Greg Kushnir (à gauche), PDG d'Emrod, et Ray Simpkin, directeur scientifique d'Emrod (à droite), debout à côté de l'une des antennes système prototypes de l’installation de test en Nouvelle-Zélande. (Photo: courtoisie)
Si cette entreprise gagne son audacieux pari, sa technologie pourrait bien révolutionner le monde de l’énergie, car elle essaie de transmettre de l’électricité sans utiliser un réseau de fils électriques sur de longues distances.
Cette entreprise se nomme Emrod, et elle est située en Nouvelle-Zélande. Récemment, le magazine britannique The Economist a publié un article à son sujet (Electricity can be transmitted through the air).
«Actuellement, notre système prototype intérieur transmet de l’électricité sans fil entre deux antennes situées à 37 mètres l’une de l’autre», écrit dans un courriel à Les Affaires la directrice du marketing, Natalie Robinson.
Cette distance de 37 mètres représente en fait la longueur du bâtiment à l’intérieur duquel Emrod a installé son prototype, précise-t-elle. «Notre prochain projet pilote sur le terrain transmettra de l’énergie sur une distance beaucoup plus longue.»
La transmission de l’électricité sans fil n’est pas une idée nouvelle, rappelle The Economist.
Le célèbre ingénieur électrique et mécanique Nikola Tesla a travaillé sur cette technologie au début du 20e siècle, dans un laboratoire situé à Long Island, dans la région de New York.
En 1901, il avait commencé à construire une tour — la Wardenclyffe Tower — dans le cadre d’une expérience de transmission d’information et d’électricité sans fil sur de longues distances.
Mais cette expérience a fonctionné à moitié, souligne le magazine britannique.
Comme Tesla l’avait prédit, les communications sans fil ont eu un impact majeur qui ont changé le monde, avec l’invention de la téléphonie sans fil dans le seconde moitié du 20e siècle.
Par contre, l’inventeur n’a pas réussi à amener l’énergie électrique elle-même à voyager très loin. Aussi, après quelques années, les travaux sur cette technologie ont cessé et la tour a ensuite été mise au rebut pour aider à rembourser les dettes.
Cette idée n’a toutefois pas été complètement oubliée.
En 1975, la NASA, l’agence spatiale américaine, a utilisé des micro-ondes pour envoyer 34 kilowatts d’électricité sur une distance de 1,6 kilomètre — un record qui tient toujours.
Par contre, ce procédé n’a jamais été développé pour un usage commercial.
Jusqu’à 40 KM, voire plus
Pour l’instant, Emrod est donc loin du compte avec son pilote transmettant de l’électricité sans fil sur une distance de 37 mètres.
Actuellement, l’entreprise néo-zélandaise affirme être en discussion avec un partenaire potentiel pour faire son premier projet pilote à l’extérieur. «Nous prévoyons commencer l’installation d’un projet sur le terrain d’ici juin 2021», indique Natalie Robinson.
Emrod prétend que sa technologie permettra à terme de transporter de l’électricité sans fil sur de longues distances.
Emrod pense que son système sera utile dans le dernier kilomètre d’un réseau de distribution. (Photo: courtoisie)
«Nous nous attendons à ce que la distance dans les cas d’utilisation typiques atteigne jusqu’à 40 km. Cependant, cela peut être prolongé en utilisant une technologie de relais propriété d’Emrod», précise la directrice du marketing.
Si l’entreprise arrive à commercialiser son système, elle estime que sa technologie sera bien adaptée aux situations où il serait autrement très coûteux et difficile d’installer et d’entretenir une infrastructure de lignes électriques.
On parle ici par exemple de terrains difficiles tels que les cours d’eau, les forêts ou les montagnes.
Emrod pense que son système sera utile dans le dernier kilomètre d’un réseau de distribution, transportant l’énergie produite à partir de sources renouvelables vers des endroits difficiles d’accès.
Son système pourrait aussi être utile pour d’autres applications telles que l’alimentation de tours cellulaires éloignées et l’alimentation des navires à quai.
Plusieurs défis, selon un spécialiste
Sur papier et en pratique (mais à très petite échelle), la technologie de cette entreprise semble prometteuse, d’autant plus que la NASA a déjà réussi à transmettre de l’électricité sur une distance de 1,6 km.
Par contre, Emrod fait face à plusieurs défis, selon Jean-Jacques Laurin, professeur titulaire au Centre de Recherche Poly-Grames du département de génie électrique à Polytechnique Montréal, qui s’est penché à notre demande sur sa technologie.
«La proposition de la société a un sens et est supportée par une bonne base théorique et pratique aux fréquences optiques. Cela reste quand même un grand défi de réalisation aux fréquences micro-ondes», insiste ce spécialiste.
Par exemple, pour transporter des micro-ondes (où la longueur d’onde est de l’ordre du centimètre), il faut une grande surface d’émission, ce qui peut représenter un défi technique.
L’efficacité de la conversion d’énergie électrique en micro-ondes est un autre enjeu, selon Jean-Jacques Laurin. Emrod affirme avoir un taux d’efficacité d’environ 60%, ce qui signifie, autrement dit, des pertes de 40% lors du processus de conversion.
«Cela me semble optimiste compte tenu de l’utilisation de relais», souligne le professeur.
Par ailleurs, l’entreprise risque de faire face à un défi au niveau de l’opinion publique, croit Jean-Jacques Laurin. «Une réaction du public sur la sensibilité aux ondes électromagnétiques est à prévoir, particulièrement parce qu’on parle de puissances assez fortes», dit-il.
Au fil des décennies, des groupes de citoyens ont critiqué de par le monde l’installation d’antennes à relais pour la téléphonie mobile, évoquant un risque potentiel pour leur santé en raison de l’impact des micro-ondes.
On pourrait donc s’attendre au même type de réactions avec la transmission d’électricité sans fil si jamais cette technologie est commercialisée à grande échelle.
Emrod fait valoir que sa technologie se comporte très différemment des tours de téléphonie cellulaire, car ces dernières transmettent de l’énergie dans toutes les directions (omnidirectionnelle).
«La technologie d’Emrod transmet plutôt l’énergie directement d’un point à un autre point dans un faisceau à colonnes (unidirectionnel). Elle se comporte donc davantage comme une ligne électrique que comme une tour de téléphonie cellulaire», souligne Natalie Robinson.