Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Comment représenter le modèle de financement des start-ups?

Philippe Meloni|Publié le 10 avril 2020

Comment représenter le modèle de financement des start-ups?

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. De manière simplifiée, on pourrait le qualifier de fuite en avant. On commence avec une idée et, le plus rapidement possible, on trouve du capital-risque pour la financer.

Le capital-risqueur vous répond alors: «La plupart des start-ups vont faire faillite. Cela me prend un très gros rendement pour compenser. Faites-moi rêver!»

Une fois que vous les avez fait rêver, basé sur des probabilités, des parts de marché, de beaux graphiques, c’est parti pour la fuite en avant. En effet, il faut une croissance très élevée pour satisfaire tous ces rendements. On parle d’une croissance de 30% à près de 500%. J’ai des exemples que je ne nommerai pas…

Vient ensuite la ronde des financements, «pré-amorçage (pre-seed), amorçage (seed), A, B, C»…

Bien sûr, à chaque nouvelle ronde de financement, le nouvel investisseur est en train de penser à sa sortie (exit) et à ses futurs profits. Pendant ce temps-là, le créateur travaille comme un fou, on s’y attend, c’est lui le président et fondateur. Il s’endette personnellement. Normal. S’il ne croit pas à son projet, pourquoi la banque y croirait? Étape par étape, financement après financement, notre fondateur perd des parts dans son entreprise. Et si la start-up survit finalement, rachetée par une grosse entreprise, il n’en aura qu’une petite partie.

Dans certains cas, cette petite partie est très raisonnable et peut même se mesurer en millions de dollars, mais attention à ne pas prendre l’exception pour la règle. Pour faire un parallèle avec le hockey, pour chaque Sidney Crosby qui gagne une fortune, il y a énormément de jeunes qui sacrifient leurs études pour ne rien gagner du tout.

Maintenant, regardons cela du point de vue de celui qui n’est pas Sidney Crosby et qui ne va pas atteindre la LNH. Il a de grandes chances de faire faillite. En effet, quand tout le monde va arrêter de rêver, pas forcément parce que l’idée de départ ne fonctionne pas, mais parce qu’elle ne peut pas générer assez de profits à court terme pour satisfaire toutes ces rondes de financement, et bien le capital-risqueur va se retirer. Et là, le fondateur, le président, va se retrouver seul face aux créanciers avec sa signature personnelle.

Regardons maintenant la situation du point de vue de la société. On a dépensé des sommes considérables pour former ces entrepreneurs en subventionnant leurs études, les universités et en finançant les crédits à la recherche et au développement. Ça, c’est pour les dépenses, mais qu’en est-il des revenus? Eh bien, vous me direz, quand une «licorne» va faire des milliards de dollars, le trésor public recevra beaucoup en impôts! En fait non, il est bien rare que les dernières rondes de financement soient faites avec du capital canadien ou québécois. C’est souvent à l’étranger que vont se retrouver la propriété intellectuelle, les gros salaires et les gros impôts…

Arrêtons-nous à présent au point de vue des grosses entreprises. Là, c’est très bénéfique! Plus besoin d’avoir de laboratoires de recherche et développement. Il suffit de regarder les recherches qui se font ailleurs et de les acheter quand ça fonctionne. Au gros prix certes, mais pour finir, cela coûte beaucoup moins cher que de maintenir ses propres laboratoires et, surtout, cela diminue considérablement les risques.

Enfin, regardons la situation pour notre entrepreneur du point de vue actuel. Il entend qu’on aide les entreprises qui avaient une situation financière saine, avant l’arrivée de la COVID-19. Avec le modèle actuel des start-ups, c’est malheureusement rarement le cas. On lui dit qu’il faut une baisse de 15% de son activité dûe à la situation de la COVID-19.

Toutefois, soit il est dans la phase initiale et il n’a donc pas ou peu de revenus, soit il est dans la phase de croissance. Dans ce deuxième cas, s’il est à -15%, les créanciers sont tous en panique depuis longtemps (rappelez-vous, cela prend une très grosse croissance pour payer tout le monde.)

Au moins, me direz-vous, comme beaucoup, il va recevoir de l’aide personnellement. Pas sûr, s’il a mis jusqu’à son dernier fonds de retraite dans l’aventure pour économiser son salaire, là non plus, il ne se qualifiera  pas dans les critères. Cependant, même si les fonds ne rentrent plus, on continue à lui demander de payer au moins ses intérêts. Du côté des banques, on continue à demander les mêmes taux…

Il n’y a pas besoin d’être un grand devin pour comprendre que peu vont passer au travers de cette crise tant sanitaire que financière. Les personnes les plus créatives et les plus entreprenantes de notre société vont pour beaucoup être sacrifiées par le système. Pas avec une volonté de nuire, non, juste un dommage collatéral.

Il serait facile de dire que l’on n’y peut rien, que c’est malheureux, mais que l’on n’y peut rien changer. Cela dit, on n’empêchera pas un entrepreneur d’imaginer de nouvelles solutions. Pour reprendre les paroles de William Arthur Ward «Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles.»

Alors comment faire me direz-vous?

Les start-ups n’ont pas besoin de financement, elles ont besoin de clients!

Ces clients qui prennent le pari d’essayer quelque chose de nouveau prennent un risque et c’est eux qu’on devrait aider!

Tout d’abord, commençons par les organismes publics. La plupart du temps, les contraintes pour répondre à un appel d’offres, c’est d’offrir un service global à toute l’administration. Cela ne qualifie essentiellement que les grosses entreprises. Pourtant, un service, un département, pourrait être très heureux avec une plus petite solution. Il suffirait de donner un budget à ces départements, utilisable uniquement pour acheter des services à des start-ups locales. Pas besoin de grands organismes pour gérer les fonds, juste le bon sens des gestionnaires et un budget qui n’a pas besoin d’être considérable. Ainsi, on mitige le risque. D’autre part, on donne de l’expérience aux start-ups, elles peuvent communiquer sur leur client prestigieux et elles sont payées pour leur travail.

Pour les organisations privées, un programme devrait les contraindre à dépenser un pourcentage annuel de leurs profits au financement des entreprises émergentes. Un modèle inspiré du programme de 1% consacré à la formation. On leur donne le choix de verser la somme en impôt ou de prendre des risques avec des start-ups locales. Là encore, on ne parle pas de grands montants, mais cela va permettre aux start-ups de manger et de se développer sans distribuer leur propriété intellectuelle aux quatre vents. De plus, en enlevant la nécessité de nombreux organismes intermédiaires, cet argent va aller directement dans l’escarcelle des startups.

Ainsi, on peut espérer que plus de jeunes pousses vont s’enraciner ici, payer de l’impôt et créer des emplois ici, au Québec. En ces temps difficiles, on a plus que jamais besoin d’esprits ingénieux, entreprenant, et de développer nos talents.

Ne serait-ce pas le temps d’y penser?