Exporter aux États-Unis, ou comment venir à bout du monstre douanier


Édition du 01 Octobre 2016

Exporter aux États-Unis, ou comment venir à bout du monstre douanier


Édition du 01 Octobre 2016

Par Matthieu Charest

[Photo : 123RF/Shanti Hesse]

Aucun doute que si Astérix ou Hercule avaient été des personnages contemporains, exporter des marchandises aux États-Unis aurait été l'un de leurs 12 travaux. Car, bien que le marché américain soit alléchant, il faut d'abord traverser les douanes pour l'atteindre. Une mission beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, ALENA ou pas. Le jeu en vaut toutefois la chandelle, ne serait-ce que pour se préparer aux prochains accords de libre-échange, notamment le Partenariat transpacifique (PTP) et celui avec l'Union européenne, sur le point d'entrer en vigueur.

Après plusieurs mois d'attente et plusieurs tentatives infructueuses, Les Affaires est arrivé au «Port Champlain», l'équivalent commercial du poste frontalier de Lacolle, en juin dernier. C'est que le U.S. Customs and Border Protection (CBP, l'agence des douanes américaines) n'est ni habitué ni enthousiaste à l'idée d'accueillir un journaliste. C'est en accompagnant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), qui organise des visites à la frontière plusieurs fois par année, que nous avons pu nous y rendre. «En plus des missions que nous organisons aux douanes depuis 20 ans, vous êtes le premier média qui est autorisé à venir», nous confirme Louise Lauzon, conseillère au développement des marchés internationaux à la CCMM.

Notre persévérance a été récompensée ; la visite vaut le détour. Ne serait-ce que pour prévenir les entreprises tentées d'exporter aux États-Unis qu'elles doivent se préparer avec une extrême minutie avant de passer à l'action. Et pour avertir celles qui exportent déjà que plusieurs dangers les guettent. En particulier les PME, qui ont souvent peu de ressources à leur disposition et pour lesquelles une amende infligée par les douanes peut être salée, voire fatale.

Survivre aux douanes en six étapes

L'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) «exonère 97 % ou 98 % des produits exportés de taxes douanières, explique David Pavot, chargé de cours à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. C'est très intéressant pour les entreprises. Seulement, les procédures douanières demeurent longues et complexes. Je ne veux faire peur à personne, insiste-t-il, mais ça se fait avec sérieux».

C'est bien là le problème, croit Linda Labrosse, spécialiste certifiée en douanes : «Les entreprises ne se préparent pas ! Même parmi celles qui exportent déjà, plusieurs ne savent même pas qu'elles sont responsables du côté américain». Responsables de tout, de la conformité de l'étiquette sur la boîte jusqu'au certificat d'origine.

Puisque le sujet des douanes, de la conformité et des procédures à la frontière est vaste, nous n'avons pas la prétention de vous présenter un guide exhaustif. Mais voici les réflexes à adopter et les ressources à consulter pour exporter en toute quiétude.

1. Étudiez le marché et tenez compte des règles

«Ne vous lancez pas partout en même temps, conseille Yan Cimon, professeur au Département de management de l'Université Laval. Allez voir les villes, les États, établissez des contacts avec les autorités locales et renseignez-vous en amont. Il faut bien commencer quelque part. Vous allez faire des erreurs au début, mais il n'y a pas une bonne manière de procéder, pas de "one size fits all". Pour chaque produit, il y a des exigences différentes.»

À l'instar du Canada, les États-Unis ne constituent pas un bloc monolithique. Dans cette mosaïque d'États, il y a une multitude de philosophies, de besoins et de cadres réglementaires. Trouvez la région ou l'État qui affiche un réel appétit pour vos services ou vos produits.

D'ailleurs, si l'État de New York était un pays, il compterait pour presque 8 % des exportations mondiales québécoises ; le Vermont et l'Ohio, pour 4,5 %. Les marchés, État par État, sont immenses. Et, bien que les États-Unis présentent plusieurs similarités avec le Canada, il s'agit toujours d'un pays étranger où les douaniers sont, en quelque sorte, rois et maîtres. De votre cargaison du moins.

Après avoir trouvé le bon marché, il faut comprendre quelles normes s'appliquent à vos produits. Sachez qu'il y a une quarantaine d'agences qui comptent sur les douanes pour vérifier que ce qui arrive dans leur pays correspond à leurs exigences. Par exemple, la Food and Drug Administration ou l'Environmental Protection Agency. Ainsi, à la frontière, plusieurs inspections peuvent se succéder.

Et si les tarifs douaniers sont à peu près disparus à la frontière canado-américaine, les exportateurs doivent s'attendre à débourser certains frais qui sont liés au transport et à l'entreposage des produits ainsi qu'à la paperasse à remplir avant d'exporter. Selon M. Cimon, les coûts liés au passage à la frontière représentent environ 7 à 10 % de la valeur des marchandises échangées.

2. Allez chercher de l'aide, vous en aurez besoin

«Vous ne savez pas ce que vous ne savez pas», dit Robert Pelletier, représentant en chef d'Exportation et développement Canada (EDC) pour les États-Unis. Le spécialiste suggère aux PME souhaitant exporter de consulter les experts d'EDC, qui compte 18 bureaux et plus de 100 employés au sud de la frontière. EDC est notamment en mesure de mettre les PME exportatrices en contact avec des banques, des courtiers en douanes et des entreprises de transport.

Par ailleurs, l'Université de Sherbrooke donne des formations d'accompagnement destinées aux entreprises, comme elle l'a déjà fait auprès des Manufacturiers et Exportateurs du Québec. Les chambres de commerce, les Organismes régionaux de promotion des exportations (ORPEX) et plusieurs entreprises privées offrent aussi des formations et de l'accompagnement.

Par ailleurs, lors de notre passage aux douanes, John Sullivan, qui était alors le directeur du Port Champlain avant d'être transféré en Alabama, a précisé que les portes des douanes sont ouvertes à quiconque aurait des questions et que des visites sont possibles. «Nous ne voulons pas compliquer la vie des entreprises, a-t-il plaidé, nous ne voulons pas faire d'argent non plus. Notre travail, c'est de faire respecter la loi. Si nous devions vérifier chaque chargement commercial qui passe chez nous, il y en aurait environ 1 400 par jour à Lacolle [le quatrième point de passage le plus fréquenté de la frontière] ; nos économies nationales s'écrouleraient.»

3. Sachez a quoi vous vous exposez

Les erreurs commises, même de bonne foi, peuvent coûter cher, très cher aux exportateurs. «Un de mes clients, une PME qui exportait de la viande, a traversé avec du cheval sans détenir le bon certificat, raconte Linda Labrosse. L'entreprise a dû payer 50 000 $ d'amende.»

Si vous remarquez que vous avez commis une erreur, déclarez-la dès que possible. «Nous apprécions beaucoup que les gens prennent l'initiative et soient honnêtes», soutient Raymond Wayman, spécialiste des entrées pour les douanes américaines depuis 20 ans.

Dans les faits, seulement 2 ou 3 % des cargaisons sont arrêtées aux douanes, juge Mme Labrosse. Le hic, c'est que, même si vous passez 100 fois sans problème et sans inspection, la 101e fois peut être la «bonne» (ou la mauvaise, selon le point de vue), celle où une batterie d'inspections est effectuée. Et si une erreur est révélée à ce moment-là, le CBP peut vérifier tout ce que vous avez exporté auparavant, depuis les cinq dernières années.

Bref, l'erreur découverte la 101e fois est susceptible d'être multipliée par le nombre de passages jugés conformes à l'époque, parce que ceux-ci n'ont pas été fait l'objet d'une inspection. C'est à ce moment que l'amende devient salée.

De plus, il est possible que la non-conformité ou une suspicion de non-conformité puisse être établie après le passage aux douanes. Dans ce cas, les autorités américaines peuvent vous demander de produire un document dans les 30 jours afin de prouver que votre expédition respectait les normes. De plus, après avoir traversé la frontière, les autorités ont 90 jours pour réclamer le retour des produits.

Et si la cargaison est arrêtée, puis relâchée, le retard ainsi occasionné peut causer d'autres problèmes. «Si vous faites affaire avec Wal-Mart, par exemple, ils s'attendent à ce que les dates de livraison préétablies soient respectées», explique David Pavot. Le retard peut aussi entraîner des frais d'entreposage : «J'ai déjà vu des chargements retenus une ou deux semaines. Les frais d'entreposage sont à la charge du client [l'exportateur]», ajoute Thicam Phung, courtière en douanes chez Delmar.

Le recours aux services d’un courtier en douanes est non seulement fort utile, mais pour plusieurs opérations transfrontalières, c’est même obligatoire. [Photo : Canadian Press]

4. Choisissez votre courtier américain

Lorsque nous avons demandé à MM. Wayman et Sullivan, du Port Champlain, si l'idée de recourir aux services d'un courtier en douanes était avisée, la réponse n'a pas tardé. «Absolument», ont-ils clamé. En fait, c'est non seulement fort utile, mais pour plusieurs opérations transfrontalières, c'est même obligatoire, dit Mme Phung. «À part ce qui est considéré comme des marchandises ou des effets personnels, a-t-elle précisé. Les entreprises doivent nous fournir toutes les informations, mais nous nous occupons des formalités pour elles. Entre autres, la commercial invoice [facture commerciale], la packing list [bordereau d'expédition] et le bill of lading [contrat entre l'exportateur et le transporteur]. Ensuite, nous allons dédouaner les marchandises. Et, puisque les règles changent souvent, nous sommes au courant des dernières modifications.»

Le courtier en douanes produit également une «déclaration finale». «C'est un peu comme une déclaration de revenus, illustre Linda Labrosse. Ça prend un mandataire pour dédouaner le camion rendu aux frontières. Le courtier transmet toutes les informations et les documents requis au CBP, maintenant par voie électronique, et là, les douanes rendent leur décision : clear ou ils retiennent la marchandise.»

Le coût d'un courtier est très variable, admet la spécialiste. «C'est souvent en fonction du volume.» Notez que plusieurs courtiers proposent des services, comme de la consultation, qui ne sont pas obligatoires. En ce qui a trait au transport, certains courtiers offrent le service, mais il s'agit d'une expertise distincte.

Fait important, c'est un courtier américain, et non pas canadien, dont vous avez besoin comme entreprise exportatrice canadienne. C'est que, même si plusieurs clients américains s'intéressent à vos produits, ils exigeront souvent que vous puissiez les livrer à leur porte afin d'éviter toutes tracasseries administratives. À ce moment, vous devenez importateur aux yeux des autorités. Un courtier en douanes américain jouera pour vous le rôle d'«importateur non résident». Plusieurs courtiers américains (il y en a des centaines), comme Deringer, ont tissé des liens avec des courtiers canadiens et peuvent ainsi vous fournir des services complets.

5. Trouvez votre code SH et familiarisez-vous avec la paperasse

La source d'erreur et d'anxiété la plus fréquente reste le code SH (Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises). Au moment de remplir le certificat d'origine afin de se qualifier pour l'ALENA et d'éviter ainsi les tarifs douaniers, vous devez trouver le code SH qui correspond exactement à votre produit. Attention, c'est un art. La moindre erreur à cet égard peut signifier des retards, des amendes, voire un refus d'entrée. Et des codes SH, non seulement il y en a des milliers, mais ils changent fréquemment, selon les directives de l'Organisation mondiale des douanes. Un peu comme un numéro d'assurance sociale ou un code de permis de conduire, les chiffres renvoient à une signification, tel ou tel chapitre, par exemple. Composé généralement de 6 à 10 chiffres, il y en aurait de 5 000 à 40 000, selon le degré de précision recherché. Du thé vert non fermenté de moins de 3 kg exporté du Canada vers les États-Unis s'appelle donc, selon cette nomenclature, 0902.10.

Également, le marquage des produits doit respecter plusieurs règles. Le made in (fabriqué en, à, au) et product of (produit de) doit être bien apparent sur les boîtes et sur l'emballage d'expédition, tandis que le bois qui compose les palettes doit être traité selon des normes particulières (normes IPPC).

En outre, avant l'exportation, il faut produire une facture commerciale et la remettre au transporteur qui, lui, l'enverra au courtier qui préparera le dédouanement. Il y a aussi le bill of lading, sorte de lettre de mission pour le transporteur, qui explique son rôle auprès des autorités. Enfin, plusieurs autres documents pourraient être exigés, selon les agences fédérales qui régissent votre ou vos catégories de produits.

Enfin, sorte de système d'assurance collective, le cautionnement doit être contracté auprès des douanes américaines au coût de 500 $ par année, ce qui couvre un minimum de 50 000 $ US.

6. Respirez profondément vous avez probablement fait le bon choix

Si les étapes précédentes ne vous ont pas (trop) découragé, vous avez sans doute la patience requise pour exporter. Si vous exportez déjà, soyez vigilant, car des changements surviennent de temps à autre. Pour être au fait de ces modifications, le mieux est de consulter régulièrement les Avis des douanes publiés sur le site de l'Agence des services frontaliers (http://bit.ly/2d4zO3E).

De plus, l'arrivée des prochains «mégaaccords» de libre-échange viendra modifier ceux qui existent déjà. «Il y a des contradictions à prévoir entre l'ALENA et le Partenariat transpacifique, prévient David Pavot, de l'Université de Sherbrooke. Par exemple, pour l'heure, le PTP, dont font partie le Canada et les États-Unis, prévoit un pourcentage de 40 % requis pour remplir les conditions des règles d'origine nationale en ce qui a trait aux voitures, alors que c'est 65 % dans le cas de l'ALENA.»

«Même si les règles du jeu changeront demain, avec l'ouverture des marchés», poursuit l'expert, mieux vaut se préparer tout de suite, avant que la vague d'importations européennes et asiatiques ne frappe le Québec.

*****

→ 1. Le marché américain reste, de loin, le principal débouché pour nos produits et services. Bien que la part relative des exportations québécoises aux États-Unis ait diminué de 80,9 % en 2005 à 69,8 % en 2014, notre deuxième partenaire, la Chine, est loin derrière, comptant pour 3,7 % du total de nos ventes internationales. Source : Ministère de l'Économie, de la Science et de l'Innovation

L'exemple de la tarte aux pommes

Pour illustrer le fonctionnement des règles tarifaires, Linda Labrosse, spécialiste certifiée en douanes, utilise l'exemple de la tarte aux pommes.

Ainsi, tous les ingrédients inclus dans la tarte sont couverts par un code SH (Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises) qui leur est propre. Chaque code appartient à un chapitre particulier du Système. Si les ingrédients ne se rapportent pas au même chapitre, le degré de transformation est jugé suffisant pour que le produit final soit considéré comme canadien, donc admissible à une exemption de tarif (environ 70 % des produits sont couverts par l'exemption de tarif que procure l'ALENA).

Par contre, si la pâte à tarte est préfabriquée, elle sera considérée comme un produit fini, au même titre que la tarte comme telle. Il faudra donc produire un certificat d'origine pour la pâte, afin de prouver qu'elle provient du territoire couvert par l'ALENA.

À noter que chaque chapitre du Système contient des règles et des exceptions.

LEXIQUE

→ Bill of lading : Contrat entre l'exportateur et le transporteur qui détaille le contenu de la cargaison.

→ Facture commerciale : Document qui regroupe tous les détails de l'envoi et qui sert à préparer le dédouanement .

→ Code SH : Code de l'Organisation mondiale des douanes et qui correspond à un produit en particulier.

→ Certificat d'origine : Document qui donne droit au traitement tarifaire préférentiel de l'ALENA.

→ Cautionnement (bond ) : Montant (500 $ annuellement) à payer aux douanes et qui sert d'assurance collective.

→ C-TPAT (Customs-Trade Partnership Against Terrorism) : Programme de collaboration entre les douanes américaines et les acteurs de la chaîne d'approvisionnement pour contrer les activités terroristes sans pénaliser le passage aux douanes.

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