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Philippe Leblanc

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Expert(e) invité(e)

Les commissions nulles: un cadeau empoisonné?

Philippe Leblanc|Publié le 29 novembre 2019

Les commissions nulles: un cadeau empoisonné?

(Photo: Getty images)

BLOGUE INVITÉ. Plusieurs firmes de courtage proposent désormais des frais de transactions nuls. En octobre dernier, le géant américain Charles Schwab a lancé le bal en offrant aux investisseurs des frais de transactions nuls, que ce soit pour les actions, les fonds négociés en Bourse ou les options. Concurrence oblige, plusieurs concurrents de l’industrie ont emboîté le pas dans les jours qui ont suivi.

Est-ce une bonne nouvelle pour l’investisseur autonome?

Personnellement, je ne le crois pas. Il est vrai qu’en théorie, l’élimination des frais transactionnels procure à l’investisseur une économie non négligeable. Mais je vois cela comme un cadeau empoisonné: les commissions nulles deviennent une incitation à effectuer un plus grand nombre de transactions. Or, c’est précisément ce que l’investisseur devrait éviter.

Je crois que la plupart du temps, l’investisseur est son propre pire ennemi. Il cherche à s’enrichir rapidement, fondant souvent ses décisions sur l’intuition – si ce n’est sur un reportage diffusé sur CNBC ou sur les commentaires d’un beau-frère lors d’un récent souper de famille. Déjà que les applications mobiles rendent les transactions hyper-faciles et rapides pour l’investisseur – il n’a même plus besoin de parler à quelqu’un pour acheter ou vendre un titre – dorénavant, chaque transaction sera gratuite. Quelle aubaine!

En dépit de ce qu’elles disent, les firmes de courtage ne rendent pas service aux investisseurs en éliminant les frais de transactions; elles leur nuisent. Il faut dire que le modèle d’affaires de ces entreprises n’a jamais vraiment été aligné sur les intérêts des investisseurs à long terme.

D’ailleurs, comment les firmes de courtage feront-elles leur argent si elles ne collectent pas de frais de commission? Comme Google et Facebook, dont les plates-formes sont offertes gratuitement à leurs utilisateurs, Schwab et les autres sociétés de courtage à escompte font leur argent de manière détournée.

En premier lieu, elles ne versent pas (ou très peu) d’intérêts sur les soldes d’encaisse. Cette pratique peut se traduire par des revenus énormes: selon un article récent de Bloomberg, l’encaisse des clients de Schwab totalisait 3,7 B$ US (3 700 milliards $) à la fin d’août 2019. D’autre part, elles imposent des frais d’intérêts lorsqu’un investisseur investit sur marge. Elles prêtent également les actions détenues par leurs clients à des vendeurs à découvert en échange d’intérêts. Puis, elles offrent des conseils à leurs clients, moyennant des frais. Qui plus est, les transactions effectuées par les entreprises de courtage leur rapporteront tout de même des revenus car elles perçoivent des frais auprès des sociétés de transactions électroniques. Pour les investisseurs qui achètent des actions de sociétés étrangères, les entreprises de courtage imposeront des frais souvent très élevés pour les frais de conversion des devises. J’ajouterais que les sociétés de courtage possèdent des données d’une grande valeur qui pourront éventuellement être monétisées d’une manière ou d’une autre.

J’ai toujours cru que les meilleurs investisseurs appartenaient au type même de clients que les sociétés de courtage ne souhaitent vraiment pas avoir: ils ne font presque pas de transactions, ils n’investissent pas sur marge, ils font eux-mêmes leurs devoirs avant d’acheter ou de vendre un titre et ils sont très conscients de l’importance de minimiser les frais.

Il y a des coûts autres que les commissions à considérer lorsqu’on achète ou vend des titres et ils peuvent être substantiels. Le premier est le coût fiscal (pour les comptes non enregistrés). Acheter et vendre engendre (espérons-le) des gains en capital qui seront imposés par le gouvernement. En outre, si un investisseur est particulièrement actif, le gouvernement peut considérer que ses gains de placement sont des gains d’entreprise normaux; ils seront imposés à un plein taux d’imposition plutôt qu’au taux réduit des gains de capital. Le deuxième est plus difficile à quantifier, mais il est bien réel: plus on effectue de transactions, même si elles ne coûtent rien, plus on augmente ses chances de commettre des erreurs de placement. Enfin, il y a un coût psychologique: demandez à un «day trader» (spéculateur sur séance) si cette pratique est reposante…

Les entreprises diront qu’elles ont éliminé les frais de courtage au bénéfice des investisseurs. Détrompez-vous; c’est un vrai cadeau empoisonné.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA