Entrevue n°292 : Halla Tomasdottir, financière et candidate au poste de président de l'Islande


Édition du 04 Juin 2016

Entrevue n°292 : Halla Tomasdottir, financière et candidate au poste de président de l'Islande


Édition du 04 Juin 2016

Par Diane Bérard

«Les investisseurs devraient faire une vérification diligente du capital émotionnel des entreprises» - Halla Tomasdottir, financière et candidate au poste de premier ministre de l'Islande.

Quatre candidats visent la présidence de l'Islande. Halla Tomasdottir est la seule femme. Par l'intermédiaire de ses fonds, Sisters Capital puis Audur Capital, elle a toujours prôné l'équilibre et le rendement à long terme. Activiste de la réforme du secteur financier, elle est intervenue sur de nombreuses tribunes internationales depuis 2007. Elle était conférencière au Skoll World Forum on Social Entrepreneurship.

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Diane Bérard - Le premier ministre de l'Islande a annoncé sa démission le 5 avril, à la suite de son implication dans le scandale des Panama Papers. Pourquoi cette annonce a-t-elle changé votre vie ?

Halla TomasDottir - J'ai décidé de me présenter à la course au poste de préident de l'Islande lors de l'élection du 25 juin. Ce fut une décision difficile. J'ai une belle vie, une famille que j'aime et un emploi qui me comble parce qu'il correspond à mes valeurs. Mais ce sont aussi ces valeurs qui me poussent à proposer ma candidature comme première ministre de l'Islande. Il y a trop longtemps que je suis mal à l'aise avec le système financier et la façon dont il fragilise l'économie. C'est mon secteur. Je le connais. Si je deviens première ministre, je tenterai de contribuer à le réformer.

D.B. - Comment vous êtes-vous sentie en apprenant que le dirigeant de votre pays était lié aux Panama Papers ?

H.T. - Je me suis sentie trahie, comme la plupart des Islandais. Je suis aussi inquiète : si nos dirigeants n'ont pas de boussole morale, quel message lancent-ils à la population ? Comment parler d'éthique dans un monde où ceux qui détiennent le pouvoir ne montrent pas l'exemple ?

D.B. - En 2007, vous avez lancé Sisters Capital, un fonds géré en fonction de valeurs féminines. Pourquoi ?

H.T. - Je travaillais en finance depuis plusieurs années et je sentais la catastrophe imminente. En 2002, nous communiquions déjà nos inquiétudes à nos clients. Tout le monde était obsédé par la croissance, à n'importe quel prix. La prise de risque est devenue un sport extrême. Nous l'avons répété à nos clients. Nous avons insisté pour qu'ils évitent d'investir dans ce qu'ils ne comprenaient pas. Je n'avais pas toutes les données, mais mon intuition me disait que ça allait mal se terminer. Investir en fonction de valeurs uniquement masculines allait nous mener dans un mur.

D.B. - Vous dites que les valeurs féminines n'appartiennent pas qu'aux femmes. Expliquez-nous.

H.T. - Le sexe, c'est de la biologie. Le genre, c'est de la sociologie. Les valeurs appartiennent au genre. Nous avons tous et toutes des composantes masculines et féminines en nous, dans des proportions différentes. Lorsque Sisters Capital parlait de valeurs féminines, elle évoquait des valeurs qui animent aussi bien les hommes que les femmes.

D.B. - Lorsqu'on parle de «valeurs féminines», de quoi parle-t-on au juste ?

H.T. - On parle de la combinaison du profit, des gens et de la planète. On ne rejette pas le profit, mais on se soucie du «comment» en plus du «combien». Ce qui nous amène à nous préoccuper du long terme.

D.B. - Si vous lanciez Sisters Capital en 2016, feriez-vous encore référence aux «valeurs féminines» ?

H.T. - Peut-être pas, j'emploierais peut-être un autre langage, plus au goût du jour. Je parlerais probablement de diversité. Car, au fond, ce qui me préoccupe est le déséquilibre, quelle que soit sa nature. Je me soucie du manque de femmes dans les postes de direction et les conseils d'administration. Mais je me soucie aussi du manque d'hommes qui enseignent au primaire. Les jeunes garçons ont besoin de modèles masculins. Et les jeunes filles ont besoin d'être exposées aux valeurs féminines et masculines.

D.B. - Revenons à la crise financière. Le secteur financier a-t-il changé depuis 2007 ?

H.T. - Pas vraiment, on n'a toujours pas séparé les activités d'investissement de celles de détail. Je n'ai rien contre les activités d'investissement, mais elles impliquent une prise de risque élevée. Ni la population ni le gouvernement n'a à payer pour cette prise de risque. Pourtant, comme ces activités sont combinées à l'intérieur des mêmes institutions, les banques, c'est ce qui se produit constamment. On estime encore que les banques sont trop importantes pour faire faillite.

D.B. - Quels ajustements suggérez-vous ?

H.T. - Outre la séparation des activités d'investissement et de détail, il faudrait réduire le pouvoir de l'argent en politique. Saviez-vous qu'aux États-Unis, le secteur financier compte cinq lobbyistes pour chaque élu ? Il faudrait aussi s'assurer d'une représentation égale d'hommes et de femmes dans les postes de gestion. Les femmes ne sont pas meilleures que les hommes. Mais la diversité engendre des conversations différentes. Visiblement, les conversations actuelles ne couvrent pas tous les angles. Certains points de vue manquent autour de la table.

D.B. - Aucun des fonds que vous avez gérés n'investit dans des sociétés à capital ouvert. Pourquoi ?

H.T. - C'est un choix, je n'aime pas le marché public. Je crois dans la vraie économie, et le marché public n'est pas la vraie économie. Lorsque je travaillais aux États-Unis pour le confiseur Mars, c'était une société à capital fermé. Puis, elle est devenue publique, et la culture, la nature des décisions et l'horizon ont complètement changé. Je répète à tous les entrepreneurs : si vous le pouvez, évitez d'aller en Bourse.

D.B. - Vous êtes très critique à l'égard de la Bourse. N'y voyez-vous rien de positif ?

H.T. - Comment ne pas se montrer critique quand on voit les dommages causés par le style de gestion associé aux entreprises inscrites en Bourse ? Mais tout n'est pas entièrement sombre. On sent émerger un appétit pour autre chose de la part de certains investisseurs. Je pense aux investisseurs d'impact et aux investisseurs responsables, entre autres. Mais on retrouve ces préoccupations chez certains investisseurs traditionnels également. De nouveaux indices liés au développement durable apparaissent. Ils mesurent les rendements extrafinanciers. Ils tiennent compte de l'impact des entreprises sur l'environnement et les parties prenantes.

D.B. - Vous incitez les investisseurs et les gestionnaires de fonds à procéder à la vérification diligente émotionnelle des entreprises avant d'y investir. De quoi s'agit-il ?

H.T. - Vous ne pouvez pas lire l'avenir d'une entreprise dans des tableaux Excel. Ça ne dit rien, un tableau Excel. Pour savoir si une entreprise a une chance de s'en tirer et jusqu'où elle peut se rendre, regardez les principes qui l'animent. Sondez la passion des dirigeants. Toute entreprise possède un capital financier et un capital émotionnel. Les deux influencent autant le succès à long terme.

D.B. - Le rôle des investisseurs devrait être élargi. Comment ?

H.T. - Les investisseurs pourraient apporter davantage aux entreprises. En plus de leur argent, ils pourraient partager leurs compétences, donner accès à leur réseau, offrir davantage de soutien. Mais ils ne le font pas parce qu'ils ne s'intéressent pas vraiment aux entreprises dans lesquelles ils investissent. Ils saisissent souvent mal leur raison d'être et leurs enjeux.

D.B. - Revenons à la crise des Panama Papers. Cette fois-ci, cela changera-t-il quelque chose ?

H.T. - Pour l'instant, on sent le désir d'une vraie conversation autour du concept de juste part d'impôt. On tient peut-être quelque chose.

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