Pétrole: les producteurs canadiens plus forts que les américains
François Normand|Publié le 09 mars 2020La plupart des producteurs de pétrole de schiste aux États-Unis ont des flux de trésorerie négatifs, selon un rapport.
Les producteurs canadiens de pétrole peuvent mieux résister à l’effondrement des prix de l’or noir que les producteurs américains, qui éprouvent déjà de grandes difficultés financières, affirme un spécialiste du secteur de l’énergie.
«Le risque de défaut des producteurs canadiens est beaucoup moins élevé qu’aux États-Unis», dit au bout du fil Martin Roberge, stratège et analyste quantitatif chez Canaccord Genuity.
La firme s’attend néanmoins à ce que les actions des producteurs d’énergie subissent une pression de vente «importante et aveugle» ce lundi. Selon Canaccord Genuity, plusieurs investisseurs cherchent à réduire rapidement leur exposition au secteur de l’énergie.
Depuis lundi matin, les marchés boursiers de la planète reculent fortement en raison de la décision de l’Arabie saoudite, ce samedi, de baisser ses prix et d’augmenter sa production de pétrole brut, et ce, après que la Russie eut refusé de diminuer sa production de 1,5 million de barils par jour.
Depuis ce matin, l’indice phare de la Bourse de Toronto (S&P/TSX) a reculé de 9,3%, tandis que le sous-indice de l’énergie a fondu de 26,4%. À New York, l’indice phare Dow Jones perdait 7,9%.
Cette crise boursière survient alors que l’épidémie mondiale de coronavirus (Covid-19) plombe déjà l’économie et la Bourse depuis environ deux semaines.
Le royaume saoudien réclamait cette baisse de production de la Russie pour compenser la réduction de la demande mondiale de pétrole en raison du coronavirus et pour maintenir ainsi les prix.
La décision saoudienne a eu un impact majeur sur les prix.
Vers 15h00 ce lundi, le West Texas Intermediate (WTI) reculait de 24,7% à 31 $US le baril, tandis que le Brent de la mer du Nord retraitait de 24% à 34,5 $US.
Comme les pétrolières canadiennes ont fait le ménage dans leur bilan depuis la dernière chute majeure du pétrole en 2015-2016, elles affichent une meilleure santé financière, avec des flux de trésorerie positifs pour plusieurs d’entre elles, souligne M. Roberge.
C’est un tout autre portrait aux États-Unis, où la santé financière des producteurs de pétrole de schiste est préoccupante.
«Même avec un WTI en moyenne supérieur à 57 $US le baril en 2019, le schiste montrait déjà des signes clairs d’un ralentissement», fait remarquer dans une note l’analyste de Michael Loewen de la Banque Scotia.
Flux négatifs de trésorerie aux États-Unis
En fait, la plupart d’entre eux affichent des flux de trésorerie négatifs, sans parler du fait qu’ils ont de plus en plus de difficulté à se financer sur les marchés, selon un rapport publié en décembre par le Geoligical Survey of Finland (GSF), une agence gouvernementale finlandaise (Oil from a Critical Raw Material Perspective).
Cela dit, certains gros producteurs de pétrole aux États-Unis résistent relativement bien à la crise comme ExxonMobil (XOM, 43,2$US). Son titre a retraité de 9,5% aujourd’hui, regagnant aussi un peu du terrain perdu depuis ce matin.
Or, les investisseurs ne font pas la différence entre la situation des producteurs de pétrole des deux côtés de la frontière, car la valeur des titres chute sensiblement dans les mêmes proportions, souligne Martin Roberge.
Par contre, au Canada, des producteurs canadiens pâtissent beaucoup plus que d’autres de la chute du baril de pétrole.
Par exemple, le titre du producteur albertain Cenovus Energy (CVE, 3,83$) a fondu de 51,3% de sa valeur, tandis que celui de Suncor Energy (SU, 27,43$) a chuté de 18,2%, regagnant toutefois en partie le terrain perdu depuis ce matin.
Pour absorber le choc, M. Roberge estime que des pétrolières canadiennes qui payaient un dividende pourraient cesser de le faire. Certaines pourraient même se servir de ces capitaux pour racheter une partie de leurs actions et limiter la chute de leur valeur.
Étant donné le poids du pétrole dans l’économie canadienne, il va sans dire que la chute des cours depuis ce matin risque d’avoir un impact négatif sur l’activité économique, à commencer par l’Alberta.
Reste à voir toutefois combien de temps durera le bras de fer entre l’Arabie saoudite et la Russie.
Avec leur geste d’éclat, des analystes estiment que les Saoudiens veulent forcer la main des Russes afin de les ramener à la table des négociations, car la chute des prix fait aussi très mal aux producteurs en Russie.
En revanche, cette crise pourrait durer plus longtemps si la stratégie de l’Arabie saoudite consiste aussi -comme le pensent certains analystes- à éliminer à terme des producteurs de pétrole aux États-Unis dans une industrie déjà en difficulté.