Même s'ils sont présentés comme 100% recyclables, les pots de yaourt ne redeviennent quasiment jamais des pots de yaourt. (Photo: courtoisie)
Salaberry-de-Valleyfield — Le bruit de fond est entêtant. Les petits pots en polystyrène sont déchiquetés, puis fondus en une huile brune, purifiée dans un réacteur électrique. Apparaît alors un liquide transparent: le styrène. De quoi refabriquer… de nouveaux pots de yaourt.
À 40 kilomètres de Montréal, la start-up Pyrowave a mis au point un processus novateur de recyclage chimique du plastique par micro-ondes, permettant de retrouver du polystyrène comme neuf.
Car même s’ils sont présentés comme 100% recyclables, les pots de yaourt ne redeviennent quasiment jamais des pots de yaourt. Le recyclage mécanique — technique la plus utilisée dans le monde, fondée sur un broyage très fin — ne permet pas d’obtenir un matériau apte au contact alimentaire, au même niveau de qualité et d’hygiène.
En Europe, les (rares) déchets de polystyrène recyclés sont transformés en produits à plus faible valeur ajoutée: pots de fleurs ou mobilier de jardin, notamment en Espagne et en Allemagne. Le polystyrène expansé des barquettes alimentaires est, lui, recyclé pour l’isolation des bâtiments.
Or, la pétrochimie continue de produire massivement du plastique vierge qui menace l’environnement et la biodiversité jusqu’au fond des océans ou au sommet des montagnes, a averti l’ONU récemment.
«Boucle circulaire»
Alors que le taux de recyclage mondial des déchets plastiques ne dépasse pas 9%, la production de déchets plastiques pourrait quasiment tripler d’ici 2060 par rapport à 2019, alerte aussi l’OCDE.
Face à cette urgence et à l’explosion des emballages à usage unique liés aux livraisons et aux repas hors domicile, l’industrie pétrolière et chimique promeut le recyclage chimique en «boucle circulaire».
Exactement la promesse de Pyrowave. Sa technologie à base de pyrolyse «permet de ramener les déchets plastiques, en particulier le polystyrène, à l’état de produit identique à 99,8% au monomère original de styrène» issu du pétrole, explique à l’AFP Virginie Bussières, vice-présidente de la start-up. Le produit issu du processus accède au même niveau de contact alimentaire que le produit vierge.
Dans une colonne de distillation, les chaînes de polymères sont cassées pour revenir à la molécule de base, le monomère, grâce à un réacteur de dépolymérisation et un champ de micro-ondes.
Le procédé est «en développement depuis une dizaine d’années», dit Mme Bussières. Et a atteint son étape commerciale avec un projet d’usine sous licence en Europe et aussi «une expansion en Asie».
L’usine européenne sera basée en France, l’un des premiers pays mangeurs de yaourts au monde. «On parle de 2024» selon Mme Bussières, elle «va être la vitrine européenne du recyclage de polystyrène en Europe».
C’est Michelin, le fabricant de pneumatiques, qui sera chargé de cette industrialisation. «Cela fait déjà trois ans que nous travaillons avec Pyrowave», confirme Christophe Durand, responsable du développement des matériaux durables chez Michelin, interrogé par l’AFP en France.
«À terme, l’idée est de pouvoir renvoyer ce styrène dans la filière polystyrène, c’est-à-dire fermer la boucle et revenir à des emballages comme les pots de yaourt, mais également de mettre une partie des gisements dans les pneumatiques» précise-t-il.
Michelin, qui a pris une participation minoritaire dans Pyrowave en 2020, prévoit d’augmenter fortement les volumes de plastiques recyclés dans ses pneus pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone.
Recycler ou réduire la production?
Seul bémol, le Conseil national de l’emballage (CNE) qui réunit en France tous les producteurs d’emballages a demandé dans une note diffusée le 25 juillet à ses adhérents de ne pas communiquer sur les «allégations environnementales» concernant les plastiques issus de ces nouvelles technologies de recyclage (par pyrolyse ou gazéification).
Car ces modes de production ne sont pas considérés comme du recyclage en Europe où prévaut le recyclage mécanique. Le CNE estime qu’il faut donc attendre l’avis de la Commission européenne censée réviser deux directives consacrées aux déchets et aux emballages d’ici la fin 2022.
Le recyclage chimique est par ailleurs dénoncé par des ONG qui l’accusent de relâcher des substances polluantes dans l’atmosphère, et font pression pour réduire en priorité les volumes de production de plastique vierge.
Les projets industriels de «recyclage chimique» s’accumulent malgré tout. L’Europe et les États-Unis concentrent 60% des brevets mondiaux dans ce domaine, selon l’office européen des brevets.
Rien qu’en France, deux autres projets de retraitement du polystyrène sont à l’étude. L’un porté par Ineos Styrosolution et Trinseo, avec une usine prévue à Wingles (Pas-de-Calais), l’autre par TotalEnergies.
Il y a un filon certain en Europe: les deux premiers consommateurs de pots de yaourt dans le monde sont les Pays-Bas et la France. Rien qu’en France, plus de 8 milliards de pots sont vendus par an.