Jusqu’à quel point devrait-on laisser courir ses titres gagnants?
Philippe Leblanc|Publié le 29 septembre 2023Tout gestionnaire de portefeuille ou investisseur particulier doit rechercher l’équilibre entre la décision de «laisser courir ses titres gagnants» et une gestion adéquate du risque d’un portefeuille. (Photo: Getty images)
EXPERT INVITÉ. J’ai reçu cette question par courriel d’un lecteur au cours des dernières semaines. Je réitère que j’apprécie toujours recevoir vos questions et suggestions de blogue. De fait, ça rend ma tâche un peu plus facile car les idées de blogue ne sont pas toujours faciles à trouver.
Question: «Le 31 juillet, les médias ont rapporté que la CDPQ a vendu pour 700 millions d’actions de Couche-Tard pour fin de rééquilibrage de portefeuille. Bien qu’une entente de «gré à gré» existe entre la CDPQ et Couche-Tard pour ce type de transactions dites ponctuelles, cette stratégie ne va-t-elle pas à l’encontre des principes de base de l’investissement? Ne dit-on pas «Let your winners run» [«Laissez courir vos titres gagnants»]?
En effet, le 31 juillet, la Caisse de dépôt et placements du Québec (CDPQ) a vendu pour la somme d’environ 700 M$ un bloc d’un peu plus de 10,8 millions (M) d’actions à un prix par action de 64,49$. Les actions ont été rachetées par Couche-Tard pour des fins d’annulation. La CDPQ possède toujours environ 41,5 M d’actions de Couche-Tard, soit près de 4,3% du total.
De fait, la CDPQ avait vendu un autre bloc d’actions de Couche-Tard, soit près de 5,48 M d’actions à 54,77$ l’action, pour près de 300 M$ en avril 2022.
Il est difficile de savoir pourquoi la CDPQ a pris cette décision. La direction indique que la décision a été prise dans un souci de rééquilibrer son portefeuille.
Une partie des actions détenues par la CDPQ proviennent de son achat en octobre 2017 auprès de Metro pour 650 M$ de quelque 22,7 M d’actions à un cours de 28,59$ l’action (en tenant compte d’un fractionnement 2-pour-1 subséquent). À l’époque, Metro avait vendu la majorité des actions de Couche-Tard qu’elle possédait depuis 1987 afin de financer son acquisition de Jean Coutu.
La CDPQ a donc réalisé un excellent rendement annuel composé avec son investissement de 2017 dans le titre de Couche-Tard – je l’estime à 16,6% sur une base annuelle composée, incluant les dividendes.
Après les ventes de 2022 et de 2023 qui totalisent 1,0 G$, la CDPQ posséderait toujours un investissement d’une valeur de près de 2,9 G$ dans le titre de Couche-Tard, un investissement non négligeable.
Une bonne décision?
Tout gestionnaire de portefeuille ou investisseur particulier doit rechercher l’équilibre entre la décision de «laisser courir ses titres gagnants» et une gestion adéquate du risque d’un portefeuille. La CDPQ se doit d’agir en «bon père de famille» à titre de fiduciaire du fonds de pension d’un grand nombre de Québécois.
Laisser courir ses titres gagnants comme Couche-Tard sans jamais vendre une action résulterait en des positions qui atteindraient potentiellement un pourcentage excessif du bas de laine des Québécois. D’un autre côté, vendre systématiquement tout titre en portefeuille qui s’est apprécié le moindrement se traduirait par la vente de tout titre gagnant.
Dans un tel exercice, il n’y a pas de formule idéale. Chaque investisseur doit tenter d’atteindre l’équilibre qui lui convient le mieux. Clairement, un investisseur autonome qui gère son propre portefeuille peut se permettre une plus grande latitude qu’un investisseur institutionnel tel que la CDPQ.
Chez COTE 100, nous devons rechercher notre propre équilibre (nous sommes actionnaires de Couche-Tard depuis 2001) entre rendements espérés et risque encouru. De fait, même si le titre de Couche-Tard est toujours l’une des plus importantes positions de nos portefeuilles sous gestion, nous en avons vendu un peu au fil des dernières années pour maintenir le pourcentage investi dans le titre à un niveau que nous considérons raisonnable.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
Chef des placements chez COTE 100 et auteur du livre Avantage Bourse