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Philippe Leblanc

Entre les lignes

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Expert(e) invité(e)

M. Bear et M. Bull en pleine pandémie de COVID-19

Philippe Leblanc|Publié le 15 mai 2020

M. Bear et M. Bull en pleine pandémie de COVID-19

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. J’ai remarqué un fait au fil des ans; qu’ils soient optimistes ou pessimistes, les gens ont tendance à se camper dans leur opinion. Il y a un biais psychologique, qui s’appelle le biais de la confirmation, selon lequel on tend à porter attention et à retenir seulement les informations qui confirment nos idées préconçues. C’est pourquoi changer d’idée relève souvent de l’impossible.

Voici donc une petite conversation entre mes deux amis, M. Bull, éternel optimiste, et M. Bear, éternel pessimiste, dans le cadre de la pandémie de la COVID-19 que nous traversons présentement. Dans quel camp vous placeriez-vous?

M. Bull: Les marchés boursiers ont corrigé fortement en mars après la confirmation que la COVID-19 était une pandémie mondiale. Mais avec la réaction musclée et rapide de nos gouvernements, il n’est pas surprenant que les marchés boursiers aient fortement rebondi. Pour les investisseurs, il est vite devenu évident que la Réserve fédérale américaine et les gouvernements occidentaux feront tout pour aider les entreprises et les individus à traverser cette crise.

M. Bear: C’est vrai, mais on ne peut pas nécessairement régler une crise sanitaire mondiale à coups de milliards de dollars. La seule façon de régler une telle situation est de se confiner à la maison et d’attendre un médicament efficace ou un vaccin. Or, les experts s’entendent tous pour dire qu’on devra attendre plusieurs mois avant que cela n’arrive. Les plus optimistes parlent d’un minimum de 12 à 18 mois. Et si les gouvernements ont agi promptement pour soutenir les entreprises et les particuliers dès le début de la pandémie, ils ne pourront pas continuer de le faire pendant des mois et des mois. Il y a des limites à l’endettement.

M. Bull: De toute manière, le déconfinement est déjà commencé. Les entreprises rouvrent graduellement et les gens recommencent à sortir et à dépenser. Ils en ont assez de rester à la maison et n’attendent que le moment où ils pourront manger au restaurant et retourner dans les magasins. On verra le creux économique au deuxième trimestre 2020 et une reprise se matérialisera dès l’automne.

M. Bear: Peut-être. Je crois toutefois que ce n’est qu’une partie de la population qui pense comme ça. De nombreuses personnes ont peur d’attraper le virus. Ce n’est pas parce que les magasins ou les restaurants sont ouverts qu’ils les visiteront. Avant que ça arrive, il faudra qu’ils se sentent en sécurité. Et je ne parle pas des voyages! Avant que les gens recommencent à voyager et à prendre l’avion… Ou à assister à des concerts… On aura besoin d’un vaccin efficace. À ce sujet, même un échéancier de 12 à 18 mois semble très optimiste pour plusieurs spécialistes. J’ai lu récemment que le record de vitesse pour développer un tout nouveau vaccin était de quatre ans…

M. Bull: J’ai confiance qu’on aura un vaccin en 2021. Le monde scientifique n’a jamais été aussi fortement mobilisé pour atteindre un objectif aussi important. De toute manière, je crois personnellement qu’un vaccin n’est pas la seule solution. Des médicaments efficaces contre le virus seront vraisemblablement développés et mis en marché bien avant qu’un vaccin ne voie le jour. Un médicament ou un cocktail de médicaments qui réduirait l’effet du virus aurait un impact positif important et rapide sur notre économie.

De toute manière, le marché boursier doit être évalué en fonction des taux d’intérêt courants. Les taux représentent ni plus ni moins que le coût de l’argent. Et tant qu’ils demeurent aussi bas que dans le moment, les solutions de rechange au marché boursier sont bien moins attrayantes. On n’a qu’à regarder le taux de dividende moyen des titres qui composent l’indice S&P 500. Il se chiffre à près de 2,05% présentement, ce qui est nettement plus attrayant que le taux de 0,62% d’une obligation 10 ans du gouvernement américain (ou canadien: 0,55%). Dans de telles conditions, les titres boursiers méritent des ratios d’évaluation sensiblement plus élevés que ce qu’on a vu historiquement. Par exemple, si on applique un ratio cours-bénéfices de, disons, 18,0 aux bénéfices prévus des entreprises du S&P 500 en 2021, année probable d’une forte reprise économique, on peut conclure que le marché boursier n’est pas cher présentement.

M. Bear: Peut-être, mais une telle évaluation repose sur le scénario optimiste que l’économie reprendra du mieux dès 2021 et que les bénéfices des entreprises rebondiront fortement. C’est un des scénarios possibles, mais il y en a une multitude d’autres tout aussi probables. On pourrait tout aussi bien prévoir un scénario où un fort ralentissement économique se prolongera plus longtemps que prévu et où toute reprise sera très lente. Si l’on prévoit une baisse des profits des sociétés en 2021, ce qui est plausible compte tenu du taux de chômage qui prévaut présentement et qui devrait continuer d’augmenter, des ressources limitées des gouvernements en raison de leur endettement élevé, du fait que les consommateurs ne reprendront pas confiance avant qu’un vaccin ou un médicament efficace ne soit développé, produit et distribué à toute la population, l’économie ne rebondira pas de sitôt et les marchés boursiers paraissent encore chers.

M. Bull: J’ai confiance en la capacité des entreprises à s’adapter à la situation actuelle. J’ai aussi confiance que l’économie nord-américaine saura rebondir du creux que nous connaîtrons probablement au deuxième trimestre de 2020. Il ne faut pas non plus oublier que des milliards de dollars sont investis par des entreprises, des gouvernements, des fondations partout sur la planète pour mettre au point des médicaments, des tests de dépistage plus efficaces et ultimement un vaccin. La nécessité est mère de l’invention.

Dans quel camp vous situez-vous?

Pour ma part, je trouve qu’il est difficile de donner tort, aussi bien à M. Bull qu’à M. Bear. Les deux ont raison. La vérité est que nul ne peut prévoir avec confiance ce qui adviendra au cours des mois à venir. Je demeure toutefois convaincu que les perspectives à long terme, sur cinq ou dix ans, demeurent attrayantes pour l’économie et pour les investisseurs boursiers. L’investissement est un marathon, pas un sprint ni une série de sprints. S’il est vrai que M. Bear gagne régulièrement les sprints, M. Bull, lui, remporte invariablement les marathons.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA