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Cannabis: en Californie, le marché noir prospère

AFP|Publié le 29 mars 2023

Cannabis: en Californie, le marché noir prospère

Malgré la légalisation proclamée, chaque ville ou comté a le dernier mot et presque deux tiers (61%) des exécutifs locaux n’autorisent pas la vente de cannabis dans leur juridiction. (Photo:Getty Images)

Sur un boulevard de Los Angeles, Omar Buddakey passe une porte d’immeuble surmontée d’une croix verte lumineuse. Pas de vitrine ni de devanture: rien n’indique la présence d’un commerce. Pourtant, il émerge quelques instants plus tard de cette échoppe clandestine avec un joint à la main.
Cinq ans après la légalisation complète du cannabis en Californie, ce genre de transactions illicites reste ancré dans les mœurs. Le marché noir se porte comme une fleur et défie l’industrie officielle, désavantagée par les impôts et la bureaucratie.
« Les boutiques légales sont trop chères », explique à l’AFP l’ambulancier de 27 ans, avec son pétard préroulé, acheté sans payer aucune taxe. En venant ici, ce consommateur régulier, qui fume pour réguler son anxiété, estime « économiser environ un salaire » par an.
« Je préfère payer moins pour la même chose », insiste-t-il, en oubliant les nombreux pesticides nocifs utilisés sur les plants illégaux.
Son quartier populaire de l’est de Los Angeles pullule de magasins clandestins sans enseignes: souvent signalés par une simple croix verte dans la rue, ils s’affichent ouvertement en ligne, avec une page dédiée sur Google.
Toute la journée, Joe accueille ainsi les clients dans sa boutique aveugle et mal éclairée. Personnes âgées, femmes seules, couples avec enfants, personne ne s’offusque des bocaux poussiéreux dans lesquels il stocke ses fleurs de cannabis. Car chez lui, 30 grammes d’herbe sont facturés 100 dollars au lieu des 135 réglementaires.
« Les flics ont probablement organisé huit à dix descentes dans ce magasin », raconte l’air blasé ce vendeur d’une vingtaine d’années, qui refuse de donner son patronyme. « Ils prennent l’herbe, nos caméras et tout l’argent. (…) Nous, on rouvre dans l’heure suivante ou le jour d’après. »
Taxés à mort
En 2016, la Californie a autorisé l’usage récréatif du cannabis — qui était déjà licite sur ordonnance médicale — en approuvant par référendum une loi qui promettait de « neutraliser le marché noir ». Un objectif partagé par de nombreux pays partisans d’une légalisation, du Canada à l’Uruguay en passant par l’Allemagne.
Mais depuis 2018 et l’ouverture des premiers commerces légaux, le poids de l’économie souterraine reste remarquablement stable autour des 8 milliards de dollars annuels, selon Tom Adams, du cabinet Global Go Analytics.
Plus modeste, le marché légal californien est désormais à la peine, après plusieurs années d’expansion. En 2022, les ventes officielles de cannabis ont reculé pour la première fois de 8,2%, avec 5,3 milliards de chiffre d’affaires.
« La Californie paye aujourd’hui deux erreurs fatales qu’elle a commises en concevant son plan. Elle y a mis trop d’impôts et trop de réglementations », estime M. Adams, en pointant les effets contradictoires du pouvoir laissé aux politiques locaux.
Malgré la légalisation proclamée, chaque ville ou comté a le dernier mot et presque deux tiers (61%) des exécutifs locaux n’autorisent pas la vente de cannabis dans leur juridiction. L’État compte donc à peine 1 100 boutiques pour 40 millions d’habitants: de quoi créer une large base de clients insatisfaits, prêts à se fournir illégalement.
Dans les zones où le commerce est permis, « nous sommes taxés à mort. Malheureusement, cela met à rude épreuve l’industrie », peste Nathan Holtz-Poole, propriétaire d’un magasin avec pignon sur rue à Venice Beach.
Entre les taxes d’accise et la TVA imposées à la fois par le gouvernement californien et la ville de Los Angeles, « le consommateur paie plus de 35% de taxes pour chaque dollar dépensé » dans sa boutique, explique-t-il.
Soigneusement décoré, son dispensaire aux airs d’herboristerie propose notamment des produits haut de gamme, de la plante à cultiver chez soi au concentré de cannabis ultra-puissant sous forme de cire.
Malgré ce positionnement, « nous survivons tout juste, au mieux nous sommes à l’équilibre », confie le quinquagénaire, qui a vu ses ventes chuter ces derniers mois.
Sanctions minimes
« Nous sommes constamment confrontés aux vendeurs illégaux », s’agace-t-il. Le commerçant estime que cette concurrence déloyale lui fait perdre « 30% de chiffre d’affaires ».
Dans son quartier, plusieurs enseignes de CBD — la molécule non psychoactive du cannabis — vendent sous le manteau des produits psychotropes chargés en THC, sans aucune licence. Malgré ses signalements réguliers à la police, « il n’y a aucun contrôle », soupire-t-il. « Nous nous sentons complètement abandonnés. »
Les forces de l’ordre, elles, ont l’impression de vider l’océan à la petite cuillère. Car avec la légalisation, l’échelle des sanctions pour vente illicite de cannabis a été abaissée. 
Résultat, lorsqu’un magasin illégal est perquisitionné, les vendeurs risquent rarement plus qu’une amende et reprennent rapidement leurs activités, résume Michael Boylls, de la brigade anti-stupéfiants de la police de Los Angeles.
« Nous travaillons d’arrache-pied, mais la loi n’a pas de mordant », regrette cet enquêteur, qui dirige l’unité dédiée au cannabis.
Ses hommes effectuent 300 à 400 perquisitions par an et font parfois murer les commerces illégaux.
Pourtant, la police recense invariablement depuis 2018 une centaine de dispensaires hors-la-loi chaque année dans la ville. Un chiffre qui monte à plusieurs centaines si l’on ajoute le territoire du comté de Los Angeles, sous l’autorité du shérif.
Face au ras le bol de l’industrie légale, le gouverneur de Californie Gavin Newsom a décidé l’été dernier de supprimer une taxe sur la culture du cannabis, pour inciter les producteurs à ne pas glisser vers l’économie souterraine. Une mesure jugée insuffisante par le secteur.
« On ne peut pas éliminer rapidement le marché illégal lorsqu’on handicape à ce point les acteurs légaux », juge M. Adams, l’analyste. « La raison pour laquelle le marché légal de l’alcool a pris le dessus rapidement après la prohibition, c’est que ce n’était pas autant taxé. »

Sur un boulevard de Los Angeles, Omar Buddakey passe une porte d’immeuble surmontée d’une croix verte lumineuse. Pas de vitrine ni de devanture: rien n’indique la présence d’un commerce. Pourtant, il émerge quelques instants plus tard de cette échoppe clandestine avec un joint à la main.

Cinq ans après la légalisation complète du cannabis en Californie, ce genre de transactions illicites reste ancré dans les mœurs. Le marché noir se porte comme une fleur et défie l’industrie officielle, désavantagée par les impôts et la bureaucratie.

« Les boutiques légales sont trop chères », explique à l’AFP l’ambulancier de 27 ans, avec son pétard préroulé, acheté sans payer aucune taxe. En venant ici, ce consommateur régulier, qui fume pour réguler son anxiété, estime « économiser environ un salaire » par an.

« Je préfère payer moins pour la même chose », insiste-t-il, en oubliant les nombreux pesticides nocifs utilisés sur les plants illégaux.

Son quartier populaire de l’est de Los Angeles pullule de magasins clandestins sans enseignes: souvent signalés par une simple croix verte dans la rue, ils s’affichent ouvertement en ligne, avec une page dédiée sur Google.

Toute la journée, Joe accueille ainsi les clients dans sa boutique aveugle et mal éclairée. Personnes âgées, femmes seules, couples avec enfants, personne ne s’offusque des bocaux poussiéreux dans lesquels il stocke ses fleurs de cannabis. Car chez lui, 30 grammes d’herbe sont facturés 100 dollars au lieu des 135 réglementaires.

« Les flics ont probablement organisé huit à dix descentes dans ce magasin », raconte l’air blasé ce vendeur d’une vingtaine d’années, qui refuse de donner son patronyme. « Ils prennent l’herbe, nos caméras et tout l’argent. (…) Nous, on rouvre dans l’heure suivante ou le jour d’après. »

Taxés à mort

En 2016, la Californie a autorisé l’usage récréatif du cannabis — qui était déjà licite sur ordonnance médicale — en approuvant par référendum une loi qui promettait de « neutraliser le marché noir ». Un objectif partagé par de nombreux pays partisans d’une légalisation, du Canada à l’Uruguay en passant par l’Allemagne. 

Mais depuis 2018 et l’ouverture des premiers commerces légaux, le poids de l’économie souterraine reste remarquablement stable autour des 8 milliards de dollars annuels, selon Tom Adams, du cabinet Global Go Analytics.

Plus modeste, le marché légal californien est désormais à la peine, après plusieurs années d’expansion. En 2022, les ventes officielles de cannabis ont reculé pour la première fois de 8,2%, avec 5,3 milliards de chiffre d’affaires.

« La Californie paye aujourd’hui deux erreurs fatales qu’elle a commises en concevant son plan. Elle y a mis trop d’impôts et trop de réglementations », estime M. Adams, en pointant les effets contradictoires du pouvoir laissé aux politiques locaux.

Malgré la légalisation proclamée, chaque ville ou comté a le dernier mot et presque deux tiers (61%) des exécutifs locaux n’autorisent pas la vente de cannabis dans leur juridiction. L’État compte donc à peine 1 100 boutiques pour 40 millions d’habitants: de quoi créer une large base de clients insatisfaits, prêts à se fournir illégalement.

Dans les zones où le commerce est permis, « nous sommes taxés à mort. Malheureusement, cela met à rude épreuve l’industrie », peste Nathan Holtz-Poole, propriétaire d’un magasin avec pignon sur rue à Venice Beach.

Entre les taxes d’accise et la TVA imposées à la fois par le gouvernement californien et la ville de Los Angeles, « le consommateur paie plus de 35% de taxes pour chaque dollar dépensé » dans sa boutique, explique-t-il.

Soigneusement décoré, son dispensaire aux airs d’herboristerie propose notamment des produits haut de gamme, de la plante à cultiver chez soi au concentré de cannabis ultra-puissant sous forme de cire. 

Malgré ce positionnement, « nous survivons tout juste, au mieux nous sommes à l’équilibre », confie le quinquagénaire, qui a vu ses ventes chuter ces derniers mois.

Sanctions minimes

« Nous sommes constamment confrontés aux vendeurs illégaux », s’agace-t-il. Le commerçant estime que cette concurrence déloyale lui fait perdre « 30% de chiffre d’affaires ».

Dans son quartier, plusieurs enseignes de CBD — la molécule non psychoactive du cannabis — vendent sous le manteau des produits psychotropes chargés en THC, sans aucune licence. Malgré ses signalements réguliers à la police, « il n’y a aucun contrôle », soupire-t-il. « Nous nous sentons complètement abandonnés. »

Les forces de l’ordre, elles, ont l’impression de vider l’océan à la petite cuillère. Car avec la légalisation, l’échelle des sanctions pour vente illicite de cannabis a été abaissée.

Résultat, lorsqu’un magasin illégal est perquisitionné, les vendeurs risquent rarement plus qu’une amende et reprennent rapidement leurs activités, résume Michael Boylls, de la brigade anti-stupéfiants de la police de Los Angeles.

« Nous travaillons d’arrache-pied, mais la loi n’a pas de mordant », regrette cet enquêteur, qui dirige l’unité dédiée au cannabis.

Ses hommes effectuent 300 à 400 perquisitions par an et font parfois murer les commerces illégaux.

Pourtant, la police recense invariablement depuis 2018 une centaine de dispensaires hors-la-loi chaque année dans la ville. Un chiffre qui monte à plusieurs centaines si l’on ajoute le territoire du comté de Los Angeles, sous l’autorité du shérif.

Face au ras le bol de l’industrie légale, le gouverneur de Californie Gavin Newsom a décidé l’été dernier de supprimer une taxe sur la culture du cannabis, pour inciter les producteurs à ne pas glisser vers l’économie souterraine. Une mesure jugée insuffisante par le secteur.

« On ne peut pas éliminer rapidement le marché illégal lorsqu’on handicape à ce point les acteurs légaux », juge M. Adams, l’analyste. « La raison pour laquelle le marché légal de l’alcool a pris le dessus rapidement après la prohibition, c’est que ce n’était pas autant taxé. »