Entrevue n°191: Jim Borel, vice-président et membre du bureau du président de DuPont


Édition du 15 Février 2014

Entrevue n°191: Jim Borel, vice-président et membre du bureau du président de DuPont


Édition du 15 Février 2014

Par Diane Bérard

«Nous devons doubler la production alimentaire d'ici 2050» - Jim Borel, vice-président et membre du bureau du président de DuPont

Diane Bérard - On repousse constamment les limites de la productivité agricole. Plusieurs s'en inquiètent.

Jim Borel - Les OGM attirent beaucoup d'attention. Certains consommateurs n'en veulent pas du tout. Pour des raisons religieuses, parce qu'ils craignent l'inconnu, parce qu'on les a mal informés. Chez DuPont, nous voulons nous assurer que la population comprend les faits, qu'elle a accès à des données scientifiques. Vous pouvez décider ensuite que vous ne voulez toujours pas d'OGM dans vos aliments, mais ce ne sera pas parce que quelqu'un vous a dit que ce n'est pas bon pour vous.

D.B. - Vous êtes pro-OGM, naturellement...

J.B. - Je crois que les gens devraient avoir le choix. S'ils désirent des aliments sans OGM, ils devraient pouvoir s'en procurer. Tout comme les consommateurs qui ne veulent aucune trace de pesticides dans leur nourriture ont accès à des produits biologiques.

D.B. - Le débat sur les OGM vous frustre-t-il ?

J.B. - Un peu. Mais ce sont surtout certaines tactiques du camp opposé qui m'irritent. Nous devrions travailler ensemble pour produire plus de nourriture et une nourriture plus saine. Quand les opposants aux OGM consacrent leur énergie à attaquer les autres formes d'agriculture que la leur, on ne va nulle part. Je ne passe pas mon temps à dénigrer l'agriculture biologique. Je pourrais parler du risque de maladies, telles que l'E. coli ou la salmonelle, associées à l'utilisation de fumier plutôt que d'engrais artificiels. Mais je ne le fais pas. L'agriculture biologique a sa place dans l'écosystème agroalimentaire.

D.B. - Il faut apprivoiser la science...

J.B. - Nous ne relèverons pas les défis agroalimentaires sans l'aide de la science. Il faut lui faire une place dans notre vie. Apprendre à poser les bonnes questions et tenter de comprendre les réponses.

D.B. - ... et investir dans la technologie.

J.B. - Nous devons remercier les agriculteurs pour le bon travail qu'ils ont accompli pendant des décennies. Ils ont si bien rempli leur tâche que nous avons tenu leur contribution pour acquise. Ce n'est plus possible. Le secteur agroalimentaire est sous pression, en raison de la démographie, de la santé, etc. Nous sommes à l'ère de l'agriculture intelligente [smart farming] et personnalisée. C'est avec les données que l'agriculteur génère, combinées à celles plus génériques auxquelles tous ont accès, que l'on arrivera à tirer davantage de chaque hectare de terre cultivée.

D.B. - Quel rôle voyez-vous pour l'agriculture locale ?

J.B. - L'agriculture locale - tout comme l'agriculture urbaine - constitue un ajout souhaitable à l'agriculture de masse. Elle remplit aussi une fonction éducative. C'est de l'agriculture de proximité qui rappelle à la population d'où vient la nourriture. Ce type d'agriculture reconnecte la population sur la réalité des semences qui poussent et des animaux qu'on élève.

D.B. - Près de 85 % de la nourriture ne traverse pas de frontières internationales. Quel en est l'impact ?

J.B. - D'ici 2050, la planète comptera de deux à trois milliards d'habitants de plus, surtout en Afrique et en Asie du Sud et du Sud-Ouest. Il est irréaliste de penser que nous pourrons produire suffisamment de nourriture pour tous alors qu'un milliard d'humains ne mangent déjà pas à leur faim. Il faut augmenter la productivité des sols et de l'agriculture. Mais cela ne suffira pas. Il faut déplacer la nourriture des zones où elle abonde vers celles où il y a pénurie. Pour l'instant, les politiques commerciales rendent cette opération quasi impossible.

D.B. - Abaisser les barrières commerciales n'est pas une mince affaire...

J.B. - Je sais. Prenez le Farm Bill, qui encadre l'agriculture américaine. Négocié tous les cinq ans, c'est la croix et la bannière chaque fois. Mais on ne s'en sortira pas. Il faut abaisser les barrières tarifaires, ouvrir le commerce. Il n'existe aucune autre façon d'amener les aliments là où ils sont requis.

D.B. - La sécurité alimentaire est un problème du 21e siècle traité avec des solutions du 20e siècle...

J.B. - La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains peuvent, à tout moment, se procurer une nourriture suffisante et saine pour combler leurs besoins. Des barrières réglementaires ainsi que des exigences nationales mal arrimées nous empêchent de l'atteindre. Nous avons besoin d'un système réglementaire prévisible et harmonisé pour que les innovations technologiques agroalimentaires circulent. Augmenter la productivité de l'agriculture d'une région du globe ne suffit pas. Il faut l'accroître partout. Nous devons doubler la production alimentaire d'ici 2050.

D.B. - Parlons de gaspillage. À quoi sert d'augmenter la productivité des terres pour jeter plus d'aliments à la poubelle ?

j.b. - Environ un tiers de la nourriture est gaspillée à l'échelle planétaire. Dans les pays développés, ces pertes se produisent entre le marché et la consommation. Ce sont les aliments que l'épicier n'a pas vendus avant la date de péremption. Ou ceux qu'on oublie dans le fond du frigo. Dans les pays en développement aussi on gaspille de la nourriture. Mais les pertes ont plutôt lieu entre les champs et le marché. Le transport et l'entreposage posent d'énormes défis.

D.B. - Comment remédier à ce gaspillage ?

J.b. - Dans les pays développés, il faut améliorer l'emballage. Et prolonger la vie des aliments à l'aide d'enzymes, par exemple. Le défi des pays en développement se trouve plutôt du côté des infrastructures. Plus de routes, de camions et d'entrepôts réfrigérés, de l'électricité plus accessible, etc.

D.B. - Produire plus, gaspiller moins, mais aussi manger mieux. Expliquez-nous

J.B. - Je parle de qualité. Augmenter la valeur nutritive des aliments que l'on consomme. En retirer le gras et le sucre et ajouter des protéines sans perdre le goût. DuPont est l'un des plus gros producteurs de protéines de soya. Nous travaillons avec les fabricants de céréales, de barres et de boissons énergétiques. Ils désirent des produits plus protéinés mais aussi qui rassasient plus longtemps. Les probiotiques aussi captent l'attention. Ils agissent sur notre système digestif qui contrôle 70 % de notre système immunitaire. Améliorer l'un renforce l'autre.

D.B. - Qu'est-ce qui vous inquiète le plus ?

J.B. - Notre marge de manoeuvre diminue constamment. Prenez les réserves américaines de maïs. Elles atteignent la moitié du niveau d'il y a deux ans. Sans réserve, nous entrons dans une zone de volatilité des prix. En Amérique du Nord, lorsque le prix des aliments grimpe, nous le lisons dans le journal. Dans les pays en développement, cela se vit dans les rues. L'efficacité du secteur agroalimentaire a un impact direct sur la paix sociale.

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