Avant DL Freight, plus de 70% des factures étaient contestées. Désormais, cette contestation représente moins de 1%.
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
Le marché des cryptomonnaies accapare l’attention, mais la technologie du registre distribué permet aux plus grandes entreprises du monde de réaliser de gigantesques économies et gains d’efficience. Démonstration avec la branche canadienne du géant de la grande distribution.
Dépassé le stade de preuve de concept, de projet pilote, de test à taille réduite. La chaîne de blocs permet bel et bien de rendre la vie plus simple aux entreprises. Cet enseignement ressort de façon claire du nouveau classement international Blockchain 50 du magazine Forbes. S’y dresse l’inventaire de grosses sociétés (1 milliard de dollars de ventes ou de capitalisation boursière) recourant le plus largement à la technologie du registre distribué. Détail notable, aucun nom de compagnie canadienne n’apparaît dans cette sélection où prédominent depuis quatre ans les acteurs industriels des États-Unis, entourés de nombreuses entités chinoises.
Sans surprise, la finance s’impose toujours comme le plus grand domaine d’application (pas de chaîne de blocs fonctionnelle sans l’invention de Bitcoin, argumenteront les puristes). Les applications technologiques comme l’équipement informatique, les logiciels, les médias sociaux ou Internet, arrivent en deuxième position, suivies par les vastes efforts visant à améliorer les processus de la chaîne d’approvisionnement. «Le procédé est devenu vital pour les chaînes d’approvisionnement, qu’il s’agisse de vérifier la provenance des minerais comme le cobalt ou de suivre les pièces automobiles», notent à ce propos les auteurs.
Cas pratique
Pour en juger, prenons-en pour exemple le succès rencontré par Walmart Canada. «Son système a montré que la technologie peut générer des gains opérationnels et financiers importants et améliorer les relations avec les fournisseurs», expliquent quatre commentateurs spécialisés dans un article conjoint pour la Harvard Business Review.
Kate Vitasek, membre de la faculté d’enseignement supérieur de l’Université du Tennessee, John Bayliss, vice-président exécutif et directeur de la transformation chez Walmart Canada, Loudon Owen, PDG de DLT Labs, une société de logiciels de gestion de données, et Neeraj Srivastava, directeur de la technologie de DLT Labs, isolent cinq principes expliquant comment le groupe de grande distribution est parvenu à résoudre le «cauchemar logistique» de la coordination des transporteurs de fret.
L’industrie du transport souffre depuis des décennies d’un véritable chaos dans le processus de facturation et de paiement. Orchestrant plus de 500 000 «voyages» par an, l’enseigne a donc élaboré un réseau blockchain automatisant la gestion des factures et des versements auprès de 70 transporteurs tiers, en plus de sa propre flotte. «Ce qui a pratiquement éliminé le problème des paiements, mais également permis d’accroître considérablement l’efficacité opérationnelle», insistent les auteurs.
Défis opérationnels
Au-delà de l’immense cortège de camions à piloter, c’était surtout le processus de traitement de données à traiter qu’il fallait optimiser. À ces énormes volumes de marchandises, souvent périssables, traversant frontières, fuseaux horaires et climats étaient associées quantités d’informations de suivi tels que les aires d’arrêt, les gallons de carburant et autres prises de température. Près de 200 postes, calculés indépendamment, étaient à reporter sur chaque facture. Alors en l’absence de standardisation des systèmes d’information, les couacs s’avéraient inévitables.
C’est là que fut proposée la chaîne de blocs, pour uniformiser la source d’information qui serait partagée à toutes les parties. «Il y avait des sceptiques parce que, à ce moment-là, la technologie blockchain n’avait pas été utilisée dans une fonction substantielle et critique pour l’entreprise», confient les auteurs.
Après des essais concluants, la chaîne de blocs connue sous le nom de DL Freight a été déployée à l’ensemble des transporteurs en mars 2021. Le système recueille en permanence des informations à chaque étape. Et ces données sont automatiquement enregistrées et synchronisées en temps réel avec les parties impliquées dans la transaction.
Avant DL Freight, plus de 70% des factures étaient contestées. Désormais, cette contestation représente moins de 1%. Et les litiges seraient aussi facilement signalés que résolus.
Solution adaptée aux problèmes
Pour inspirer d’autres entreprises intéressées par ce genre de processus, voici les principales leçons à retenir selon HBR:
1. Efforts collaboratifs, solution collective. La consultation de Bison Transport, qui possède l’une des plus grandes flottes de camions en Amérique du Nord, a permis aux concepteurs du programme d’obtenir le point de vue des transporteurs sur les problèmes de terrain à résoudre. Le but était que la solution fonctionne pour l’ensemble des partenaires logistiques.
2. Comparer blockchain privée et blockchain publique. Walmart a opté pour un réseau privé construit sur Hyperledger Fabric, une plateforme libre d’accès. Ces chaînes sont dites privées, car elles exigent des autorisations. Cette limitation d’accès s’intègre souvent mieux aux protocoles de sécurité de niveau industriel. Mais il est recommandé d’aborder ces enjeux en fonction de l’usage.
3. Harmoniser les procédés. Les processus varient souvent, pour ne pas dire toujours, entre deux entreprises. L’harmonisation est une condition préalable fondamentale à la création d’un système blockchain : les mêmes règles commerciales pour tout participant au réseau.
4. Autoamélioration. Des éléments de vérification et d’amélioration automatisés doivent être intégrés dans le système, à la fois pour prévenir les erreurs, mais aussi pour identifier les opportunités d’amélioration des performances. Par exemple, les informations du transporteur sur les kilomètres parcourus et le carburant consommé sont automatiquement comparées aux données de l’Internet des objets (IoT) rapportées par des appareils indépendants sur les camions et toute divergence est immédiatement mise en évidence.
5. Garder les systèmes existants. Plutôt que d’insister pour que les systèmes existants soient remplacés, tout système blockchain peut reposer sur ces infrastructures héritées, car sa capacité à le faire constitue l’un de ses grands avantages.