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BLOGUE INVITÉ. Je suis en train de lire le nouveau livre de Malcolm Gladwell, Talking to Strangers. Son message est simple, mais à mon avis, il devrait être entendu et suivi par les investisseurs: ne vous fiez pas aux impressions que vous font les gens que vous rencontrez.
Selon Gladwell, le mode «par défaut» des humains lorsqu’ils rencontrent un étranger est de faire confiance, de croire que les gens sont honnêtes. Il écrit: «Nous avons une position de défaut concernant la vérité: nous présumons que les gens avec qui nous faisons affaire sont honnêtes».
Ce n’est que lorsqu’il devient évident qu’on nous a menti ou qu’on nous a bernés que nous réalisons que notre présomption de «faire confiance» était injustifiée.
Remarquez que c’est une chance que notre mode par défaut soit de faire confiance aux autres. Comment fonctionnerait notre société si les relations interpersonnelles étaient fondées sur le doute et le scepticisme? Comment le système financier pourrait-il exister?
Mais en investissement, je crois personnellement qu’une bonne dose de scepticisme est essentielle. Pourtant, la plupart d’entre nous avons tendance à nous fier à nos premières impressions dans nos décisions. Nous lisons un article élogieux sur une entreprise en Bourse et nous décidons d’acheter le titre. Nous regardons l’entrevue d’un président d’entreprise à la télévision et aussitôt, nous sommes convaincus des attraits de cette société.
Lorsque j’ai commencé mon métier d’analyste financier chez COTE 100 dans les années 1990, nous avions l’habitude de rencontrer systématiquement les dirigeants d’une entreprise avant d’investir dans son titre. Or, il y a plusieurs années, nous avons pris la décision de ne plus rencontrer les dirigeants à moins d’avoir des questions très précises à leur poser.
Pourquoi? Parce qu’il est difficile, sinon impossible de ne pas être influencé par les dirigeants dans nos décisions d’investissement. Selon mon expérience, il n’y a généralement pas meilleurs vendeurs d’une entreprise que ses dirigeants. Ils vous présenteront les qualités de leur entreprise et auront tendance à taire ou à minimiser leurs défauts ou les risques. Le dirigeant d’entreprise expérimenté vous dira souvent précisément ce que vous voulez entendre – si vous êtes un adepte de l’investissement «valeur», il vous dira être un disciple de Warren Buffett.
L’histoire présentée par le dirigeant sera sans doute très convaincante. Et il est plus que probable que le dirigeant vous paraisse sympathique. Comme l’écrit Gladwell, c’est notre présomption que les autres sont honnêtes qui influence notre jugement et nos décisions.
C’est pourquoi nous ne tenons pas à rencontrer les dirigeants de nos entreprises ou de celles dans lesquelles nous pourrions investir. Nous préférons fonder nos décisions sur des faits concrets, en particulier l’historique financier d’une société, sa croissance, sa rentabilité, la solidité de son bilan, etc. Généralement, les chiffres ne mentent pas, surtout lorsqu’on tient compte de l’historique à long terme d’une entreprise.
Cela ne veut pas dire que nous n’accordons pas d’importance à la qualité des dirigeants – au contraire. Mais j’estime que la meilleure façon de les évaluer est de fonder son jugement sur les faits et non pas sur leur capacité de vendre leur histoire.
Le livre de Malcolm Gladwell m’a encore plus convaincu que nous faisons la bonne chose en ne rencontrant plus les dirigeants d’entreprises. Les faits doivent avoir préséance sur les impressions.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA