Quand le gouvernement essaie d’être «cool»

Offert par Les Affaires


Édition du 14 Octobre 2017

Quand le gouvernement essaie d’être «cool»

Offert par Les Affaires


Édition du 14 Octobre 2017

Par Laura O'Laughlin

Cette entente entre le gouvernement fédéral et Netflix risque de subventionner la promotion de contenus différents de ceux appuyés par le Fonds des médias. [Photo : Getty Images]

Le quotidien d'un gouvernement est souvent pénible. Investir à long terme et fournir aussi bien des services essentiels que des biens publics dans des marchés qui ne sont pas efficacement desservis. Collecter des taxes pour payer ces services. Corriger le tir de temps en temps, puis répéter.

Étant donné le niveau actuel du cool canadien - mesuré davantage par les foules aux festivals de Montréal et par le nombre de «J'aime» affichés sur le flux Instagram de Justin Trudeau -, on peut presque pardonner à la ministre de la Culture, Mélanie Joly, d'avoir tenté de capitaliser sur la marque «Cool Canada» avec son deal entre le gouvernement fédéral et Netflix, une des plus grandes marques médiatiques de l'ère numérique.

À l'aide de montants recueillis auprès de radiodiffuseurs, de fournisseurs Internet et du gouvernement fédéral, le Fonds des médias du Canada investit environ 360 millions de dollars par année dans le contenu canadien. Par comparaison, les sommes de 100 M$ par an que Netflix prévoit allouer au contenu canadien semblent substantielles - et devraient théoriquement augmenter de 25 % le budget du Fonds des médias.

Toutefois, les 100 M$ ne seraient pas dépensés par le Fonds des médias - l'argent serait géré et dépensé par Netflix seule. Et en raison de l'exonération de taxes sur les ventes, le gouvernement fédéral perdrait au moins 35 M$ par année en revenus, selon mon calcul. La question économique se rapporte donc aux coûts et aux avantages. Il n'est pas évident que ce «gain» net de 65 M$ d'investissement par année sur cinq ans est un moyen particulièrement brillant de «redémarrer» le Fonds des médias à l'ère numérique.

Pris à sa valeur nominale, l'investissement de 100 M$ apparaît petit comparativement à la contribution annuelle de 8,5 milliards de dollars de la production cinématographique et télévisuelle au PIB canadien. Ça donne un peu de publicité à Netflix parce que ça abaisse légèrement ses tarifs pour les consommateurs canadiens (subvention d'un peu moins d'un dollar par mois).

En revanche, le ministère du Patrimoine canadien et de la Culture s'occupe d'un bien public et d'un service essentiel aux différentes identités culturelles qui forment aujourd'hui la réalité du Canada. Au lieu de compter sur les multinationales pour faire la promotion du Canada, le ministère devrait peut-être essayer de corriger et de contrer les forces du marché qui réduisent la représentation et la participation des Canadiens dans les médias. Précisément parce que notre économie est ouverte sur le monde, le marché ne devrait pas fournir à lui seul une politique culturelle pour le Canada et pour le Québec.

Pour l'instant, cette entente entre le gouvernement fédéral et Netflix risque de subventionner la promotion de contenus qui risquent d'être très différents de ceux qui sont actuellement appuyés par le Fonds des médias. Il risque d'affecter les incitatifs visant à promouvoir le contenu canadien à long terme.

Même si le Canada est cool en ce moment, le gouvernement ne devrait pas l'être. Plutôt que de capitaliser sur la position de marque forte du Canada dans les arts, cet accord semble nous vendre sans nous accorder beaucoup de récompenses.

EXPERTE INVITÉE
Laura O'Laughlin est économiste principale au cabinet de consultation Groupe d'analyse. Elle est aussi fondatrice de l'Institut des générations, un organisme sans but lucratif qui s'intéresse à l'équité entre les générations.

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