L’argent des milliardaires subventionne les émissions de GES
La Presse Canadienne|Publié le 07 novembre 2022Ensemble, les 125 milliardaires ont une participation de 2400 milliards de dollars dans les quelque 180 entreprises. Près de 15% de cet argent se concentre dans des industries polluantes. (Photo: La Presse Canadienne)
Les 125 milliardaires parmi les plus riches de la planète financent par année l’équivalent des émissions annuelles de carbone (CO2) de la France, un pays de 67 millions d’habitants.
C’est un des constats auxquels arrive l’organisme Oxfam dans un nouveau rapport qui met en lumière le poids environnemental des investissements des plus importantes fortunes du monde dans 183 entreprises.
Les projecteurs sont souvent portés sur les efforts des gouvernements et des individus face à la crise climatique, mais rarement sur la responsabilité des compagnies et leurs investisseurs milliardaires, constate l’analyste politique chez Oxfam Québec, Léa Pelletier-Marcotte.
«On culpabilise souvent la personne normale, on fait sentir mal un individu parce que parfois il prend sa voiture plutôt que le transport collectif. Mais qui a l’influence s’il changeait ses façons d’investir ou la décision où il met son argent pourrait faire la plus grande différence?», soutient-elle en entrevue.
Il ressort que l’argent investi par les milliardaires analysés par Oxfam a contribué à l’émission de 393 millions de tonnes de CO2 par an. En moyenne par milliardaire, cela représente 3 millions de tonnes de CO2, soit un million de fois plus que les tonnes produites individuellement par 90% de l’humanité, peut-on lire dans le rapport.
«Il faudrait que près de quatre millions de personnes deviennent véganes pour compenser les émissions de chacun de ces milliardaires», écrivent les auteurs de la recherche.
«Oui, on peut regarder le mode de vie, parler de vols en jet privé, de yachts, de propriétés multiples» de ces plus fortunés, néanmoins leurs investissements correspondent à 50% à 70% de leur empreinte carbone, fait valoir Mme Pelletier-Marcotte.
Ensemble, les 125 milliardaires ont une participation de 2400 milliards de dollars dans les quelque 180 entreprises. Près de 15% de cet argent se concentre dans des industries polluantes, comme les combustibles fossiles et le ciment, alors que ces secteurs représentent environ 7% des sociétés de l’indice boursier S&P 500.
Le reste va notamment dans les secteurs des produits non essentiels, des biens essentiels et dans celui de la finance.
Sur l’échantillon, un seul milliardaire avait investi dans une entreprise d’énergie renouvelable, évoque aussi l’étude, qui s’est notamment basée sur des données du groupe Bloomberg et les déclarations des compagnies sur leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).
«Si les milliardaires de notre échantillon transféraient leurs investissements dans un fonds qui suivait simplement l’indice S&P 500, par exemple, l’intensité de leurs émissions serait réduite de moitié. S’ils étaient placés dans un fonds d’actions à faible intensité de carbone, cela pourrait diviser les émissions par quatre», indique Oxfam.
Façonner l’économie de demain
Le rapport est publié au moment où débute la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques, la COP27, en Égypte. Des chefs d’États et de gouvernements se rencontrent pour matérialiser les engagements pris avec l’Accord de Paris pour contenir à 1,5 degré Celsius l’augmentation de la température mondiale.
Sans l’apport des investisseurs milliardaires, il sera difficile d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Ils ont le pouvoir de façonner l’économie de demain en sélectionnant des activités à faible émission de carbone, estime Mme Pelletier-Marcotte.
«Un investissement dans une infrastructure polluante nous enfermera dans un cycle d’émissions pendant les prochaines années», affirme l’analyste.
Oxfam recommande aux plus riches de la planète de réduire leurs investissements dans les industries polluantes afin d’encourager celles-ci à être plus responsables sur le plan environnemental.
Mais pour y parvenir, l’intervention étatique demeure aussi primordiale, convient Mme Pelletier-Marcotte. Oxfam interpelle dans son rapport les gouvernements pour une meilleure réglementation contraignant les entreprises à changer sur le plan de la gouvernance, afin de privilégier le bien-être et la durabilité avant les profits.
L’organisation de coopération internationale réclame également l’introduction d’un impôt sur la fortune des personnes les plus riches et un impôt supplémentaire sur la fortune investie dans les industries polluantes.
«L’argent accumulé participerait à assurer une meilleure justice climatique. S’assurer que les pays qui contribuent le moins aux impacts à la crise climatique soient plus aidés et résilients», mentionne Mme Pelletier-Marcotte.
Oxfam souhaite aussi une meilleure transparence des entreprises concernant leurs émissions et leurs efforts pour réduire leur impact environnemental.
L’organisme précise d’ailleurs que son étude sous-estime l’ampleur des émissions liées aux investissements des milliardaires en raison d’informations non disponibles. Par exemple, de nombreuses sociétés ne rendent pas compte des émissions indirectes de la «portée 3» du Protocole des GES.
Celles-ci découlent entre autres des chaînes d’approvisionnement de l’entreprise, des déplacements des employés et de l’usage par les consommateurs des biens qu’elle vend. Cette catégorie constitue pourtant pour la plupart des compagnies leurs principales sources d’émissions, avance Oxfam.
Les deux autres catégories correspondent aux émissions produites directement par les activités d’une entreprise et celles générées indirectement par la consommation d’énergie achetée.
Oxfam aimerait que la divulgation de ces informations devienne obligatoire pour les entreprises.
Cet article a été produit par Frédéric Lacroix-Couture avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.