« La finance d'impact demeure marginale. Nous sommes tous responsables de la suite. »


Édition du 05 Mai 2018

« La finance d'impact demeure marginale. Nous sommes tous responsables de la suite. »


Édition du 05 Mai 2018

Par Diane Bérard

Le Français Bertrand Badré a touché à tous les univers de la finance : au gouvernement, pour les entreprises et pour le développement international. Il a produit un livre, Money honnie, qui marque sa transition vers la finance durable et l'investissement d'impact. M. Badré sera conférencier à C2 Montréal et au Sommet de Montréal sur l'innovation.

Diane Bérard - Avant de migrer vers la finance durable, vous avez roulé votre bosse dans la finance traditionnelle. Parlez-nous de cette première vie.

Bertrand Badré - J'ai touché aux finances publiques, à la finance d'entreprise et à celle pour le développement. Au ministère des Finances français, j'ai préparé le passage à l'euro. À la banque d'affaires Lazard, à New York et à Londres, j'ai vécu la bulle du .com. J'ai vu la spéculation de l'intérieur. Mes clients demandaient : « Que puis-je faire pour devenir une .com moi aussi ? Ainsi, ma société vaudra plus cher. » J'ai ensuite travaillé en finance de développement comme conseiller du président Jacques Chirac pour l'Afrique. De retour chez Lazard, je me suis consacré à la restructuration du Groupe Eurotunnel. Un mandat extrêmement difficile. Margaret Thatcher a pris une mauvaise décision en excluant tout financement public. C'était un chantier beaucoup trop important pour compter uniquement sur l'argent privé. J'ai ensuite assumé la direction financière de la Société générale.

D.B. - Parlons davantage de votre mandat à la Société générale en pleine crise financière mondiale.

B.B. - Il a fallu mener deux mandats de front. D'abord, se concentrer sur la gestion à très court terme. Sans exagérer, je dirais qu'on gérait à la seconde. En même temps, il fallait penser à long terme, imaginer la Société générale dans 10 ans.

D.B. - Le dernier rôle de votre première vie a été celui de régulateur financier à la Banque mondiale. Comment ce mandat a-t-il ouvert la porte sur la suite ?

B.B. - En participant aux efforts de réforme de la finance à la Banque mondiale, j'ai réalisé que nous nous trouvions dans un système qui cherche toujours la sortie. Les États-Unis ne sont plus les leaders mondiaux. Le modèle chinois, une dictature politique associée au laisser-faire économique, s'exporte mal. Et les autorités réglementaires traitent la finance comme s'il s'agissait de yaourt ! Elles affirment : « On fait les règles et le système s'adapte. » La finance n'est pas un marché comme les autres. Il ne s'adapte pas, il a plutôt tendance à s'emballer. Ces préoccupations ont mené à la rédaction d'un livre, Money honnie. Après un regard sur le passé, les crises, les redressements et les dérapages, j'évoque une finance réhabilitée qui pourrait devenir un véritable outil de développement économique et de coopération internationale. Une finance solidaire et sociale. Les pays membres des Nations Unies ont cautionné les 17 objectifs de développement durable pour la planète. Mais encore ? Comment le système financier de ces États ainsi que le système mondial s'adaptent-ils pour mobiliser l'épargne privée pour atteindre ces 17 objectifs ? C'est cette question qui anime ma deuxième vie de financier.

D.B. - Croyez-vous que la réglementation puisse harnacher la finance pour éviter les dérapages ?

B.B. - Je l'ignore, parce que je ne suis pas convaincu qu'on a vraiment essayé. Par exemple, on répète qu'on veut financer le long terme, mais je doute qu'on ait mis en place des règles pour y arriver. En fait, les seules règles qu'on a établies servent à éviter que le bateau coule. On n'a rien déployé pour le long terme qui inclut, entre autres, l'éthique et une nouvelle définition du profit.

D.B. - Parlez-nous de ce fonds de 600 millions de dollars américains, Blue like an Orange, que vous venez de rassembler...

B.B. - Une part croissante d'investisseurs désirent que leur argent serve positivement. C'est ce que notre fonds proposera : une bonne performance et un impact sociétal positif. Je sais que le terme « investissement d'impact » est à la mode et qu'on en abuse. Il faut dire les choses comme elles sont : oui, il est possible de faire de l'argent tout en faisant le bien, mais il faut se montrer patient. L'horizon de rendement de ce type d'investissement est plus lointain. Blue like on Orange financera des infrastructures (énergie, transport, eau) ainsi que des entreprises dans le secteur de l'éducation, de la santé, de l'agriculture et du logement. L'accès au crédit aussi, en soutenant les institutions financières locales. L'épargne des pays riches va à des obligations à taux faible au lieu de contribuer au développement des pays émergents.

D.B. - Votre fonds ne financera que des projets dans les pays émergents. Ne peut-on faire de l'investissement d'impact dans les économies matures ?

B.B. - Bien sûr qu'on le peut. On ne compte plus le nombre d'infrastructures qui ont besoin d'être remplacées dans les économies matures. Je n'ai jamais eu aussi peur de mourir que lorsque j'emprunte des ponts aux États-Unis ! Et que dire des besoins en éducation et des services aux personnes âgées dans ces sociétés vieillissantes. Mais, soyons francs, les occasions de rendement de l'investissement d'impact sont plus élevées dans les pays émergents. C'est pour cette raison que nous commençons notre fonds là-bas.

D.B. - Les occasions d'affaires des 17 buts de développement durable et l'investissement d'impact nous permettront-elles de renouer avec la croissance passée ?

B.B. - Les taux de croissance passés étaient dopés par une dette excessive et une démographie explosive. Aujourd'hui, l'immigration n'a pas la cote et on ne fait plus d'enfants. Toutes les analyses montrent que la croissance passée ne reviendra pas. De toute façon, la croissance ne résout pas tout. L'Allemagne a une des meilleures performances économiques au monde et Angela Merkel a éprouvé de la difficulté à se faire réélire.

D.B. - Vous insistez sur la différence entre la croissance et le développement. Expliquez-nous...

B.B. - La croissance est une multiplication sans contrôle, comme dans le cas des cellules cancéreuses. On n'observe pas de réel impact positif, juste un effet sur le PNB. Le développement, quant à lui, consiste à mettre les bonnes choses au bon endroit au bon moment dans la bonne séquence.

D.B. - Comment voyez-vous votre nouveau rôle de financier ?

B.B. - Compte tenu de ma première vie, on me répète souvent que ma responsabilité consiste à connecter les deux mondes de la finance : l'ancien et celui qui émerge. Il faut éviter de l'opposer, car l'un a besoin de l'autre. Il faudra toutefois surmonter les enjeux culturels qui les divisent. Les connecteurs comme moi peuvent y contribuer.

D.B. - Obligations vertes, finance d'impact... au-delà de l'effet mode, quelle place voyez-vous pour cette finance émergente ?

B.B. - Débutons par les faits. En 2017, les obligations vertes ont représenté 100 milliards de dollars américains. En 2018, cela devrait doubler. C'est une progression impressionnante, mais ça demeure peu par rapport à des émissions mondiales d'obligations de 150 000 G$ US. Quant aux obligations sociales (social impact bonds), en 2017, on en a émis pour 2 G$ US. C'est marginal, le choix n'a pas encore été fait. Nous sommes tous responsables, à des degrés différents, de la direction que prendra la finance. Je suis inquiet que ça n'arrive pas assez vite.

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