Le gouvernement Legault parraine une réforme de la loi 101
La Presse Canadienne|Publié le 13 mai 2021François Legault (Photo: Getty Images)
Le gouvernement Legault relance officiellement le débat linguistique au Québec, en parrainant une réforme majeure de la loi 101, qui viendra confirmer sa préoccupation identitaire et son parti pris nationaliste.
Après des années de cogitations et plusieurs échéances reportées, le ministre responsable, Simon Jolin-Barrette, a finalement déposé jeudi le très attendu projet de loi 96, intitulé « Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français », une pièce législative ambitieuse comportant plus de 200 articles, qui risque de faire des vagues.
Le ministre Jolin-Barrette avait promis des mesures « costaudes » destinées à affirmer le statut de la langue française au Québec et à contrer son déclin, particulièrement à Montréal. Il a tenu parole avec un projet de loi qui ratisse très large, en visant à encadrer l’usage de la langue dans plusieurs champs d’activité, dont les entreprises de 25 à 49 employés, l’affichage commercial, l’accès au cégep anglophone et l’administration publique.
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Pour le protéger des contestations judiciaires, il inclut une clause de dérogation, comme c’était le cas avec la loi 21 sur la laïcité de l’État.
La Charte de la langue française, communément appelée loi 101, avait été parrainée par Camille Laurin dans le gouvernement de René Lévesque, et adoptée dans la controverse en 1977, avant d’être en bonne partie charcutée par les tribunaux. Elle prévoyait notamment que les enfants d’immigrants devaient fréquenter l’école française.
Avec ce nouveau projet de loi, qui s’inscrit en droite ligne de la loi de 1977, la Charte de la langue française devient une loi « fondamentale », incluse dans la Constitution canadienne, en vue de stipuler officiellement que les Québécois forment une nation et que le français est la seule langue officielle et la langue commune du Québec.
« Le français sera toujours vulnérable au Québec, en Amérique du Nord », a fait valoir le premier ministre François Legault, qui accompagnait le ministre Jolin-Barrette, à la conférence de presse, pour bien marquer l’importance que le gouvernement accorde à cet enjeu.
En matière de protection de la langue, le projet de loi 96 « prend le relais du gouvernement Lévesque », a observé le premier ministre, en vue d’ériger 44 ans plus tard un nouveau rempart contre le déclin du français au Québec.
Il a dit que dans ce contexte, il avait jugé qu’il avait le « devoir » de recourir à la clause dérogatoire pour défendre les droits collectifs du peuple francophone en Amérique. La clause s’appliquera à l’ensemble du projet de loi.
Il a aussi expédié une lettre à ses homologues des autres provinces et au premier ministre Justin Trudeau pour expliquer la démarche du Québec et justifier ses références à la Constitution canadienne.
Les PME de 25 à 49 employés assujetties à la loi 101
La nouvelle loi 101 sera appliquée aux entreprises de 25 à 49 employés, et elles devront donc se doter d’un certificat de francisation, tout comme les entreprises de 50 employés et plus doivent le faire depuis des décennies, et démontrer qu’elles fonctionnent en français. On vise ainsi à contrer le fait que les petites et moyennes entreprises (PME) sont souvent un facteur d’intégration des immigrants à la communauté anglophone.
La loi 96 s’appliquera aussi aux entreprises de charte fédérale installées au Québec, comme les banques.
Le droit de travailler en français, et uniquement en français, sera mieux encadré et protégé, promet-on. On définira dans quelles conditions on peut exiger la connaissance d’une autre langue que le français pour obtenir un emploi.
Toute personne allophone ou anglophone souhaitant apprendre le français pourra le faire, de même que toute entreprise: l’État en fait désormais un droit fondamental.
En principe, les municipalités ayant un statut bilingue perdront ce statut si la proportion d’anglophones y est inférieure à 50 %. Mais on inclut dans la loi un droit acquis, donc si elles adoptent une résolution à cette fin avant l’échéance, soit tous les cinq ans, elles pourront conserver leur statut bilingue.
L’accès au cégep anglophone ne sera pas interdit aux francophones, mais on veut faire en sorte de contrôler l’expansion du réseau collégial anglophone, en limitant le nombre d’admissions à 8,7 % des nouvelles places de l’ensemble du réseau par année.
Pour obtenir son diplôme d’études collégiales (DEC), tout étudiant devra, et ce, qu’il fréquente un collège francophone ou anglophone, réussir avec succès une épreuve uniforme de français. Seront exemptés les étudiants qui ont suivi un parcours anglophone depuis l’enfance.
Le Québec cherchera par ailleurs à attirer les étudiants francophones des autres provinces, en leur offrant de payer les mêmes droits de scolarité que les étudiants universitaires québécois.
Québec va créer un ministère de la Langue française et abolir le Conseil supérieur de la langue française (CSLF). Le mandat de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui continuera à recevoir les plaintes des citoyens, sera renforcé, ayant acquis un pouvoir de coercition envers les contrevenants « même en l’absence de plainte ».
Il confirme aussi la création par l’Assemblée nationale d’un poste de Commissaire à la langue, sorte de chien de garde chargé d’enquêter de façon indépendante sur l’évolution de la situation linguistique au Québec.
On prévoit aussi créer un guichet unique pour franciser les immigrants, « Francisation Québec », qui relèvera du ministère de l’Immigration.
L’affichage commercial extérieur devra assurer la « nette prédominance » du français, si une autre langue est présente. Le droit d’être servi en français en se présentant dans un commerce sera réaffirmé et des recours existeront si ce droit n’a pas été respecté.
Le gouvernement réaffirme sa volonté de faire du français la seule langue de l’administration publique, dans ses relations avec d’autres gouvernements et toute personne morale. L’État se dotera d’une politique linguistique.
Les immigrants ne pourront plus, comme c’est le cas présentement, faire affaire avec l’État en anglais sans limite de temps. S’ils choisissent d’emblée cette langue de communication à leur arrivée, la pratique ne pourra pas durer plus de six mois. Ceux qui procédaient déjà ainsi, donc avant le dépôt du projet de loi, auront un droit acquis de continuer, s’ils le désirent.
« Au déclin tranquille, nous proposons l’espoir d’un renouveau, d’une relance linguistique », a commenté le ministre Jolin-Barrette.
Le projet de loi 96 ne sera pas adopté à toute vapeur. Au contraire, le gouvernement veut mener une vaste consultation sur le sujet à l’automne.
La nouvelle impulsion donnée au dossier linguistique sera accompagnée d’un budget additionnel de 104 millions $ sur cinq ans, montant réservé dans le dernier budget du gouvernement.
Enfin, on prévoit renommer la circonscription de Bourget, à Montréal, qui était représentée à l’époque par Camille Laurin et qui portera bientôt le nom du père de la loi 101.