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Partage de données médicales personnelles: mine d’or ou bombe?

La Presse Canadienne|Publié le 04 septembre 2020

L’enjeu semble délicat, parce que rares sont les entreprises qui veulent s’exprimer.

Les entreprises pharmaceutiques sont conscientes de leur « mauvaise image de marque » et la plupart d’entre elles ne veulent surtout pas toucher aux données personnelles des Québécois, une « bombe à retardement ».

C’est ce qu’a indiqué un des représentants de l’industrie, dans le débat sur le recours aux données médicales individuelles en vue de faire avancer la recherche ou attirer des investissements ici.

L’enjeu semble délicat, parce que rares sont les entreprises qui veulent s’exprimer, même parmi les géants, a constaté La Presse canadienne.

À l’origine de cette controverse : en commission parlementaire il y a deux semaines, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, avait fait savoir qu’il projetait de monnayer les données confidentielles des particuliers recueillies par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), « une mine d’or », afin d’attirer ici les investissements des entreprises pharmaceutiques.

Québec solidaire (QS) et le Parti québécois (PQ) ont alors accusé le gouvernement caquiste de brader les données personnelles des Québécois, en soulevant notamment le risque de vol de données, des enjeux éthiques, ainsi que la menace des géants pharmaceutiques malveillants.

« Le ministre a dit tout haut ce que l’ensemble de la communauté de la recherche reconnaît : lorsqu’on fait un usage adéquat (des données), il peut y avoir des impacts forts intéressants en matière de recherche, a commenté Frédéric Alberro, le directeur de la section Québec de l’organisme Médicaments novateurs Canada, qui représente une quarantaine d’entreprises en recherche. Mais l’industrie ne souhaite pas avoir des données brutes. »

« Bombe » ou « mine d’or »

« Conscientes de leur très mauvaise image de marque, la plupart des compagnies pharmaceutiques disent qu’elles ne veulent surtout pas toucher aux données, parce que ça deviendrait potentiellement géré comme une sorte de bombe à retardement », a expliqué Frank Béraud, le président de Montréal Invivo, un organisme qui regroupe à la fois les entreprises, les gouvernements et les organismes de recherche.

Les données sont−elles une « mine d’or » qui pourrait servir à appâter des géants pharmaceutiques au Québec ? Pas vraiment, a poursuivi M. Béraud, dans une entrevue avec La Presse canadienne.

« C’est une mine d’or pour la population, en raison des découvertes qu’on peut faire à partir de ça. Mais est−ce financièrement si payant ? Je ne penserais pas. »

L’accès à des données serait un des atouts parmi d’autres pour séduire un investisseur, avec le régime fiscal, des chercheurs de pointe et un réseau universitaire de qualité.

Mais quelles données au juste ? En fait l’industrie ne veut pas les données. Elle souhaite avoir des réponses, avec des questions qu’on transmettrait de façon fluide à un bassin de données fiables, confidentielles, sécuritaires, anonymes, plaide-t-on.

La France et l’Écosse ont déjà mis sur pied un encadrement et un mécanisme. « On ne serait pas les premiers à le faire, on essaie juste de ne pas manquer complètement le bateau », a plaidé M. Béraud.

L’Ontario a mis en place un guichet unique de données médicales, géré et analysé par des chercheurs dans un organisme. Ainsi une entreprise peut poser des questions précises sur l’effet de tel médicament sur tel groupe de population, par exemple, et elle obtient une réponse.

« En quatre mois, en Ontario, vous avez une réponse, a évoqué M. Béraud. Si vous faites le même genre de demande au Québec, ça peut prendre deux ou trois ans. » 

Résultat : des entreprises soumettent des dossiers pour de nouveaux médicaments en ayant recours à des données ontariennes, voire américaines. Or ces populations n’ont pas le même profil ou le même bagage de santé que le Québec.

En outre, une société pharmaceutique choisira d’entreprendre un tel projet dans telle ville ou tel État plutôt qu’ailleurs, parce que la réponse à des questions de recherche dirigées vers une banque de données est venue rapidement, a expliqué M. Alberro.

« Quand on a des processus rapides, l’entreprise peut alors décider rapidement : parfait, je mets en place mon projet avec le chercheur de tel centre hospitalier universitaire et le projet de recherche est lancé. »

Il y a un « vaste consensus sur la nécessité » de moderniser, de réformer le cadre actuel au Québec, mais il n’est pas question d’imposer un échéancier, a tempéré M. Alberro.

Pour sa part, M. Béraud a suggéré que la formule d’un guichet unique de données provenant autant d’établissements de santé et de la RAMQ pourrait être mise sur pied, à l’instar de l’Ontario.

Plusieurs entreprises pharmaceutiques ont été contactées, grandes et petites, mais bien peu ont répondu. Merck a recommandé de s’adresser à Médicaments novateurs Canada. GSK a demandé d’obtenir des questions écrites. Bausch Health a indiqué qu’elle ne s’est « pas du tout penchée là-dessus ». Therapeutic Knight n’a pas fait de suivi.

Novartis a toutefois fourni une réponse écrite : « Nous voyons d’un bon œil les discussions actuelles, la possibilité de perfectionner les principes et pratiques visant à assurer l’utilisation responsable des données dans le contexte de l’émergence de technologies de la santé, ainsi que les occasions de renforcer la confiance des patients et des intervenants tout en répondant aux besoins thérapeutiques des patients et en permettant la mise au point éventuelle de traitements novateurs », a écrit le directeur général − Oncologie, de Novartis Pharma Canada, Christian Macher.