Quand le public finance la contamination... et la décontamination


Édition du 01 Février 2014

Quand le public finance la contamination... et la décontamination


Édition du 01 Février 2014

À l'ancienne usine d'Aleris Aluminium Canada, à Trois-Rivières, plus de 24 000 litres d'hydrocarbures se sont infiltrés dans l'eau souterraine au fil des ans. Difficile de savoir qui devra payer la décontamination, mais le gouvernement lui-même est en partie responsable de ce désastre, par l'intermédiaire de l'ancienne Société générale de financement. En 2010, la SGF a refusé de contribuer au nettoyage, selon plusieurs documents confidentiels obtenus par Les Affaires.

Consultez notre carte interactive et notre enquête sur les terrains contaminés.

Pendant neuf ans, l'institution financière provinciale a été partenaire des entreprises qui ont exploité l'usine de laminage d'aluminium : l'américaine Reynolds (rachetée par Alcoa), puis la britannique Corus plc. La part de la SGF dans la société en commandite atteignait 50 % de 1997 à 2000, puis 40 % jusqu'en 2006, quand l'américaine Aleris l'a rachetée.

La société d'État a fait cet investissement alors que Claude Blanchet, le mari de la première ministre actuelle, venait d'en être nommé pdg.

Aujourd'hui intégrée à Investissement Québec, la SGF a reconnu sa responsabilité lors de la cession de la société de laminage à Aleris International inc., en 2006. Selon une clause du contrat de vente, le passif de la société d'État pouvait atteindre 60 millions d'euros (€) en dommages environnementaux, connus et inconnus, soit plus de 90 millions de dollars aujourd'hui.

À l'époque de la vente, le partenaire de la SGF était la britannique Corus qui, de son côté, se reconnaissait une responsabilité pouvant atteindre 405 M€, soit plus de 615 M$.

Pourtant, les deux sociétés ont refusé net de participer à la décontamination du site en 2010, pendant les procédures de faillite d'Aleris Canada. Le propriétaire actuel a voulu réclamer des sommes aux anciens maîtres des lieux en vertu des clauses au contrat de vente. Pas question, a répondu l'avocat de Corus et de la SGF. «Les indemnités prévues étaient destinées à Aleris International, inc. en tant que garant» et «les indemnités ne peuvent être réclamées» par une autre entité, affirme une lettre confidentielle du bureau Fraser Milner Casgrain au syndic Richter.

Trois ans plus tard, l'homme d'affaires américain Tim Martinez - qui a racheté le terrain et les immeubles pour 1 $ en 2009 - assure que ce refus vient miner toute possibilité de décontamination. Mais Investissement Québec n'a pas changé d'avis. «Le prix de la transaction avec Aleris International reflétait l'état de l'usine et du terrain. Lors de cette transaction, la SGF a essuyé des pertes de 30 M$», écrit la porte-parole Chantal Corbeil dans un courriel.

Elle ajoute que la société d'État «n'a pas reçu de demande du MDDEFP» pour participer financièrement à la décontamination.

Investissement Québec souligne également que la société mère d'Aleris International, signataire de la transaction de 2006, existe toujours. L'entreprise exploite en effet 43 usines en Chine, en Europe, au Mexique, aux États-Unis... et même en Ontario ! À la fin du troisième trimestre de 2013, elle détenait pour 551 M$ US de liquidités.

Le rôle d'un géant de l'aluminium

L'américaine Alcoa, qui fait en ce moment pression sur le gouvernement afin d'obtenir de meilleurs tarifs d'électricité pour ses trois alumineries du Québec, a aussi reconnu sa part de responsabilité dans la contamination.

Consultez notre carte interactive et notre enquête sur les terrains contaminés.

En 2000, la multinationale a avalé sa rivale Reynolds, qui était partenaire à 50 % de la SGF dans l'usine du Cap-de-la-Madeleine.

Quand Alcoa a vendu ses parts de la société en commandite à Corus plc en 2000, l'entreprise a accepté de financer une partie de la décontamination.

En 2002, des experts ont visité le site pour Alcoa. Leur rapport évalue les responsabilités environnementales de l'entreprise à 75 % des zones de contamination caractérisées à l'époque. Le document ne concerne cependant que le pétrole qui flotte au-dessus de la nappe phréatique, et non l'ensemble des eaux contaminées aux hydrocarbures. Mais l'entreprise se reconnaît majoritairement responsable d'une accumulation de 24 000 litres au-dessus de la nappe phréatique.

Interrogée par Les Affaires, Alcoa Canada inc. assure qu'elle a décontaminé les zones polluées sous son règne. «En 2009, l'entreprise a complété tous les travaux de réhabilitation liés aux impacts environnementaux causés par ses activités», assure un courriel de la direction transmis par une porte-parole.

Le ministre du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs a multiplié les ordonnances contre Tim Martinez, propriétaire actuel du terrain, et son démolisseur, Recyclage Arctic Béluga, de Shawinigan. Mais jusqu'ici, le MDDEFP n'a pas sollicité les anciens exploitants de l'usine, comme le lui permet pourtant la Loi sur la qualité de l'environnement et la jurisprudence.

Le ministre Yves-François Blanchet pourrait toutefois en arriver là. «Pour ce qui est de la suite des choses, le MDDEFP n'exclut aucun recours contre les propriétaires actuels ou antérieurs ou les responsables de la contamination pour obtenir la réhabilitation du terrain», mentionne Geneviève Tardy, conseillère politique au cabinet du ministre en matière de sites contaminés.

Avocat en droit de l'environnement chez Sheahan et associés, Paul Granda confirme que le gouvernement peut envoyer une facture aux anciens propriétaires d'un site. «La Loi sur la qualité de l'environnement permet au ministre d'émettre une ordonnance contre toute personne ou personne morale ayant émis un contaminant dans l'environnement, même si le terrain où a eu lieu l'infraction ne lui appartient plus», assure-t-il.

C'est précisément ce que voudrait le propriétaire actuel du site, Tim Martinez. Alcoa dit avoir éliminé les hydrocarbures flottant sur la nappe phréatique, mais il se demande comment l'entreprise a pu nettoyer le sol contaminé sous les bâtiments avant leur destruction... L'homme d'affaires reste sceptique et veut l'aide des anciens propriétaires pour décontaminer : Aleris, Alcoa, Corus (aujourd'hui Tata Steel) et Investissement Québec. «J'ai beaucoup de négociations à avoir, particulièrement avec le gouvernement, dit-il. Je ne croyais pas que Québec ne tiendrait pas de si grosses entreprises responsables de la pollution survenue durant les périodes où elles détenaient les installations.»

L'avenir dira s'il a l'oreille du ministre Blanchet. Pour l'instant, c'est mal parti : ses fonctionnaires ont plutôt retiré à Tim Martinez le contrôle du site et ont commandé une enquête pénale sur ses agissements dans ce dossier.

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