours à la nation, mardi soir à la télévision, pour relancer, lorsque la COVID-19 sera sous contrôle, une économie albertaine déjà mal en point.
« J’ai été clair sur notre intention de tirer des leçons des États qui ont eu du succès comme Taïwan, Singapour et la Corée du Sud afin de pouvoir relancer rapidement notre économie », a déclaré M. Kenney à l’Assemblée législative mercredi.
« Notre stratégie de relance implique, en partie, l’utilisation restreinte et appropriée d’applications mobiles pour les individus qui font l’objet d’un ordre d’isolement », a-t-il ajouté.
Jason Kenney s’est servi de l’exemple d’une personne qui arrive en Alberta depuis un pays où l’épidémie est toujours active.
« On veut savoir si cette personne se trouve véritablement confinée à la maison et qu’elle y reste. Et si ce n’est pas le cas, il faut pouvoir retrouver cette personne avant qu’elle ne propage le virus », a plaidé le premier ministre.
Sharon Polsky, présidente du Conseil du Canada de l’accès et la vie privée, admet que la plupart des Canadiens comprendraient le bien-fondé de l’utilisation des applications pour téléphones intelligents afin de s’assurer que les directives de quarantaine sont respectées pendant une crise majeure de santé publique.
« Mais les Canadiens seraient, je pense, beaucoup plus enclins à faire confiance à ces atteintes à la vie privée s’ils avaient la certitude que ces mesures temporaires auraient une date de péremption », a-t-elle déclaré mercredi. D’autant que des mesures d’urgence peuvent toujours être renouvelées au besoin, rappelle la spécialiste.
Une grande transparence
Mme Polsky soutient que les gouvernements doivent également être transparents quant à ceux qui colligent et traitent les renseignements personnels, la façon dont ils sont utilisés, l’endroit où ils seront stockés et qui aura accès à ces informations. « Sans cette transparence, les gens se méfieront, à juste titre. »
Mme Polsky rappelle d’ailleurs comment les gouvernements occidentaux étaient scandalisés de voir la Chine surveiller ses citoyens de cette manière alors que l’épidémie se propageait là-bas, en janvier et février. La Corée du Sud, Singapour, Taïwan et plusieurs autres gouvernements ont eux aussi largement utilisé cette technologie des téléphones intelligents pour suivre les mouvements des personnes et contenir le coronavirus.
« Il est malheureusement si facile de sauter dans un train en marche : si cela a fonctionné quelque part, utilisons-le ailleurs, y compris au Canada », a admis Mme Polsky.
Dre Ameeta Singh, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital Royal Alexandra d’Edmonton, s’attend à ce que la majorité des gens respectent les ordres d’isolement, mais ce n’est pas toujours le cas.
« Pour être honnête, je ne croyais jamais qu’une telle stratégie pourrait être considérée au Canada, mais parfois de telles mesures peuvent être nécessaires dans l’intérêt de la santé publique », admet Dre Singh qui enseigne également à l’Université de l’Alberta.
Jason Kenney a indiqué mardi dans son allocution que les restrictions visant à ralentir la propagation du nouveau coronavirus devaient se poursuivre; les restrictions sur les rassemblements publics devraient durer jusqu’en mai, a-t-il prédit.
Après cela, l’Alberta mettra en place un certain nombre de mesures visant le double objectif de relancer l’économie et de contenir l’épidémie, a-t-il annoncé. Ces mesures doivent comprendre un dépistage massif — jusqu’à 20 000 tests par jour — et un traçage étendu des sources d’infection. Le contrôle et la mise en quarantaine des visiteurs étrangers doivent aussi être rehaussés.
M. Kenney a également indiqué que l’Alberta encouragera l’utilisation généralisée des masques dans les espaces bondés, comme les transports en commun.
En conférence de presse mercredi, il en a ajouté en disant que les Albertains avaient le choix entre rester confinés pour des mois ou permettre au gouvernement d’utiliser la technologie pour repérer les récalcitrants.