" L'humanité peut régler ses problèmes d'eau en moins de deux générations "

Publié le 15/07/2010 à 14:46

" L'humanité peut régler ses problèmes d'eau en moins de deux générations "

Publié le 15/07/2010 à 14:46

L'auteur du Manifeste de l'eau, Riccardo Petrella, affirme qu'il y a bien assez d'eau sur la planète pour tous les habitants.

Il a une tête de bon grand-papa et un coeur d'anarchiste. Économiste, politologue, professeur, militant... Riccardo Petrella est une figure emblématique de l'alter-mondialisme et du mouvement de reconnaissance de l'eau comme droit humain. Il publie, en 1996, un pamphlet phare intitulé Le Manifeste de l'eau - Pour un contrat mondial. À 69 ans, Riccardo Petrella lève encore le poing pour défendre l'égalité, la liberté et le socialisme. Il a enseigné sur tous les continents, travaillé pour la Comission européenne et fondé le Groupe de Lisbonne, un rassemblement d'individus de divers horizons qui publie des analyses critiques des formes que prend la mondialisation. Un thème revient constamment dans les discours de cet activiste : le bien commun. Il se dit convaincu " qu'une société incapable de promouvoir le bien commun est aussi incapable de penser à son avenir ". Nous avons joint Riccardo Petrella à Bruxelles.

Diane Bérard - Vous réfutez la thèse qui veut que la distribution inégale de l'eau sur la planète explique pourquoi 1,5 milliard d'humains n'y ont pas accès.

Riccardo Petrella - La distribution inégale de l'eau explique pourquoi 100 millions d'hommes, de femmes et d'enfants en sont privés. Mais les autres exclus - 1,4 milliard d'habitants -, n'ont pas accès à l'eau parce qu'ils sont pauvres. L'eau est là, tout près d'eux, mais ils n'ont pas l'argent nécessaire pour creuser des puits, des stations de pompage et des usines de traitement. Prenons le cas du Congo : ce pays ne manque pas d'eau. En fait, il en regorge, mais cette eau n'est pas pour les pauvres.

D.B. - Il y aurait donc assez d'eau pour nous tous.

R.P. - Assez d'eau, oui. Assez d'eau potable et accessible ? Non. Regardez ce qui se passe aux États-Unis, où plus de 40 villes sont en état de crise parce qu'elles n'arrivent pas à s'approvisionner en eau potable. Et que dire de toute cette eau, prisonnière à des milliers de mètres sous le sol. Elle existe, il faut trouver comment y accéder.

D.B. - En 1996, vous avez publié le Manifeste de l'eau. Que réclamez-vous ?

R.P. - L'eau doit être un bien commun. Il nous faut une Charte mondiale de l'eau. Parce qu'elle est essentielle à la vie - sans eau, c'est la mort - celle-ci fait partie du domaine des droits individuels aussi bien que collectifs. Cela suppose que personne ne peut se l'approprier à titre privé, c'est-à-dire priver des individus de son accès. Pour moi, l'eau privée est synonyme d'exclusion. Et on ne peut pas exclure des individus d'une ressource essentielle à la vie. Ainsi, la captation, la distribution, la conservation et la gestion de l'eau doivent répondre à une logique qui garantit que ce bien appartient à tous.

D.B. - Que signifie la gestion publique collective de l'eau ?

R.P. - Que cette gestion soit menée par l'État, les collectivités et les municipalités.

D.B. - La situation a-t-elle changé depuis la publication de votre Manifeste, il y a 14 ans ?

R.P. - Oui, et pas pour le mieux... La tendance est à la marchandisation de l'eau et à l'élargissement des pratiques privées pour les services hydriques. Depuis 10 ans, l'État, les collectivités et tous ceux qui décident si l'eau est un bien commun ou un bien économique et privé ont pour la plupart choisi d'en confier la gestion à des sociétés privées ou mixtes.

D.B.- Vous parlez de marchandisation de l'eau...

R.P. - La marchandisation est la tendance lourde du 21e siècle. Tout est considéré comme une marchandise. L'air, pensez au marché des émissions de CO2. L'éducation en Europe devient de plus en plus privée, mais elle est financée grâce à des fonds publics... Vous pouvez aussi devenir propriétaire de gènes humains. Nous sommes en train de marchandiser la vie. Il ne reste rien de sacré. Désormais, il faut mettre un prix sur les choses pour qu'elles aient de la valeur. Prenez le débat sur les changements climatiques : pour protéger les fleuves et les forêts, il a fallu leur donner une valeur monétaire. Sans valeur monétaire, les forêts n'ont pas de valeur. Elles seront détruites. Cette vision marchande de la vie est une bêtise. Le jour où une forêt ne fait plus l'objet d'échanges commerciaux elle ne vaut plus rien.

D.B. - Avez-vous jeté l'éponge ?

R.P. - Non. Partout dans le monde, il existe des foyers d'opposition et de révolte. Même si ceux-ci n'ont pas renversé la tendance à la marchandisation de la vie, ils l'ont souvent stoppée. En Bolivie, par exemple, des paysans ont résisté à la privatisation de l'eau et à des augmentations de tarifs de 349 %. Ils ont fait tomber le gouvernement et chassé les multinationales. En Italie, en ce moment, un mouvement spontané de 600 000 citoyens réclame un référendum pour abroger trois lois portant sur la privatisation des services hydriques.

D.B. - Pourquoi êtes-vous si opposé à la privatisation des services hydriques ?

R.P. - On ne peut pas conditionner l'accès à l'eau à la capacité individuelle de payer. Car dans cette logique de marché, celui qui utilise l'eau devient un client. Or, quel que soit le secteur, toute entreprise veut tirer un profit de ses activités, sinon son dirigeant serait un imbécile ! À l'opposé, une collectivité ne cherchera pas le profit, c'est pourquoi la gestion d'un bien commun comme l'eau doit lui revenir.

D.B. - Pour vous, il n'y a pas une eau, mais bien plusieurs eaux, selon leur usage.

R.P. - En effet, il y a l'eau pour la vie et l'eau " économique ". L'eau entre dans la production de nombreux biens. Mais toutes les productions ne sont pas essentielles. Il faut établir des priorités. Par exemple, l'eau requise pour irriguer les champs de blé ou de riz a préséance sur celle qui sert à la production d'éthanol, de pâte à papier ou d'ordinateurs. Et l'eau requise pour produire des ordinateurs, par exemple, ne peut être considérée comme un bien de production comme les autres. Les règles, les contrôles et les choix qui y sont associés doivent rester du domaine public, même s'il s'agit de l'eau " économique " utilisée par le secteur privé. Pour moi, il est hors de question de laisser le marché décider du prix que les producteurs d'acier ou d'éthanol paieront pour l'eau " économique " qu'ils utilisent. Chaque collectivité doit établir ses priorités pour l'utilisation de l'eau sur son territoire.

D.B. - Comment se porte votre relation avec le monde des affaires ?

R.P. - (Rires) C'est une relation d'amour-haine ! Les gens d'affaires recherchent la compagnie de contestataires comme moi, ils essaient de nous convaincre qu'ils ne cherchent pas à encaisser un profit sur l'eau au détriment de la population. Ils se présentent en sauveurs : " Nous possédons la technologie, sans celle-ci il ne sera jamais possible d'améliorer les conditions de vie des populations. "

D.B. - Avez-vous de l'estime pour les entrepreneneurs ?

R.P. - Certains entrepreneurs... Ceux qui essaient, malgré tout, de conjuguer profits et bien commun. Leur combat est intéressant. Quant aux autres dirigeants, ce sont souvent de bons pères, et même de bons êtres humains, mais dans leur rôle de pdg, ils deviennent impitoyables. Ils ne sont prêts à aucun compromis, même au nom du droit à la vie.

D.B. - Le capitalisme n'implique-t-il pas la recherche de profit ?

R.P - Oui, c'est ainsi que ce système est bâti. Je ne critiquerai jamais un pdg qui affirme : " Mes décisions ont pour but d'enrichir les actionnaires ". Il dit la vérité. Nous n'avons d'autre choix que de laisser l'entreprise être ce qu'elle est parce qu'elle ne peut être autre chose. Vous voulez une voiture, des souliers, un frigo, c'est au secteur privé de vous les fournir, avec un profit. Mais il y a dérapage, lorsque nous appliquons cette logique à la production de services essentiels.

D.B - Vous dénoncez la disparition des frontières entre l'économie publique et l'économie privée. Expliquez.

R.P. - Au fil des siècles, on a séparé ce qui répondait à une logique de marché - l'économie privée - des biens et services essentiels à la collectivité - l'économie publique. C'est ce qui nous a permis de devenir des sociétés civilisées, d'assurer notre survie et notre sécurité. Mais tout cela a basculé dans la seconde moitié du 20e siècle. Cette distinction capitale n'existe plus. Tout se monnaie. Nous sommes en train de devenir une société de barbares.

D.B. - Quel espoir nous reste-t-il ?

R.P. - La solidarité. Vous savez, la solidarité n'est pas une affaire de générosité ou de compassion. Elle se fonde sur le respect de l'autre et des formes que prend la créativité individuelle et collective. Grâce à la solidarité, l'humanité peut régler ses problèmes d'eau en moins de deux générations, pour autant qu'on mette en place, entre autres, un programme mondial de gestion de l'eau et de réhabilitation des systèmes dégradés. Un monde meilleur est possible, il ne s'agit pas d'une utopie.

Le pourquoi

Le Québec est un des réservoirs d'eau douce les plus importants de la planète. Le débat sur l'utilisation, la gestion, la privatisation et la marchandisation de l'eau est à nos portes. Riccardo Petrella prône la reconnaissance de l'eau comme bien commun. Alors que le Québec imposera des redevances aux entreprises québécoises utilisatrices d'eau en 2011, lançant le message qu'on ne peut plus exploiter cette ressource impunément, les idées de Ricardo Petrella prennent un nouvelle signification.

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Taux de décès des femmes, par 1 000 accouchements, en raison de conditions sanitaires déficientes (surtout par manque d'eau). Au Québec, ce taux est de 0,8/1000 accouchements.

( EN SAVOIR PLUS )

Le Forum québécois sur l'eau

Les Affaires, en collaboration avec Le Devoir et le 98,5 FM, présente cet automne le Forum québécois sur l'eau. Cet événement rassemblera les forces vives du milieu et des intervenants de tous horizons : monde politique, milieu universitaire, groupes environnementaux, communautés autochtones, gens d'affaires, citoyens.

Pour plus d'information, allez à lesaffaires.com/evements et cliquez sur l'onglet Forum québécois sur l'eau.

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