L’IA peut bénéficier aux cabinets comptables, entre autres en permettant l’automatisation des rapports financiers. (Photo: 123RF)
L’usage de l’intelligence artificielle (IA) en comptabilité ouvre depuis quelques années un monde de possibilités : des tâches automatisées, des audits plus poussés et plus fiables, une relation client plus étroite. Mais comme avec une bête à dompter, les cabinets qui l’intègrent à leur pratique s’efforcent de mesurer ses forces et ses limites, pour éviter d’en perdre le contrôle.
Mario Malouin sait très bien à quel point l’IA bouscule le monde de la comptabilité. Lui-même comptable professionnel agréé (CPA), ce professeur de l’Université du Québec en Outaouais a fait de l’IA, de la gestion de données et de la transformation numérique ses principaux champs de spécialisation. « L’IA, en comptabilité et en audit, ce n’est pas une révolution, c’est une évolution, dit-il, en expliquant que son arrivée s’est faite progressivement. Le CPA doit évoluer dans sa compréhension du potentiel, mais aussi des risques liés aux outils qu’il utilise. »
Selon lui, le domaine de la comptabilité peut bénéficier de l’IA de trois façons différentes. Pour optimiser les processus, comme la tenue de livres ou l’envoi d’états de compte, pour produire du matériel de manière automatisée, comme des rapports financiers ou des lettres officielles, et pour effectuer des analyses poussées, par exemple lorsque vient le temps de réaliser un audit ou de produire des états financiers.
L’utilité de l’IA se fait par exemple sentir dans les activités de la firme KPMG, qui compte sur une plateforme d’« audit intelligent » nommée Clara. Lors d’un audit « classique », les experts de KPMG devaient déceler les anomalies en analysant un échantillon de données financières, puis extrapoler pour tirer des conclusions générales. « Ce que l’IA prédictive nous permet de faire, c’est de regarder la totalité de la population », explique Dominique Hamel, associée et leader de l’audit pour le Québec chez KPMG. Ça nous permet de mieux cibler les risques. »
L’IA augmente grandement la capacité de traitement de données et facilite donc l’analyse poussée à plus grande échelle, poursuit-elle. « Auparavant, on essayait de trouver l’aiguille dans la botte de foin. Maintenant, on peut trouver toutes les aiguilles dans le champ de foin. »
Adoption timide
Si l’IA fait déjà partie du quotidien de certains grands cabinets comptables, ce n’est pas le cas pour la majorité des joueurs de l’industrie. Un sondage réalisé par CPA Canada au deuxième trimestre de 2023 révèle que 80 % des CPA sondés — qui sont membres de la haute direction — travaillent pour une entreprise qui utilise « peu » ou « pas du tout » l’IA. À l’inverse, seulement 5 % des répondants évoluent au sein d’une organisation qui l’utilise « souvent » ou « constamment ». Lorsqu’on leur demande quelle incidence aura l’IA sur leur entreprise au cours des cinq prochaines années, les CPA croient néanmoins que l’automatisation de certaines tâches routinières donnera lieu à des gains de productivité (45 %) et que la technologie ouvrira de nouvelles portes (36 %).
Dans un autre coup de sonde réalisé par Intuit QuickBooks en janvier 2023, 78 % des professionnels québécois de la comptabilité estimaient que l’IA peut avoir des retombées positives sur leur secteur, mais seulement 31 % prévoyaient investir en IA au cours de l’année.
La démocratisation des outils utilisant l’IA est malgré tout en cours, soutient Olivier Blais, cofondateur de Moov AI, une entreprise qui aide différentes organisations à intégrer l’IA à leurs activités. « On ne parle plus de solutions qui coûtent des millions de dollars et qui prennent des mois à être déployées », affirme-t-il. Les cabinets comptables ou les équipes comptables en entreprise peuvent désormais compter sur des outils d’IA générative gratuits — comme ChatGPT, d’Open AI — ou dépenser entre 50 000 $ et 100 000 $ (plutôt que des centaines, voire des millions de dollars il y a quelques années) pour des outils plus spécialisés qu’il qualifie d’« aides-comptables ». « Il n’y a plus vraiment de barrière à l’entrée », dit-il.
« Auparavant, l’intégration de l’IA exigeait beaucoup de ressources humaines et matérielles. Il fallait avoir des experts pour nous guider, ajoute le CPA Marc-André Paquette, directeur de projets liés à la transformation numérique et aux technologies émergentes à CPA Canada. Certains outils peuvent désormais être utilisés avec peu ou pas de formation. »
Le fait de compter sur l’IA pour certaines tâches rend cependant le jugement professionnel du CPA encore plus important pour analyser et contextualiser les résultats obtenus, insiste-t-il. « L’IA n’est rien de plus qu’un outil. Il faut qu’il y ait de l’humain avant et de l’humain après. »