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COP15: un enjeu «qui pourrait tout compromettre»

La Presse Canadienne|Publié le 14 Décembre 2022

COP15: un enjeu «qui pourrait tout compromettre»

Il reste, au minimum, 200 G$ à trouver par année et une partie pourrait provenir de l’aide au développement. (Photo: La Presse Canadienne)

Des pays en développement ont quitté des pourparlers de la COP15 pendant la nuit en raison de préoccupations concernant le financement des mesures de conservation, alors que les délégués réunis à la conférence se penchent mercredi sur le rôle du secteur privé.

L’objectif principal de la conférence de Montréal est de conclure un accord sur la préservation de 30% des terres et des océans du monde d’ici 2030. Mais cette COP15 tente également de parvenir à un accord sur la manière dont cet objectif devrait être financé, et il y a un certain nombre de désaccords, notamment sur la création d’un nouveau fonds pour la biodiversité.

La Presse Canadienne a parlé, sous le couvert de l’anonymat, au représentant d’un des pays qui a quitté la réunion durant la nuit dernière.

Il a raconté que cette rencontre était «importante et significative», mais que vers une heure du matin, «les pays en voie de développement qui étaient présents» ont tous «claqué la porte de la réunion».

Il a raconté que les pays du Sud ont l’impression que les pays du Nord ne veulent pas discuter des milliards de dollars d’aide au développement nécessaire à la mise en œuvre du plan qui mettrait fin au déclin de la biodiversité.

«Ça pourrait tout compromettre», a indiqué la source.

«La perte de biodiversité, c’est le problème de tout le monde, mais nous ne sommes pas tous responsables de la même façon, une grande partie de la perte de biodiversité dans les pays du Sud est causée par le mode de consommation des pays du Nord» alors «c’est une question de justice et de solidarité sociale» a mentionné le délégué.

«Il y a une responsabilité particulière des pays développés dans la perte de biodiversité dont ils évitent de parler et nous pensons qu’il est temps d’en parler», a-t-il ajouté.

Le délégué a tenu à préciser que les pays en développement abritent la plus grande partie de la biodiversité du monde.

«Donc, en ce qui concerne la mise en œuvre du plan, nous allons avoir des coûts supplémentaires. Nous allons porter le fardeau le plus lourd.»

Les pays qui ont quitté les pourparlers ont toutefois l’intention de «poursuivre les négociations» comme il est indiqué dans un communiqué publié en après-midi et signé par les pays qui ont quitté la réunion.

Ces pays incluent 54 membres du groupe africain, sept d’Amérique du Sud et d’Amérique latine ainsi que d’autres grandes nations, dont l’Inde, l’Indonésie et le Brésil.

L’ébauche de la déclaration qui doit être signée à Montréal suggère que les pays devront réformer plusieurs pratiques liées à l’agriculture, la pêcherie et la foresterie, ce qui implique, pour plusieurs États, des investissements majeurs.

Par exemple, dans plusieurs pays comme le Brésil, l’élevage de bovins et la culture de soja pour nourrir les bêtes se font au détriment des forêts. La déforestation est une cause importante du déclin de la biodiversité.

Des centaines de milliards

La Convention sur la diversité biologique (CDB) de l’ONU évalue à 700 milliards de dollars (G$) par année le montant nécessaire au financement des activités économiques et des mesures de protection qui permettront de renverser le déclin de la biodiversité.

Les pays réunis à Montréal essaient de s’entendre pour rediriger 500 G$ de subventions «nocives» vers des activités et des mesures qui vont favoriser la biodiversité.

Il reste donc, au minimum, 200 G$ à trouver par année et une partie pourrait provenir de l’aide au développement.

Sur cette somme, les délégués ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’argent devrait être acheminé par l’entremise d’un nouveau fonds ou par des canaux existants. La transparence et la divulgation sont également des sujets de discussion au Palais des congrès.

Francis Ogwal, coprésident de l’un des groupes de travail qui tentent de parvenir à un accord, a déclaré mercredi que le départ des délégués, qui a eu lieu à 1 h du matin, était lié au financement. «Le point clé […] est l’ampleur de l’enveloppe qui sera disponible pour la mise en œuvre de ce cadre global», a-t-il déclaré.

«Vous pouvez adopter un cadre aussi ambitieux que possible, mais si vous n’êtes pas explicite sur la manière dont il sera financé […] la mise en œuvre n’atteindra pas le niveau souhaité.»

Les objectifs et les moyens

Francis Ogwal explique que ce cycle de négociations diffère des précédents en ce sens que les discussions sur les objectifs et la manière dont ils seront payés se déroulent en parallèle et simultanément. «Cette fois-ci, nous avons indiqué que le cadre devrait être un tout, a-t-il déclaré. Tout devrait être fait en même temps.»

Mais tout n’est pas une question d’argent à Montréal. Les discussions portent également sur le transfert de technologies et le renforcement des capacités pour aider les bénéficiaires de ce financement à utiliser efficacement les ressources.

Une réunion était prévue plus tard mercredi pour tous les chefs de délégations des pays qui participent à la conférence, afin de tenter de dénouer l’impasse.

Cette sortie survient alors que la conférence de deux semaines entre dans ses derniers jours et que des ministres de l’Environnement du monde entier convergent à Montréal pour tenter d’élaborer un accord global sur les questions les plus difficiles.

Le secteur privé

Le rôle du financement privé et de l’industrie dans la préservation de suffisamment d’écosystèmes naturels devait être au centre des discussions mercredi. Des discussions étaient prévues sur la manière dont les flux de capitaux mondiaux pouvaient être exploités afin de travailler en symbiose avec la nature plutôt que de l’exploiter.

Les chiffres des Nations unies suggèrent que ces flux de capitaux font désormais davantage partie du problème que de la solution.

L’ONU affirme qu’en 2019, les industries qui érodent la biodiversité ont obtenu des grandes banques d’investissement un montant égal à l’ensemble du produit intérieur brut du Canada, soit environ 3500 milliards $.

L’ONU affirme que la majeure partie de cette somme est allée à l’agriculture, à la pêche, aux combustibles fossiles et à la foresterie. Par contre, l’argent consacré à la conservation était de 200 milliards $ au maximum.

Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, reconnaissait mardi que le secteur privé aurait un rôle à jouer.

De nombreux chefs d’entreprise présents à la conférence souhaitent également discuter des règles de divulgation, afin que les entreprises qui tiennent compte de la biodiversité dans leurs décisions d’investissement ne soient pas désavantagées par celles qui ne le font pas. D’autres veulent s’assurer que les ressources sont transférées de manière transparente, afin que les tiers puissent s’assurer qu’ils vont là où ils sont censés aller.

Dans l’ensemble, la conférence COP15 vise à produire un accord global pour la biodiversité mondiale en déclin équivalent à l’Accord de Paris de 2015, qui a assigné des objectifs stricts aux pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Les négociateurs espèrent des engagements pour préserver 30% des terres et des eaux de la Terre d’ici 2030, ainsi que des plans pour arrêter le déclin des écosystèmes.

Le changement climatique et la biodiversité sont étroitement liés. Les scientifiques ont conclu qu’il sera impossible de maintenir le réchauffement climatique à 1,5 ? C sans sauver au moins un tiers de la planète.

La COP15 se poursuit jusqu’à lundi.