La fin des «success stories» des start-ups nées dans un garage?
Philippe Meloni|Publié le 11 mai 2020(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. En fait, cela ne fait pas très longtemps qu’il est possible pour un individu (et possible ne veut pas dire facile) de concurrencer de grandes entreprises.
Avant l’informatique et après le début de l’industrialisation, pour concurrencer une industrie, il fallait des moyens industriels. Il était donc impossible pour un individu sans une immense fortune de concurrencer un industriel. Il n’y a qu’à voir aujourd’hui les difficultés d’Elon Musk, malgré ses ressources considérables, à se faire une place dans l’industrie automobile.
Ce qui a permis à un petit génie comme Elon Musk de conquérir le monde depuis son garage, c’est qu’avant, il «suffisait» d’avoir une idée géniale, de pouvoir se payer un ordinateur et d’avoir du talent, du courage et de la persévérance à revendre. C’est ainsi qu’il a créé PayPal et démarré sa fortune.
Aujourd’hui, dans le monde des technologies de l’information, espérer créer le nouveau PayPal, Amazon ou encore Facebook sans y intégrer de l’intelligence artificielle me paraît relever du voeu pieux, et c’est là où le bât blesse.
Le problème, c’est que pour faire de l’intelligence artificielle, il faut des données, beaucoup de données. Oui, mais beaucoup, c’est combien? Cela dépend de ce que l’on veut faire, mais le besoin d’un million d’enregistrements n’est pas rare. Un enregistrement, c’est un ensemble d’informations comme par exemple, que vous avez partagé ce post sur Facebook. C’est avec ces données que l’on va pouvoir entraîner des modèles. Une fois le modèle entraîné, il sera alors possible de l’utiliser dans nos applications.
Suite à de nombreux abus des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), l’Europe en premier a légiféré. Le résultat est le Règlement général sur la protection des données (RGPD). À première vue, on pourrait se dire qu’enfin, nos données vont être protégées, mais comme toujours, il y a plusieurs points de vue.
Effectivement, cette loi a des dents : les amendes administratives peuvent atteindre jusqu’à 10 000 000 d’euros pour une entreprise et jusqu’à 4% de son chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent.
Je ne vais bien entendu pas reprendre l’ensemble des dispositions, mais parlons de certaines du point de vue d’une petite organisation: le consentement «explicite» et «positif» ainsi que le «droit à l’oubli» pour utiliser l’ensemble des données compilées.
Pour chacune des données collectées, il faut préciser l’usage que l’on va en faire et conserver l’acceptation explicite pour cet usage. En gros, conserver dans ses bases de données que monsieur X a accepté tel jour à telle heure que l’on utilise ses données pour tel usage précis. Mais souvent, on ne sait pas encore ce que l’on va vouloir faire précisément d’une donnée avant d’avoir commencé à les accumuler.
De plus, dans le formulaire, on ne peut pas précocher une case pour faciliter le travail de l’utilisateur. Et, une fois tout cela fait, je simplifie, on ne peut pas garder les données plus de 3 ans.
Nombre de petites organisations risquent donc de ne jamais pouvoir accumuler suffisamment de données pour réussir à entraîner leurs modèles alors que pour les GAFA, accumuler ces mêmes données peut être une histoire de quelques jours.
Alors oui, le RGPD et probablement bientôt les lois au Canada, seront des cailloux dans la chaussure des GAFA, mais cela risque en même temps d’être les outils qui vont les protéger de la petite start-up qui pourrait vouloir venir marcher sur leurs plates-bandes.
Comme la loi antipourriel qui devait nous protéger contre le raz de marée de courriels inutiles et qui, au final, n’a fait qu’empêcher nos petites entreprises de pouvoir communiquer avec leurs futurs clients sans empêcher le reste du monde de le faire.
Je crois que si l’on ne veut pas tuer la poule aux œufs d’or, il serait temps de faire des lois à géométrie variable en fonction de la taille de l’entreprise pour que demain, d’autres petits génies inventent le prochain Facebook.
Ce qui me rassure, c’est que le «California Consumer Protection Act» semble intégrer mieux la dimension de l’organisation. Espérons que nos gouvernements sauront s’en inspirer!