Outaouais: les chirurgies au privé sont 140 fois plus nombreuses
La Presse Canadienne|Mis à jour le 11 juillet 2024Dans cette région, les chirurgies du privé sont passées de 0,5% à 49% en deux ans. (Photo: La Presse Canadienne)
La forte hausse de nombre de chirurgies réalisées dans le secteur privé en Outaouais inquiète l’IRIS. Dans cette région, les chirurgies du privé sont passées de 0,5% à 49% en deux ans. L’IRIS révèle les répercussions sur le réseau public et il craint que les autres régions du Québec subissent le même sort.
Selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux obtenues par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) via une demande d’accès à l’information, le nombre de chirurgies réalisées en centres médicaux spécialisés en Outaouais est passé de 46 en 2020-2021 à 6601 en 2022-2023.
Le nombre de chirurgies effectuées dans les hôpitaux publics de la région est passé de 9114 en 2020-2021 à 6940 en 2022-2023, ce qui représente une diminution relative de 24%. «C’est la région où la diminution a été la plus forte à l’exception du Nord-du-Québec où il y a une diminution de 27%», indique Anne Plourde, chercheuse à l’IRIS, spécialisée dans les politiques de santé.
Dans le reste du Québec, le nombre total de chirurgies effectuées dans le secteur public a connu une hausse de 4% au cours de la même période.
Tout indique que cette chute importante du nombre de chirurgies effectuées dans les hôpitaux publics de l’Outaouais est directement liée à la stratégie de privatisation massive des chirurgies retenue par le CISSS de la région, soutient un communiqué de l’IRIS.
Il reconnaît toutefois que la position géographique de l’Outaouais — le fait que ce soit une région un peu plus éloignée et qu’elle soit près de l’Ontario — favorise un exode du personnel.
«C’est clair que le fait que l’Ontario soit une province voisine, qu’il y ait des salaires plus élevés là-bas, ça joue un rôle certainement dans le fait que l’Outaouais a plus de difficulté qu’ailleurs à offrir des services adéquats à sa population», affirme Anne Plourde.
Elle estime toutefois que «la crise que traversent notamment les services en chirurgie en Outaouais» ne peut s’expliquer uniquement par ce phénomène puisque la crise prend de l’ampleur de manière significative.
«En faisant notre analyse, on a constaté que l’Outaouais se démarque également par une privatisation beaucoup plus importante que n’importe quelle autre région du Québec», souligne la chercheuse.
«Cette privatisation très rapide et très massive a eu des effets sur la capacité des établissements publics à continuer d’offrir des chirurgies au même niveau qu’avant.»
Il est à noter que les données concernent des chirurgies au privé qui sont remboursées par la Régie de l’assurance maladie du Québec.
Des chirurgies qui ne s’équivalent pas
La privatisation des chirurgies a permis en quelque sorte d’en augmenter le volume total. Cependant, les chirurgies dans le secteur privé sont électives, c’est-à-dire non urgentes. «Dans le cas de l’Outaouais, la très grande majorité (86 %) de l’augmentation du nombre total de chirurgies réalisées est due à des chirurgies de la cataracte, en ophtalmologie, pointe Anne Plourde. Ç’a permis d’augmenter le volume total, mais presque exclusivement dans une seule catégorie.»
Selon elle, les chirurgies du privé se font au détriment du public. Elle trouve préoccupant que l’augmentation du nombre de chirurgies en clinique privée amène une baisse des capacités des établissements publics à faire des chirurgies. «Ça se traduit par une diminution du nombre de chirurgies faites dans le secteur public», signale Anne Plourde.
Elle ajoute que dans le secteur privé, on prend en charge seulement des patients qui sont plutôt en bonne santé, qui n’ont pas de comorbidité ou de risque de complications.
«Si on augmente fortement les chirurgies faites dans le privé, mais que ça se fait au détriment du public, on s’enlève des capacités de prendre en charge les chirurgies les plus urgentes et aussi les patients les plus vulnérables, les plus malades, avec les plus grands besoins», souligne Anne Plourde. Ça, c’est vraiment inquiétant, surtout qu’on sait que cette tendance de privatisation des chirurgies, elle n’est pas confinée à l’Outaouais. (…) C’est aussi une réalité dans le reste du Québec, c’est une orientation du gouvernement de privatiser les chirurgies et on peut craindre que ces conséquences qu’on observe en Outaouais finissent par se produire dans d’autres régions du Québec si elles suivent la même voie que l’Outaouais.»
«Vampirisation des ressources»
Les chirurgies qui sont privatisées dans des centres médicaux spécialisés sont pour la plupart pratiquées par des médecins du régime public qui pratiquent dans ces cliniques.
Selon Anne Plourde, il s’agit littéralement d’un transfert de ressources du public vers le privé. Elle souligne que ces cliniques sont confrontées à la même pénurie de personnel qu’ailleurs dans le réseau.
«Le problème, c’est qu’on nous présente souvent l’ouverture de cliniques privées comme un ajout de nouveaux services, mais en réalité ces cliniques viennent piger dans le même basin de main-d’œuvre que les établissements publics, fait valoir la chercheuse. Si l’ajout de services dans le secteur privé se fait au détriment du secteur public, ce qu’on observe en Outaouais, c’est qu’il n’y a pas de gain qui est fait.
«Ce transfert de personnel fait une espèce de vampirisation des ressources des établissements publics par ces cliniques.»
Pour Anne Plourde il est clair que le privé en santé ne fonctionne pas. Au contraire, elle affirme que la privatisation des services est en partie ce qui explique que le système public éprouve des difficultés actuellement.
«Le cas de l’Outaouais illustre assez bien que la voie qui a été retenue dans les dernières années de privatiser une part grandissante des chirurgies dans le secteur privé et dans des entreprises privées à but lucratif, cette voie, elle est délétère pour les hôpitaux publics, pour la capacité du système public à réaliser des chirurgies», dit-elle.
Le gouvernement devrait remettre cette orientation en question, selon elle.