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Des préjugés tenaces à l’égard des femmes en construction

La Presse Canadienne|Publié le 20 mai 2022

Des préjugés tenaces à l’égard des femmes en construction

Les femmes gagnent peu à peu du terrain en construction au Québec. Leur représentation est passée de 2,73% de la main-d’œuvre active, en 2020, à 3,3% en 2022. (Photo: La Presse Canadienne)

Propos déplacés, intimidation, harcèlement, manque de reconnaissance: les femmes gravitant dans le domaine de la construction seraient encore confrontées à un lot de problèmes et de préjugés, bien que leur nombre augmente peu à peu dans une industrie traditionnellement masculine au Québec. C’est dans le but de transformer cette culture qu’une première semaine dédiée aux femmes dans la construction a lieu cette année.

«Bon, une fille. Il va falloir travailler en double parce qu’elle ne sait pas quoi faire.» Ce genre de commentaire, Jade Payer l’a souvent entendu au cours des dernières années quand elle arrivait sur un nouveau chantier comme monteuse d’acier.

«D’une job à l’autre, on assume toujours qu’on est la nouvelle qui ne connaît rien. Les mentalités n’ont pas encore changé», se désole celle qui occupe maintenant un poste de chargée de projet chez Groupe Axiomatech.

Sa patronne Josée Dufour observe tranquillement une évolution. Mais il y a encore une attitude un peu paternaliste, reconnaît la présidente et cofondatrice de l’entreprise qui se spécialise dans des projets de construction industrielle, commerciale et institutionnelle de cuisine et de laboratoires médicaux.

«On va déléguer plus facilement à un homme qu’à une femme des responsabilités, l’amener à atteindre un niveau d’autonomie. Souvent, on va prendre des décisions pour la femme, on va juger, par exemple, que telle chose est trop lourde, que telle tâche n’est pas adaptée à elle, au lieu de lui laisser le choix, de se développer et d’apprendre», affirme Mme Dufour qui s’est lancée dans le milieu de la construction après une carrière en biomédical.

Elle et sa collègue remarquent l’arrivée d’une nouvelle génération qui amène une ambiance un peu plus agréable sur les chantiers.

Les femmes gagnent peu à peu du terrain en construction au Québec. Leur représentation est passée de 2,73% de la main-d’œuvre active, en 2020, à 3,3% en 2022. Plus de 6200 femmes travaillent dans près de 4000 entreprises, soit 14,7% des compagnies de l’industrie.

À (re)consulter: notre dossier sur les femmes dans l’industrie de la construction

Plusieurs entreprises font preuve «d’une belle ouverture», embauchent sans problème les femmes et les intègrent très bien dans leurs équipes, souligne Myriam St-Pierre, directrice générale d’Elles de la construction.

L’organisme chapeaute la première année de la «Semaine diversité et inclusion pour les femmes en construction», qui se termine dimanche.

L’initiative vise notamment à mettre en lumière les succès «pour démontrer que c’est possible d’avoir une carrière en construction, d’être épanouie, même s’il y a encore des enjeux qui sont importants» pour la main-d’œuvre féminine, indique Mme St-Pierre.

 

Éviter de gérer des cas de harcèlement

Néanmoins, des employeurs refusent toujours de faire appel à des femmes de crainte de devoir «gérer des cas de harcèlement», témoigne Mme Payer.

«Ils savent que leurs travailleurs ne sont pas capables de se tenir quand il y a des femmes autour, donc ils se disent que pour éviter de gérer des situations, je ne vais juste pas en engager», affirme la chargée de projet.

Elle se souvient tout récemment d’un sous-traitant en manque de personnel qui a mis à l’écart une candidate parce qu’elle était «trop cute», et cela aurait alors, selon lui, entraîné un comportement déplacé chez certains de ses employés.

«Il a préféré ne pas arriver dans ses échéanciers et subir la pénurie de la main-d’œuvre, que d’avoir à gérer les pulsions sexuelles de ses travailleurs», dit Mme Payer.

 

Politique tolérance zéro

Pour espérer un changement de culture, le message doit d’abord venir d’en haut. C’est aux dirigeants de mettre leur pied-à-terre face au harcèlement ou l’intimidation, soutiennent Mmes Dufour et Payer.

«Chez nous, c’est une politique de tolérance zéro. On ne laisse pas une situation s’envenimer, nos employés sont fortement encouragés à dénoncer, à ne pas accepter ces situations. À partir du moment où les entreprises sont très claires, et établissent très fortement une culture de respect et de sécurité, je pense que c’est plus difficile pour un individu d’essayer de faire sa loi et de maintenir cette culture toxique», mentionne Mme Dufour.

De meilleurs mécanismes sont aussi nécessaires pour permettre aux femmes de dénoncer sans craindre pour leur emploi. Il est «très difficile» pour elles de trouver à quelle porte frapper, relate Mme Dufour.

Elle propose de mettre sur pied une ligne de dénonciation anonyme et indépendante.

Cette culture de harcèlement psychologique et sexuel occasionnerait un haut taux d’abandon chez les femmes après seulement cinq ans de carrière dans le domaine.

C’est devant ce constat que Jade Payer a développé un programme de formation pour lutter contre le harcèlement sexuel ou psychologique sur les chantiers et dans les milieux de la construction. Il sera donné dans les entreprises dès cet été.

Des améliorations aux conditions de travail demeurent également nécessaires pour attirer et retenir davantage les forces vives au féminin, estiment les intervenantes interrogées par La Presse Canadienne.

Des horaires mieux adaptés et un meilleur accès à des équipements de sécurité en accord avec la physionomie des femmes font partie d’un ensemble de «petits changements» qui pourraient être mis en place, croit Mme Dufour.

Selon elle, un travail de valorisation et de démystification des métiers de la construction auprès de la population en général est aussi à considérer.

Cet article a été produit par Frédéric Lacroix-Couture avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.