Eilif Serck-Hanssen : « La certification B Corp est en voie de devenir la norme »


Édition du 24 Mars 2018

Eilif Serck-Hanssen : « La certification B Corp est en voie de devenir la norme »


Édition du 24 Mars 2018

Par Diane Bérard

Laureate Education, qui scolarise la classe moyenne des pays émergents, est le plus important réseau d'établissements d'enseignement supérieur du monde. Ses revenus atteignaient 4,2 G$ US en 2016. Elle est cotée en Bourse et certifiée B Corp. Son PDG, Eilif Serck-Hanssen, estime qu'on peut, et qu'on doit, combiner rentabilité financière et mission sociale.

DIANE BÉRARD - Laureate Education sert plus d'un million d'étudiants sur 70 campus dans 25 pays. Quelle est la particularité de votre institution ?

EILIF SERCK-HANSSEN - Nous offrons des diplômes supérieurs dans des marchés émergents à des clientèles sous-desservies. Nous sommes présents là où la classe moyenne se développe pour lui permettre d'avoir accès à une éducation de qualité à un prix abordable. Près de la moitié (46 %) de nos étudiants appartiennent à l'une des catégories suivantes : première génération à fréquenter l'université, foyer à faible revenu ou adultes retournant aux études.

D.B. - Laureate Education est « centrée sur l'étudiant » plutôt que « centrée sur les facultés ». Qu'est-ce que cela signifie ?

E.S.H. - La plupart des universités sont centrées sur les facultés. Elles valorisent et investissent en recherche et aspirent à décrocher des prix. C'est une mission valable, mais ce n'est pas la nôtre. Nous aspirons à ce que nos étudiants décrochent de bons emplois bien rémunérés, c'est tout. Pour eux, l'éducation supérieure est un ascenseur social. Elle améliore leur sort afin qu'ils contribuent à améliorer celui de la société.

D.B. - Avez-vous bâti vos 70 campus ?

E.S.H. - Non, la plupart de nos campus sont le fruit d'acquisitions. Nous acquérons de petites universités qui jouissent d'une réputation de qualité. Nous les agrandissons et nous leur appliquons la philosophie et les pratiques Laureate.

D.B. - En 2015, votre entreprise a pris deux décisions importantes : elle a changé son statut juridique et a obtenu la certification B Corp. Pourquoi ?

E.S.H. - Ces gestes visaient à communiquer publiquement la mission sociale que nous entretenons depuis la fondation, en 1999. Le statut de Benefit Corporation est un statut juridique qui déclare que nous avons une obligation morale de ne pas nous limiter à l'intérêt des investisseurs lors de la prise de décision. Nous devons aussi prendre en compte nos autres parties prenantes, comme les étudiants et leurs parents. Nous devons équilibrer la rentabilité financière, les intérêts spécifiques de ceux qui sont touchés par nos activités et ceux de la société en général. Ce statut accorde une protection légale à la direction et au CA contre d'éventuelles poursuites d'investisseurs insatisfaits de nos décisions. Il reconnaît officiellement l'étendue de nos devoirs de fiduciaires. B Corp, quant à elle, n'est pas un statut juridique, mais plutôt une certification accordée par l'organisme américain B Lab. On compte plus de 2 400 B Corp sur la planète. C'est un processus d'évaluation rigoureux qui passe en revue toutes les fonctions de l'entreprise, chaque fois sous l'angle de la performance financière, sociale et environnementale. Cette certification doit être réévaluée tous les deux ans. Pour la conserver, il faut obtenir une note plus élevée chaque fois.

D.B. - Votre certification B Corp a une particularité, laquelle ?

E.S.H. - Généralement, une entreprise ne certifie que l'unité principale. Toutes nos écoles sont certifiées B Corp de façon indépendante. Chacune remplit le questionnaire de façon autonome. Nous partageons l'information entre les établissements.

D.B. - Laureate est une société cotée en Bourse. Comment le marché a-t-il réagi lorsque vous avez adopté le statut juridique de Benefit Corporation ?

E.S.H. - Ils savaient déjà à quoi s'attendre en investissant chez nous. La mission de Laureate est la même depuis sa fondation. Aujourd'hui, c'est encore plus clair. Notre statut juridique et notre certification B Corp simplifient le processus de sélection des investisseurs. Nous leur expliquons clairement que nos étudiants et leurs parents s'engagent avec nous pour au moins quatre ans. Nous en attendons autant de nos investisseurs. Notre budget importe plus que les résultats du prochain trimestre. Le titre de Laureate est destiné aux investisseurs à long terme qui croient en notre mission et en notre façon de la décliner.

D.B. - Avant d'être PDG, vous étiez vice-président aux finances. Pouvez-vous nous donner des arguments financiers pour une prise en considération de la performance sociale d'une entreprise ?

E.S.H. - La performance financière est essentielle à la pérennité d'une organisation. La performance sociale est essentielle à sa pertinence. C'est en se donnant une mission sociale qu'on attire et qu'on retient les meilleurs employés. Et ce sont ces employés qui permettent à l'entreprise d'être concurrentielle, donc d'afficher une bonne performance financière.

D.B. - Vous mettez au défi les autres PDG de trouver leur cercle vertueux. Expliquez-nous.

E.S.H. - Chaque entreprise doit réussir à tracer des liens entre la valeur économique qu'elle crée, la raison pour laquelle elle crée celle-ci au-delà de l'accumulation de revenus - est-ce utile, nécessaire, pertinent pour la société ? - et son impact sur la planète au cours du processus de production. Lorsque ces trois piliers sont solides et arrimés, l'entreprise crée un cercle vertueux. Google a été créée pour démocratiser l'information. Amazon, pour permettre un accès facile, pratique et abordable à une foule d'articles. Quand votre organisation a défini sa pertinence pour la société, elle tient un modèle d'affaires durable.

D.B. - L'obligation de triple rendement (financier, social, environnemental) complique-t-elle la prise de décision pour un gestionnaire ?

E.S.H. - Je ne crois pas. Nous nous rattachons à notre mission : préparer nos étudiants pour des emplois de qualité, dès leur graduation, en fournissant une excellente éducation à un coût abordable au plus grand nombre possible. Tous nos choix doivent satisfaire ces critères.

D.B. - Vous avez développé une astuce pour vous assurer de ne jamais perdre de vue toutes vos parties prenantes. Racontez-nous...

E.S.H. - Dans nos réunions, il y a toujours deux chaises vides. La première représente les autorités réglementaires. Le secteur de l'éducation est très réglementé ; il ne faut jamais le perdre de vue lorsque nous prenons nos décisions. L'autre chaise représente les parents. Nos étudiants proviennent de la classe moyenne. Parfois, ce sont les premiers de leur lignée à fréquenter une maison d'enseignement supérieur. Pour les parents, cela représente un investissement important et beaucoup de sacrifices. Il faut toujours le garder en mémoire. Ces parents amorcent une relation avec Laureate pour de nombreuses années. Ils ont des attentes concrètes pour leurs enfants. Nous devons nous montrer à la hauteur. Ce sont les clients qui accordent la pertinence à une entreprise.

D.B. - Quel poids accordez-vous à la lettre ouverte de Larry Fink, PDG de BlackRock, qui dit que son fonds cessera de financer les entreprises qui ne contribuent pas au bien de la société ?

E.S.H. - C'est une indication de plus que la certification B Corp est en voie de devenir la norme.

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