Taxe carbone et climat: vers l’élection, le fédéral garde le cap
La Presse Canadienne|Publié le 28 janvier 2019«Quand c'est gratuit de polluer, il y a plus de pollution.»
Alors que plusieurs observateurs de la scène politique croient que la taxe sur le carbone pourrait bien être l’enjeu des prochaines élections fédérales, la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, dénonce la polarisation faite par les politiciens conservateurs à ce sujet et sur les changements climatiques, ce qui pourrait «faire reculer» le pays selon elle.
Cet enjeu délicat sera sur les épaules de la ministre McKenna.
Et le Parti conservateur s’en sert déjà pour miner le gouvernement libéral à l’aube des élections de 2019. Le chef Andrew Scheer a récemment brandi cette menace: selon lui, si Justin Trudeau est réélu cette année, il va augmenter la taxe fédérale sur le carbone. Il a l’aide d’autres politiciens, dont le premier ministre ontarien Doug Ford, qui vient de déclarer que cette taxe menait tout droit vers une récession.
Malgré cette opposition, Mme McKenna n’entend pas changer de stratégie sur la route vers les élections.
«On a un plan. On va continuer notre plan», a insisté la ministre lors d’un entretien avec La Presse canadienne, cette semaine, à Montréal. Elle souligne avoir mis un an à le développer en concertation avec les villes, les Premières Nations, les provinces et les entreprises.
Ainsi, il n’est pas question de déroger à la stratégie sur le carbone du fédéral, «qui met un prix sur la pollution». Le gouvernement a fait part de son système de tarification — au départ 20 $ la tonne — pour «qu’il ne soit plus gratuit de polluer», dit-il. Toutes les provinces doivent en place un système, sinon, Ottawa leur imposera cette taxe sur le carbone.
«Quand c’est gratuit de polluer, il y a plus de pollution».
Mais l’argent retournera dans les poches des citoyens de chaque province visée, dès 2019, insiste depuis cette annonce le gouvernement Trudeau pour convaincre ceux qui craignent que tout coûte plus cher.
Le sujet divise déjà. L’Ontario s’est retiré de la bourse du carbone, et s’est joint à la poursuite intentée par la Saskatchewan contre le fédéral sur la taxe carbone, en plus de lancer sa propre contestation.
Mais la ministre McKenna déplore que les conservateurs qui s’opposent au plan fédéral — «ils veulent que ce soit gratuit pour polluer», dit-elle — s’en servent pour diviser les citoyens.
«Les conservateurs veulent polariser le débat. Quand vous faites cela, rien ne se fait. On recule», avait-elle lancé peu avant l’entrevue alors qu’elle présentait une allocution devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).
Sa position est délicate: si l’on regarde les quatre provinces les plus populeuses — et celles comptant le plus de circonscriptions — elles n’ont pas la même approche par rapport à ce qui doit être fait: si le Québec et la Colombie-Britannique avaient mis des mesures en place sur le carbone avant même que le fédéral ne l’exige, l’Alberta et l’Ontario ont de bruyantes réticences.
Mme McKenna avait ce message à livrer cette semaine: «Les Canadiens auront un choix entre notre gouvernement et l’autre côté, le Parti conservateur (fédéral) qui n’a pas de plan sur le changement climatique, qui ne pense pas qu’il y a un réel problème et qui ne voit pas l’immense opportunité d’affaires».
«Au XXIe siècle, si vous n’avez pas un plan pour le climat, vous n’avez pas de plan pour l’économie», tranche-t-elle.
Pour convaincre les Canadiens, la ministre de l’Environnement prévoit maintenir le cap sur ses mesures pour contrer le changement climatique: «les Canadiens savent qu’on doit agir et ils veulent savoir qu’on va faire ça d’une manière intelligente, d’une manière qui fait en sorte que la vie soit abordable». Et ils ne veulent pas perdre leurs emplois, a-t-elle martelé.
Elle entend faire valoir les opportunités d’affaires et la croissance économique qui va de pair, selon elle, avec le développement de solutions vertes pour le pays.
«Le Québec, la Colombie-Britannique, presque tout le pays met un prix sur la pollution. Ce sont seulement des politiciens conservateurs qui veulent faire de ça un enjeu politique, qui ne veulent pas dire la vérité».
En entrevue, elle a cité à plusieurs reprises la situation qui prévaut en France, qui l’a manifestement marquée, et les manifestations des gilets jaunes, qui, inquiets du coût de la vie, ont forcé le gouvernement à reculer sur sa taxe sur le carburant.
Alors le gouvernement libéral n’envisage pas pour l’instant de cibles plus ambitieuses de réduction de gaz à effet de serre (GES), a-t-elle mentionné. Le plan sera mis en oeuvre et « après on regardera ce qu’on peut faire ».
Quant aux conservateurs, ils prévoient dévoiler leur plan climatique avant la prochaine élection. Andrew Scheer a déjà révélé qu’il mettra notamment l’accent sur les technologies et l’énergie vertes.
Contourner les réticents
Mais comment aller de l’avant avec le plan sur le carbone lorsque des premiers ministres n’en veulent pas?
«C’est un petit peu comme aux États-Unis, a expliqué la ministre. On a voulu travailler avec l’administration Trump sur les changements climatiques, mais ils ont voulu aller dans une direction très différente alors on travaille avec les gouverneurs, les États, les entreprises, avec les villes. On a signé un accord avec les gouverneurs des États qui représentent presque 50 pour cent de l’économie américaine».
«On va faire la même chose au Canada».
La ministre soutient qu’elle va travailler avec tous ceux qui veulent être sérieux sur les changements climatiques, dont les villes, les hôpitaux et les entreprises dans toutes les provinces.
Elle l’a déjà fait, dit-elle, citant l’entreprise — ontarienne — Enwave Energy, la première à recevoir de l’argent du «Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone» pour développer son système de refroidissement d’édifices à l’aide de l’eau froide des Grands Lacs.
Et aux citoyens outrés _ dont beaucoup au Québec _ par le rachat par le gouvernement fédéral du pipeline Transmountain, elle leur souligne que la transition «ne se fera pas en une nuit».
«Cela va prendre des décennies. Nous sommes dans une période de transition lors de laquelle les gens utilisent toujours le pétrole et le gaz, la plupart de gens, même au Québec, se servent de l’essence pour leurs voitures. Alors nous avons besoin de prendre nos ressources et les amener aux marchés, à un prix raisonnable».