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Les groupes d’«articles gratuits» gagnent en popularité

La Presse Canadienne|Publié le 25 novembre 2020

« Surtout pendant cette pandémie, je pense que l’importance de la communauté locale devient encore plus prépondérante ».

La première chose que Muryani Kasdani a donnée en ligne, c’est une boîte de muffins qui lui restait après un événement professionnel. 

La créatrice de 35 ans a été surprise par l’intérêt suscité pour ses produits de boulangerie d’occasion, mais elle a adoré l’expérience de donner quelque chose sans rien recevoir en échange. « La femme qui est venue les chercher vivait au coin de la rue », dit-elle. « Elle avait à peu près mon âge et nous avons fini par bavarder un peu. C’était vraiment cool de réaliser que je pouvais rencontrer mes voisins de cette façon. »  

Mme Kasdani fait partie des milliers de Canadiens qui se sont joints aux communautés de dons sur les réseaux sociaux ces dernières années — comme « As-tu ça toi ? − Veux-tu ça toi ? ». Ces groupes, qui existent principalement sur Facebook, vont des sections de quartier du Projet Buy Nothing — un mouvement mondial décentralisé avec un manifeste, des règles et un code de conduite — à des pages de « trucs gratuits » moins organisées, urbaines et régionales. 

Pour les membres, les raisons de participer varient. Les groupes officiels du Projet Buy Nothing se concentrent explicitement sur la création d’un sentiment de communauté, tandis que certains participants d’autres groupes cherchent à économiser un peu d’argent ou à désencombrer leur maison. Pour Mme Kasdani, il s’agit de réduire son empreinte environnementale en réutilisant les objets indésirables. 

« C’est une clientèle plus jeune », dit-elle. « Je pense que les jeunes sont plus conscients de leur impact environnemental dans le monde, et mon groupe est étroitement associé à d’autres initiatives de développement durable comme Zero Waste Toronto. » 

Mme Kasdani a été membre d’un groupe Buy Nothing à Vancouver pendant plusieurs années et a tellement apprécié le sens de la communauté que lorsqu’elle a déménagé l’année dernière dans le quartier Roncesvalles Village, dans le West End de Toronto, elle a décidé de créer une section locale. 

Douze mois plus tard, Buy Nothing Roncesvalles/Parkdale compte plusieurs centaines de membres et héberge des publications proposant de tout, de la nourriture pour chat au détergent à lessive partiellement utilisé, des chapeaux de fourrure mal aimés aux meubles de bureau en surplus.

Mais ceux qui se concentrent sur la nature des articles offerts manque l’essentiel, estime Gulay Taltekin-Guzel, doctorante à la Schulich School of Business de l’Université York. « Les articles importent peu : c’est la signification symbolique qui importe », explique Mme Taltekin-Guzel, qui étudie les habitudes de consommation et les communautés en ligne. « Vous renoncez à quelque chose pour rendre une autre personne heureuse, pour créer un lien et une connexion.

« Tout est question de communauté. Depuis les temps anciens, il existe des rituels associés aux cadeaux. Dans les temps modernes, ces groupes Facebook ont le même objectif. » 

L’universitaire torontoise croit que ce rôle est encore plus important pendant la pandémie de COVID-19, car de nombreuses personnes souffrent de difficultés financières et se retrouvent déconnectées de leurs amis et de leurs proches. 

« Surtout pendant cette pandémie, je pense que l’importance de la communauté locale devient encore plus prépondérante », dit-elle. « De nombreux espaces sociaux et événements sont fermés, de sorte que les gens ne voient que d’autres gens dans leur quartier. Un espace en ligne peut vous donner ce sentiment de connexion, même avec des personnes du quartier que vous n’avez jamais rencontrées autrement. » 

Elle suggère également que la dépendance croissante des Canadiens à l’égard du commerce électronique les a amenés à avoir envie d’interactions concrètes qu’ils auraient pu avoir en visitant des commerces de proximité.  

« Les gens achètent de plus en plus de produits en ligne, nous dépendons de plus en plus d’Amazon. Mais il y a un aspect social dans le commerce, et les gens veulent aussi se sentir connectés. Ainsi, au lieu de faire du magasinage, vous pouvez vous tourner vers le groupe Facebook. » 

Tout cela a du sens pour Mme Kasdani, qui est triste à l’idée de renoncer à son rôle d’administratrice dans le groupe qu’elle a créé, lors de son déménagement le mois prochain. « Les cadeaux viennent en deuxième », dit-elle. « Le premier objectif est de créer un sentiment de voisinage. Les trucs gratuits ne sont qu’un moyen pour arriver à cette fin. »