Investir dans le chalet et le condo de ski : une pente réservée aux experts


Édition du 27 Février 2016

Investir dans le chalet et le condo de ski : une pente réservée aux experts


Édition du 27 Février 2016

Par Matthieu Charest

[Photo : Shutterstock]

L'idée de posséder une demeure à proximité des pentes de ski fait l'envie de plusieurs amateurs de sport de glisse. Du moins, de ceux qui ont su apprivoiser la saison froide. Remonte-pente à distance de marche, feu de foyer en soirée et verre de rouge à savourer pendant l'après-ski ; la combinaison a de quoi susciter l'envie. Mais au-delà de ces rêves de nids douillets et de pentes recouvertes de poudreuse à dévaler, ces propriétés en bord de pistes représentent-elles un bon investissement ?

Des données à peu près inexistantes

Premier constat, il n'existe presque pas de données sur le sujet. Il est impossible d'obtenir des statistiques pertinentes dans le créneau très spécialisé du ski-in, ski-out, c'est-à-dire l'immobilier situé à proximité et au pied des pentes.

«C'est très difficile d'évaluer le marché de ce type de propriétés, affirme Joanie Fontaine, économiste chez JLR solutions foncières. Pour les répertorier, il faudrait les prendre une à la fois, et tenter de déterminer ce qui est "proche" d'une pente. Et malgré cela, l'échantillon n'est pas assez important pour en tirer des conclusions probantes.»

Prix élevés

Paul Cardinal, directeur du service analyse du marché de la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ), arrive au même constat. Afin de regrouper les propriétés ski-in, ski-out pour mieux les étudier, il faudrait analyser les fiches une par une. Un travail de moine.

Ce qu'on sait toutefois, c'est que l'écart de prix entre les propriétés de villégiature et le reste des résidences québécoises est en général très, très élevé.

Selon les données recueillies par la FCIQ de janvier à août 2014, les Laurentides affichent un écart de prix de + 30 % en ce qui concerne les maisons individuelles et de + 21 % dans le cas des copropriétés. En Estrie, cet écart est respectivement de + 74 % et de + 11 %. Dans la Capitale-Nationale, c'est + 26 % en faveur des maisons individuelles de villégiature, tandis qu'il n'y a pas de données pour les copropriétés.

Il existe une certaine présomption de prix élevés en faveur de l'immobilier alpin donc, mais moins élevés qu'à une certaine époque.

«Le marché [de l'immobilier alpin] est à l'avantage des acheteurs, avance Paul Cardinal. Le surplus de stock ne se résorbera pas complètement cette année», explique-t-il, sans pouvoir quantifier la chute.

Les courtiers aussi hésitent à s'avancer sur l'ampleur du recul, mais dans la région de Québec, où se trouvent le Mont-Sainte-Anne et Stoneham, certains mentionnent des diminutions de prix qui varieraient de 15 % à 30 % par rapport au dernier rôle d'évaluation.

Faut-il profiter de cette baisse pour entrer sur le marché ?

Le clan du «non»

Gardez-vous-en bien, disent certains.

«Moi, je ne touche pas à ça, lance Jacques Lépine, président du Club d'investisseurs immobiliers du Québec, qui compte 22 000 membres. [Lors d'un ralentissement économique], la première chose qui "prend la claque", c'est ce créneau-là. Et personne ne va avertir le public des dangers d'y investir. Ce n'est pas seulement du négatif, mais dans la majorité des cas, ce sont des insuccès. En fait, comme dans n'importe quel investissement immobilier, l'important est d'évaluer le gain en capital potentiel. Mais dans le "récréo", ça se vend plus cher. Les promoteurs qui font un bon travail réussissent à attirer les acheteurs. Par la suite cependant, c'est très difficile à revendre.»

M. Lépine a investi dans deux copropriétés à Bromont en 2006. Il a réussi à vendre l'une d'elles en 2015, mais au même prix qu'il l'avait payée à l'époque. Entre l'achat et la revente, il a bien réussi à les louer à l'année, mais il manquait probablement 200 $ par mois pour couvrir ses frais, explique-t-il. Il espérait que l'effervescence de la construction dans le secteur occasionnerait un boom, qu'il obtiendrait une plus-value. Il a été déçu, il est maintenant échaudé.

Les formules collectives, comme les copropriétés hôtelières (condotels) ou les propriétés à temps partagé (time sharing), le laissent tout aussi froid.

Il y a eu plusieurs histoires d'horreur quant aux condotels, notamment à Tremblant, raconte-t-il. «Un condo est vendu 350 000 $ alors qu'il vaut 200 000 $, parce qu'on pense qu'il permettra d'empocher des revenus de location, généralement de 40 %. Mais il n'y a aucune garantie. Beaucoup de gens se sont fiés au fait que de grands noms de l'hôtellerie étaient derrière ça pour y investir. Mais ce sont souvent des franchises. Et il y a eu plusieurs faillites», explique-t-il.

L'un des membres du Club d'investisseurs immobiliers du Québec, qui a préféré garder l'anonymat, nous a confié sa mésaventure relativement à une copropriété hôtelière dans la région de Québec.

«Quand je l'ai achetée à la fin des années 1980, le service était bon. Puis, si à certains moments ça marchait fort, ce n'était pas toujours le cas. Quand j'ai fini par vendre mes parts, c'était devenu plus désuet. Ça avait perdu de son lustre. J'aimais bien y aller, mais financièrement, ça n'a pas été un bon coup. Il y a beaucoup de pièges dans le time sharing, et j'ai déjà entendu plusieurs histoires de gens qui se sont fait arnaquer.»

Le clan du «ça dépend»

Cependant, tous ne croient pas nécessairement à la mauvaise affaire automatique.

La règle d'or en immobilier, soutient Sébastien Jean, évaluateur agréé et directeur, conseils et transactions chez PwC, c'est «de savoir payer le juste prix». On peut trouver des occasions sur le marché. Il reconnaît néanmoins que plusieurs propriétés sont en vente près des pistes en ce moment, dont à Tremblant. «Je ne suis pas certain que la correction des prix [vers le bas] soit terminée», dit-il.

M. Jean suggère aux acheteurs intéressés de s'adjoindre les services d'un évaluateur agréé qui connaît bien le secteur. «Il ne faut pas se fier uniquement aux courtiers. Ils touchent une commission. Ils sont donc nécessairement moins indépendants.»

D'après Jean-François Laurin, directeur régional, Est du Canada, spécialiste hypothécaire mobile à la Banque TD, cela dépend de notre profil d'investisseur. «Ça peut être un bon investissement, mais le risque est élevé. Un chalet, ou une copropriété près des pentes, c'est un bien de luxe. Et c'est précisément ce type de bien qui peut être secoué par la conjoncture économique. Les prix varient énormément, c'est très volatil. On l'a vu à Tremblant après la crise en 2008, le marché a été très touché.»

En règle générale, poursuit M. Laurin, la proportion du portefeuille de placement en revenus fixes d'une personne devrait correspondre à son âge. L'immobilier peut être considéré comme un revenu fixe.

Si l'immobilier est un secteur intéressant pour un investisseur prudent, explique M. Jean, il faut avoir un profil «intermédiaire» ou «aguerri» afin d'investir dans le secteur récréotouristique.

Le gain en capital est aléatoire, mais peut-on au moins tirer de bons revenus ?

Sébastien Jean ne pense pas que les revenus de location puissent couvrir l'ensemble des frais encourus. «C'est très volatile, et ça fluctue aussi selon mère nature.» Au total, on peut penser offrir sa propriété en location une quarantaine de jours par année. «Surtout de la mi-décembre à la mi-mars. En somme, ça représente quoi, 10 % de l'année ?»

Les revenus fluctuent énormément. À Tremblant, une copropriété peut se louer de 200 à 300 $ par jour pendant la haute saison, estime Paul Dalbec, courtier immobilier et propriétaire de l'agence Royal LePage Mont-Tremblant.

À Bromont, le loyer d'un grand chalet peut être de 10 000 à 20 000 $ pour la saison hivernale, d'après Charles Désourdy, président de Bromont Immobilier.

Bien sûr, dans les deux cas, le montant repose sur la localisation, l'offre et la demande, le nombre de chambres et la qualité des lieux.

«Il est vrai que les copropriétés hôtelières, ce n'est pas pour tout le monde, mais c'est un bon placement», soutient de son côté Henri A. Roy, président et propriétaire du Château Mont-Sainte-Anne, où se trouve une partie transformée en condotel, l'Espace Nordik.

«Ce qui nous aide, c'est que nous avons un centre de congrès très fréquenté. Le taux d'occupation est donc plus élevé : environ 50 %, tandis que la norme est plutôt de 30 %. On vend beaucoup de studios à partir de 165 000 $, qui peuvent être loués si leurs propriétaires ne les occupent pas. La distribution se fait chaque soir en parts égales entre les propriétaires [qui n'ont pas occupé leur propriété ce jour-là]. Je dirais que vous pouvez vous attendre à un rendement de 5 % de votre mise de fonds, peut-être de 2 000 à 4 000 $ par année.»

Charles Désourdy, président de Bromont Immobilier, qui vient d'investir 80 millions de dollars dans un nouveau projet d'habitations, Faubourg 1792, ne pense pas qu'en achetant du neuf un investisseur puisse faire beaucoup d'argent par la location. Mais à terme, il ne considère pas que ce soit un achat très risqué, surtout parce que la cohorte de baby-boomers recherche cette qualité de vie là. «Je pense que tu vas faire un bon rendement en revendant dans 10 ou 15 ans, dit-il, en revenant sur la possibilité d'un gain en capital. Un excellent placement, c'est d'acheter un terrain propice à la construction de ski-in, ski-out, ajoute-t-il.»

Et si on n'achetait pas que pour l'argent ?

D'accord, le gain en capital est aléatoire, et les revenus de location sont incertains. Et si on n'achetait pas uniquement à des fins d'investissement ?

C'est sous cet angle qu'il est préférable d'envisager la question, croient la plupart des experts interrogés. «Il ne faut pas négliger l'investissement dans sa qualité de vie ; ça aussi, c'est important», dit Jean-François Laurin.

«Une résidence secondaire permet de jouir des lieux. Un REER, pas vraiment... En fait, la première question à se poser lors de l'achat d'une résidence secondaire, c'est : "Est-ce que j'achète comme une entreprise ou pour moi ?"« renchérit Martin Desfossés, investisseur immobilier et porte-parole chez DuProprio.

Une question fort importante, souligne Sébastien Jean. Le choix doit être très clair dans l'esprit de celui qui achète. «Si tu veux louer ta propriété pour en tirer des revenus, tu ne pourras pas y aller pendant les périodes de l'année qui sont intéressantes. Et si tu prêtes ton condo à toute la famille, tu ne feras pas beaucoup d'argent...»

[Photo : Shutterstock]

TOUR D'HORIZON DE QUATRE MARCHÉS IMMOBILIERS PRÈS DE CENTRES DE SKI RÉPUTÉS

Tremblant

«Dans le passé, il y a eu des gens qui ont fait de bonnes affaires. Mais le deal du siècle n'existe plus vraiment. On n'achète pas ce type de propriété pour faire 10 % de rendement par année, mais on peut espérer de 3 à 5 %. Ça devient intéressant pour un propriétaire qui le loue, ça diminue ses frais.» - Paul Dalbec, courtier immobilier et propriétaire de l'agence Royal LePage Mont-Tremblant

Saint-Sauveur

«C'est la ville de prédilection en raison de sa situation géographique. C'est près de Montréal, là où est l'argent. On ne se trompe absolument pas en investissant à Saint-Sauveur. Le marché est équilibré, mais on peut toujours trouver d'excellentes occasions dans l'immobilier. Il y a encore plusieurs propriétés à rénover, qui pourraient être revendues à profit.» - Martin Desfossés, investisseur immobilier et porte-parole chez DuProprio

Estrie (Bromont, Orford)

«Peu de mes clients achètent dans le but de louer leurs propriétés à court ou à moyen terme. En fait, on trouve assez peu d'investisseurs dans notre secteur. C'est une tendance qu'on observait davantage dans le passé. Je dirais que, depuis une dizaine d'années, c'est plus rare. C'est peut-être dû à notre proximité avec Montréal. Ce n'est pas très loin pour aller faire du ski une journée et revenir le soir même. Il arrive que des gens louent une résidence dans le coin, mais ce n'est pas fréquent. Les villes ont aussi resserré les règles en ce qui concerne les locations à court terme : ça a été un frein pour ce type d'investissement.» - Christian Longpré, courtier immobilier et directeur de l'agence Royal LePage Au Sommet

Capitale-Nationale (Mont-Sainte-Anne, Le Massif)

«Le marché est en train de changer. Depuis 2013, l'avantage se trouve significativement du côté des acheteurs. La correction des prix vers le bas a été très importante. Au Mont-Sainte-Anne, les prix ont chuté de 30 % en moyenne par rapport à l'évaluation municipale, de décembre 2014 à décembre 2015. À Saint-Ferréol-les-Neiges, entre le Massif de Petite-Rivière-Saint-François et Sainte-Anne, la correction a été de 14 % ; au Massif, la correction a été très forte aussi. Je ne crois pas que la correction soit terminée, mais elle sera sans doute beaucoup moins prononcée.» - Jean-François Larocque, courtier immobilier Royal LePage Inter-Québec

DEUX CHOSES À SAVOIR

1. Si vous achetez une propriété alpine en vue de la louer, il est important de vous informer des restrictions de la municipalité quant aux termes de location. À Saint-Sauveur, par exemple, les baux à court terme (un week-end) ne sont pas acceptés. Pour ce type de baux, il faut un permis. «Mais on peut louer à l'année ou à la saison, précise Martin Desfossés, investisseur immobilier et porte-parole chez DuProprio. Notons que les banques ne prennent pas en considération les revenus de location à court terme au moment de contracter un prêt hypothécaire.»

2. Le montant standard consacré à la mise de fonds à l'achat d'une propriété secondaire, «c'est 20 %, explique Jean-François Laurin, de la Banque TD. Je ne me souviens pas de la dernière fois qu'un de mes clients a versé moins que ça».Pour rendre l'investissement moins risqué, «on pourrait penser à verser 35 % en mise de fonds», suggère Sébastien Jean, de PwC. Plus la mise de fonds est petite, plus le gain en capital est potentiellement important à terme. Mais ici aussi, il s'agit d'une question de tolérance au risque. Ainsi, plus la mise de fonds est petite, plus est élevé le risque qu'une dévaluation de la propriété résulte en un prêt excédant la valeur de celle-ci.

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