L’épargne des investisseurs n’est pas toujours renouvelable
Charles Poulin|Édition de la mi‑novembre 2024(Illustration: Sébastien Thibault)
Les énergies vertes sont renouvelables, mais l’épargne des investisseurs qui placent leur argent dans les entreprises de ce domaine, elle, ne l’est pas. Le secteur de l’énergie renouvelable a été mis à mal lors des deux dernières années. Que s’est-il produit, et le passé est-il garant de l’avenir ?
Les énergies renouvelables avaient, littéralement, le vent dans les voiles au début de la pandémie de COVID-19. La demande était en hausse, tout comme les prix de l’énergie en général autour du globe. Puis, le ressac de la pandémie a mis un frein à cette expansion.
L’indice S&P Global Clean Energy a enregistré une pointe record à 2113,52 points en janvier 2021. Il s’est maintenu autour de 1600 points jusqu’à la fin de cette même année, à quelques semaines seulement des premières hausses de taux directeur partout dans le monde.
Il s’est alors amorcé une longue chute pour se retrouver à seulement 800 points au début de novembre 2024. Le rendement annuel moyen de l’indice, au cours des trois dernières années, s’est révélé négatif, à -19,67 %.
Il y a un an, Reuters indiquait que 1 milliard de dollars américains (G $ US) de capitaux avaient été retirés du plus grand fond négocié en Bourse (FNB) américain d’énergie propre, le iShares Global Clean Energy (ICLN, 12,44 $US). Pourtant, en 2020 et 2021, ce véhicule de placement n’avait pas de problème à attirer les investisseurs, lui qui avait réussi à récolter des dépôts de plus de 2 G $ pour chacune de ces deux années.
« L’année passée, c’était difficile pas mal partout pour le solaire et l’éolien, explique François Bourdon, associé directeur à Nordis Capital. En matière de performance boursière en 2024, ça demeure assez variable. »
Financement et taux d’intérêt
Au centre des problèmes : les hausses des taux d’intérêt partout dans le monde.
« Le secteur énergétique est très affecté par les cycles économiques, explique Tommy Ouellet, cofondateur et gestionnaire de portefeuille à BeeQuest. Quand les taux d’intérêt augmentent, ça coûte plus cher. Quand les cycles économiques ralentissent, c’est aussi plus dur d’aller chercher du financement. »
Le secteur a justement besoin de beaucoup de capitaux pour financer la construction de projets, peu importe le type d’énergie qu’on souhaite produire, ajoute François Bourdon.
« L’avantage des énergies renouvelables, et c’est aussi la même chose pour le nucléaire, c’est que la ressource ne coûte rien, ou presque rien, précise-t-il. En contrepartie, les imposants coûts initiaux pour bâtir les projets sont un gros désavantage. Ces entreprises dépensent énormément pour construire leurs installations. Par la suite, les coûts d’exploitation sont plutôt faibles. »
Abandon de projets
L’autre facteur important dans cette perte de vitesse du secteur des énergies renouvelables a été l’abandon de plusieurs projets pressentis.
Beaucoup de projets éoliens au large des côtes ont été soufflés au cours des dernières années. Jugés coûteux et pas suffisamment productifs, les donneurs d’ordres ont décidé de jeter l’éponge plutôt que de prendre un imposant risque financier.
« Certaines entreprises ont vu plusieurs de leurs projets annulés, observe Tommy Ouellet. Ça a fait vraiment mal du côté de l’éolien. Pour des entreprises comme Vestas Wind Systems (VWDRY, 4,97 $ US) et Ørsted (DNNGY, 18,07 $ US), ça a fait une grosse différence. Vestas était parmi les entreprises les plus impliquées pour les projets dans l’Atlantique dans l’État de New York. Ça a eu une incidence importante sur leur capacité financière. »
Tendance renversée ?
Cela dit, il semble que les rendements futurs du secteur de l’énergie renouvelable puissent bientôt se retrouver sous un ciel dégagé.
C’est un secret de polichinelle que la demande en énergie verte est en forte croissance et le sera encore pour plusieurs années. Cette augmentation devrait alimenter le rendement du secteur.
L’Agence internationale de l’Énergie indiquait, dans son rapport « World Energy Outlook 2024 », paru en octobre, que 50 % de l’électricité produite sur la planète serait d’origine faible en carbone d’ici 2034. Au nombre des données avancées, l’agence estime que la demande en électricité va doubler d’ici 2050.
La tendance est déjà enclenchée. Dans son rapport de mi-année, l’Agence note que la prévision de croissance de demande d’électricité devrait être de 4 % en 2024, soit la plus forte hausse depuis 2007. Elle devrait également être de 4 % en 2025.
« Ça fait des années que la demande d’électricité est de neutre à très faible croissance, souligne François Bourdon. Avec l’ajout de voitures électriques, de procédés industriels qui demandent de l’électricité et de centres de données pour l’intelligence artificielle, on se retrouve avec une demande en bonne progression pour l’énergie renouvelable. »
Dans cette perspective, la capacité de transmission et de se raccorder aux réseaux existants sera un élément critique, juge-t-il.
« Je ne sais pas ce que les grandes entreprises en informatique et en technologie comme Microsoft (MSFT, 422,54 $ US) et Amazon (AMZN, 208,18 $ US) vont vouloir faire, note-t-il. Elles peuvent confier d’importants mandats à des partenaires ou bâtir leur propre réseau », dit-il.
Pressions pour une énergie plus verte
Les pressions exercées par les investisseurs sur les entreprises pour qu’elles améliorent leur bilan environnemental auront également des répercussions sur la demande en énergie verte, mentionne Tommy Ouellet.
« C’est clair que la demande pour les énergies renouvelables va augmenter à travers le temps, tranche-t-il. À mesure que les changements climatiques s’intensifient, la pression sur les entreprises, sur les gouvernements et sur la population va grimper. Je pense que la tendance va se poursuivre et va aller en s’accélérant. »
« Nous sommes chanceux, au Québec, avec notre l’hydroélectricité, avance-t-il. Mais ailleurs dans le monde, les entreprises ont de la pression pour cesser de s’approvisionner en électricité produite à l’aide de combustibles fossiles », ajoute-t-il.
La situation a rapidement changé, observe pour sa part Mathieu Thibaudeau, CFA et gestionnaire d’actifs en infrastructure au Mouvement Desjardins.
« Hydro-Québec évalue la demande des 10 prochaines années, soumet-il. La société d’État veut augmenter sa capacité d’environ 15 % et ajouter 25 térawattheures (TWh) sur le réseau. Si on parle d’augmentation de la demande, il faut déterminer comment on va la produire, cette nouvelle électricité. Parce que entre 2015 et 2020, ça a été un peu une espèce de traversée du désert, un peu un moratoire, parce qu’on avait trop d’électricité et qu’on n’en avait pas besoin de plus. »
Politique américaine à considérer
Il faudra toutefois surveiller les répercussions de l’élection de Donald Trump à la présidence américaine, lui qui n’est pas un partisan des énergies renouvelables.
« Il pourrait sabrer dans les budgets qui supportent la croissance des énergies renouvelables », croit François Bourdon.
Selon lui, l’énergie nucléaire pourrait toutefois être épargnée, parce que le président élu a l’air d’y être favorable.
Conseils de l’expert
La pression des investisseurs sera avantageuse
Les pressions exercées par les investisseurs sur les entreprises pour qu’elles améliorent leur bilan environnemental auront des répercussions sur la demande en énergie verte, mentionne Tommy Ouellet.
« C’est clair que la demande pour les énergies renouvelables va augmenter à travers le temps. À mesure que les changements climatiques s’intensifient, la pression sur les entreprises, sur les gouvernements et sur la population va grimper. Je pense que la tendance va se poursuivre et va aller en s’accélérant. »