Entrevue n°307 : Doris Leuthard, vice-présidente, Confédération suisse


Édition du 29 Octobre 2016

Entrevue n°307 : Doris Leuthard, vice-présidente, Confédération suisse


Édition du 29 Octobre 2016

Par Diane Bérard

«La Suisse n'a ni politique de l'innovation ni politique industrielle» - Doris Leuthard, vice-présidente, Confédération suisse. [Photo : Marc Wetli]

La Suisse est l'économie la plus concurrentielle du monde pour la 7e année consécutive, selon le «Global Competitiveness Report» du Forum économique mondial. La vice-présidente de la Confédération suisse, Doris Leuthard, était de passage récemment à Montréal. Les Affaires l'a rencontrée pour discuter de sa vision du rôle de l'État dans le développement économique et de ce qui favorise la productivité.

Diane Bérard - Quel est le mandat du vice-président de la Confédération suisse ?

Doris Leuthard - Notre gouvernement compte sept ministres nommés pour un mandat de quatre ans renouvelable. Je suis l'un d'eux. Je suis responsable de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication. Parmi les sept ministres, nous élisons un président et un vice-président. Ceux-ci conservent leur ministère. Ils dirigent aussi les séances du Conseil fédéral.

D.B. - Le vice-président devient-il automatiquement président lorsque ce dernier termine son mandat ?

D.L. - C'est le parlement qui élit le président. En principe, le vice-président devient président. Donc, si tout va bien, je deviendrai présidente de la Confédération suisse en 2017 pour une période d'un an.

D.B. - Vous avez dirigé le Département fédéral de l'économie de 2006 à 2010, soit pendant la crise financière. Parlez-nous de cette époque.

D.L. - Nous avons développé le commerce international et nous sommes intervenus dans le secteur financier. Pour ce qui est du commerce, nous avons étendu notre réseau d'accords de libre-échange. J'ai signé, entre autres, l'accord de libre-échange avec le Canada en 2009. En ce qui concerne le secteur financier - nous sommes la 7e place financière du monde, cela représente 11 % de notre PIB -, nous avons offert un crédit intermédiaire à UBS pour lui permettre de sortir les actifs toxiques de son portefeuille en les plaçant dans une bad bank [structure de défaisance]. Au bout de trois ans, UBS a normalisé sa situation. De plus, le gouvernement suisse a tiré un profit de ce crédit. Toujours du côté du secteur financier, nous avons mis fin au secret bancaire en implantant l'échange automatique d'information pour les clients internationaux ayant des comptes en Suisse. Cela s'appliquera aux Canadiens à partir de janvier 2017. Le ministère des Finances du Canada sera informé de tout ce qui touche les biens des Canadiens en Suisse. Ce qu'il fera de cette information lui appartient.

D.B. - Le gouvernement Couillard a choisi de ne pas avoir de politique globale d'innovation. La Suisse aussi. Expliquez-nous votre choix.

D.L. - Ce n'est pas le rôle de l'État de décider du secteur économique à privilégier. Comme État, nous investissons plutôt dans la recherche et la formation. Nous allouons 3 % de notre PIB à ces activités, soit presque le double du Canada. La recherche se déroule surtout dans les universités. Nous les finançons, et elles décident à quelles recherches affecter ces sommes. Ce serait une erreur que le politique dicte les thèmes des travaux de recherche.

D.B. - Le Forum économique mondial vous donne raison. Il explique en partie votre titre d'économie la plus concurrentielle du monde par la qualité de vos établissements de recherche, vos dépenses en R-D et la collaboration entre le milieu universitaire et le secteur privé...

D.L. - En effet, pour la 7e année consécutive, le «Global Competitiveness Report place la Suisse à la tête de son classement [le Canada se classe au 15e rang]. Mais il n'y a pas que la recherche et l'innovation. Il faut aussi citer notre réseau d'accords de libre-échange. Puis la souplesse et l'efficacité de notre marché du travail. Nous avons établi un partenariat social avec les syndicats. Cela nous permet d'équilibrer la protection des employés et les besoins des entreprises. Citons aussi nos infrastructures de qualité - routes, rails, électricité, numérique - qui favorisent les affaires.

D.B. - Votre PIB par habitant est bien plus élevé que celui du Canada [80 675 $ US par rapport à 43 332 $ US]. Est-ce vos machines ou vos gens qui travaillent plus fort ?

D.L. - On a toujours travaillé un peu plus que nos voisins, la France et l'Allemagne, par exemple. Les heures de travail par semaine sont plus élevées.

D.B. - Le gouvernement suisse investit-il davantage dans des secteurs à valeur ajoutée, ce qui expliquerait son PIB élevé par habitant ?

D.L. - Nous n'avons pas de politique de l'innovation et nous n'avons pas de politique industrielle. Cela nous sert très bien. La politique ne sait jamais où l'on gagne de l'argent. Seules les entreprises le savent. Comme gouvernement, nous créons des conditions favorables - fiscalité, marché du travail, formation, etc. - afin que les entreprises puissent offrir leur meilleure performance.

D.B. - Le gouvernement français est actionnaire d'EDF et d'Areva, deux importants producteurs d'énergie. Comme ministre de l'Énergie, vous estimez que ce n'est pas un bon choix. Pourquoi ?

D.L. - En participant au capital d'une entreprise, l'État en assume les risques. Or, la chute des prix de l'énergie et la baisse de popularité du nucléaire mettent l'État français dans une position inconfortable. Il ne devrait pas avoir à supporter un tel risque. Cela relève de la responsabilité des entreprises.

D.B. - Votre taux de chômage se situe à 3,3 %, celui du Canada, à 7 %. Pourtant, c'est en Suisse que s'est tenu le débat sur le revenu minimum garanti...

D.L. - Cette proposition a été rejetée, de même que tous les référendums portant sur l'instauration de six semaines de vacances par année.

D.B. - Pourquoi votre taux de chômage est-il si faible ?

D.L. - Le système d'éducation ne favorise ni ne valorise uniquement la formation universitaire. Près de 70 % de nos jeunes suivent une formation professionnelle. Notre système d'éducation se soucie de ce que tous les jeunes reçoivent une formation permettant de trouver une place sur le marché sur travail. Ils peuvent débuter par une formation professionnelle et choisir ensuite d'aller à l'université. Mais il est essentiel que chacun ait d'abord une formation qui mène à un emploi.

D.B. - Les femmes sont sous- représentées dans l'économie suisse par rapport à d'autres économies avancées. Pourquoi ?

D.L. - En effet, l'intégration des Suissesses au marché du travail n'est pas optimale. Peut-être parce qu'en Suisse, un ménage peut très bien vivre avec un seul salaire. Cela atténue la pression sur les femmes pour qu'elles retournent travailler après être devenues mères. De plus, les infrastructures de garde d'enfants ne sont pas très développées ou sont très coûteuses.

D.B. - Pourquoi la Suisse a-t-elle laissé tomber sa demande d'adhésion à l'Union européenne ?

D.L. - Nous sommes heureux de faire partie du continent européen et de son histoire. Nous sommes peut-être plus Européens que certains membres de l'Union européenne. Mais nous ne souhaitons pas une intégration institutionnelle. Nous sommes un pays fédéraliste où les États membres possèdent beaucoup de compétences. Rejoindre l'Union européenne signifie accepter ce que Bruxelles veut.

D.B. - Les Chinois ont commencé à investir en Suisse...

D.L. - Ils aiment notre situation géographique en Europe. Et puis, ils sont attirés par notre technologie et nos innovations. Nous sommes prudents. Nous avons toutefois déterminé des secteurs stratégiques que nous ne laisserons pas aller, les infrastructures de base : rails, réseau électrique, aéroports...

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