Investir dans les mines de lithium nécessite une vision à long terme

Publié le 05/12/2023 à 16:24

Investir dans les mines de lithium nécessite une vision à long terme

Publié le 05/12/2023 à 16:24

L’extraction du lithium à partir de la saumure est beaucoup plus rapide et plus rentable que l’exploitation de mines, qui est une opération coûteuse. (Photo: Getty Images)

On pourrait penser que les entreprises qui extraient le lithium des mines ou des lacs salés engrangent actuellement des bénéfices substantiels. Après tout, le lithium est une composante centrale des voitures et des batteries. La transition énergétique en a besoin.

En outre, l’offre de lithium brut est limitée, bien plus que la demande prévue. La réalité est un peu plus nuancée. Les mineurs de lithium sont en mauvaise posture, non seulement en regard de ses cours boursiers, mais aussi de leurs bénéfices réels.

 

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Prenons l’exemple d’Albemarle (ALB). Cette société établie en Caroline du Nord est le plus grand fournisseur de lithium au monde. Le cours de son action s’est effondré, passant d’environ 237 dollars américains à la fin du mois de juillet à 127 dollars aujourd’hui.

La situation du deuxième exploitant mondial de lithium, la société chilienne Sociedad Quimica y Minera (SQM), est tout aussi sombre. Il y a environ un an, l’action de la société se négociait à la bourse de New York à près de 100$. Aujourd’hui, son cours a été divisé par deux et se situe autour de 51$. Pourquoi?

D’une part, les producteurs de lithium sont gravement affectés par son prix extrêmement bas. En décembre 2022, le lithium se négociait encore à 75 000$ la tonne, mais ce prix a chuté à 23 000 dollars en raison de la baisse de la demande et du déstockage. Il faudra du temps pour que cela change. Seth Goldstein, analyste d’actions de Morningstar qui suit les mineurs de lithium et Tesla, s’attend à ce que les prix se stabilisent vers la fin de 2023 et commencent à augmenter en 2024.

 

Plus on creuse, plus c’est décevant

Sur les marchés boursiers, les cours des principaux producteurs de lithium ont continué à baisser après la publication des résultats du troisième trimestre ce mois-ci. Par exemple, le prix moyen que SQM a reçu des acheteurs pour le métal précieux au cours du dernier trimestre était inférieur de 47% à celui du même trimestre de l’année précédente. Pour SQM, en tout cas, cela s’est traduit par une chute vertigineuse de 53% des bénéfices (BAIIDA) par rapport à la même période de l’année précédente.

Chez Albemarle, les bénéfices ont même baissé de 62% par rapport au troisième trimestre 2022. L’entreprise est maintenant contrainte de réduire ses prévisions de bénéfices pour 2023: elle ne table plus sur une fourchette de 3,8 milliards de dollars (G$) à 4,4G$US, mais plutôt sur 3,2 à 3,4G$US. M. Goldstein prévoit 3,2G$US. Ses bénéfices en 2022 s’élevaient à 3,5G$US.

Albemarle prévoit de produire et de vendre 30% de lithium en plus cette année par rapport à l’année dernière. Mais si le prix par tonne qu’elle reçoit reste aussi bas qu’il l’est actuellement ou s’il diminue encore, ce n’est pas une bonne nouvelle. Albemarle elle-même pense que les prix augmenteront de 15%, mais cette hypothèse est sujette à caution. Si ses nouveaux stocks arrivent sur le marché plus rapidement que la demande n’augmente, la rentabilité en sera affectée.

Ce qui n’a probablement pas contribué à maintenir le cours de l’action Albemarle, c’est l’annulation, le mois dernier, de son acquisition de la société australienne Liontown, spécialisée dans l’extraction de lithium. Albemarle était prête à mettre 4,2G$US sur la table et les analystes ont réagi avec enthousiasme à cette annonce. Liontown exploite notamment la mine de Kathleen Valley, qui devrait produire du lithium dès l’année prochaine.

Au Canada, la société Lithium Americas (LAC), établie à Vancouver, vise à devenir un producteur de lithium à part entière, mais l’exploitation n’a pas encore commencé. La seule ressource de Lithium Americas est le projet de lithium Thacker Pass dans l’État américain du Nevada. Thacker Pass est actuellement en cours de construction et devrait entrer en production plus tard dans la décennie. Le revenu net de la société s’étant enfoncé dans le rouge ces dernières années, les investisseurs vendent l’action, qui affiche une décote de 60% par rapport à sa juste valeur au 28 novembre 2023.

 

Une vision à long terme plus positive

M. Goldstein ne partage pas la vision sombre de nombreux investisseurs. Selon lui, ils se focalisent sur le panorama global. La question n’est pas de savoir quand nous aurons notre argent, mais à quelle vitesse la demande augmentera.

Morningstar s’attend désormais à ce que la demande de lithium augmente de 20% par an. La production devrait passer d’environ 800 000 tonnes l’an dernier à 2,5 millions de tonnes en 2030, selon M. Goldstein, qui prévoit également que les prix du lithium se stabiliseront d’ici la fin de l’année. L’année prochaine, ils devraient repartir à la hausse. En outre, il s’attend à ce que le prix du lithium dépasse les 12 000$US la tonne jusqu’en 2030. Il prévoit un prix moyen à long terme d’environ 30 000$US la tonne.

 

Albermarle va-t-elle gagner?

Selon M. Goldstein, Albemarle est bien placée pour profiter de cette tendance, car ses coûts de production sont inférieurs à ceux des autres producteurs de lithium. Cet avantage découle des droits d’exploitation que détient Albemarle sur Salar d’Atacama, un immense lac salé au Chili, où le lithium est extrait par évaporation de la saumure. Située dans l’une des régions les plus arides de la planète, avec des précipitations minimes, la région peut se targuer d’avoir la plus forte concentration de lithium au monde.

Il s’agit également d’une vision à long terme. Il a depuis longtemps une opinion positive d’Albemarle, en partie en raison de sa solidité financière. Ses ratios d’endettement net et de marge brute (avant intérêts, impôts et dépréciation) sont sains, ce qui indique que l’entreprise peut faire face à ses obligations financières tout en continuant à verser des dividendes.

La solidité financière d’Albemarle reste intacte malgré les importants investissements prévus pour augmenter sa production sur les sites existants. Elle peut largement les financer grâce à ses bénéfices, ce qui ne nécessite qu’un minimum d’emprunts extérieurs. En outre, la société pourrait utiliser ses réserves de liquidités pour faire de nouvelles acquisitions ; les banquiers d’affaires prévoient une vague de fusions et d’acquisitions dans les années à venir.

 

SQM: plan de nationalisation

SQM, comme Albemarle, tire profit de l’exploitation des lacs salés. L’extraction du lithium à partir de la saumure est beaucoup plus rapide et plus rentable que l’exploitation de mines, qui est une opération coûteuse.

Toutefois, la licence de SQM pour Salar de Atacama expire bien plus tôt que celle d’Albemarle, en 2030. Cette situation présente un risque en raison du plan du gouvernement chilien, annoncé au printemps dernier, visant à nationaliser progressivement l’extraction du lithium. M. Goldstein pense que la probabilité que le gouvernement réussisse est aussi élevée que la possibilité qu’il échoue, étant donné les tendances conservatrices du Congrès chilien.

En outre, SQM ne dépend pas uniquement des revenus provenant du Chili ; elle est, par exemple, également impliquée dans l’extraction de lithium dans une mine australienne par le biais d’une coentreprise avec Wesfarmers. Les coûts de ce projet sont relativement faibles, mais plus élevés que ceux de Salar d’Atacama.

 

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Les deux entreprises sont sous-évaluées

Enfin, un coup d’œil sur les valorisations des actions. Les deux titres sont sous-évalués en bourse, mais Albemarle plus que SQM. Le 17 novembre, le cours de clôture de SQM était de 50,66$US, contre une juste valeur de 95$US. Pour Albemarle, ces chiffres sont de 127,39$US contre 300$US.

Et la bonne nouvelle supplémentaire pour les actionnaires d’Albemarle? Son statut d’aristocrate du dividende. Depuis 1995, l’entreprise a toujours versé un dividende plus élevé par action chaque année. M. Goldstein s’attend à ce que cela reste une priorité pour la direction de l’entreprise.

Le cours de SQM, quant à lui, fluctue autour de 50$US, contre une juste valeur de 95$US, et M. Goldstein a laissé sa juste valeur inchangée après les derniers chiffres trimestriels.

Dans le cas d’Albemarle, Goldstein a abaissé la juste valeur de 350$US à 300$US pour tenir compte des effets à court terme de la baisse du prix du lithium. Mais même après cette réduction, sa juste valeur reste nettement supérieure à son cours actuel d’environ 127$US.

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