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Le nitrate d’ammonium, un engrais sous surveillance

AFP|Publié le 07 août 2020

Le nitrate d'ammonium, à l'origine de l'explosion dans le port de Beyrouth, fait l'objet de surveillance renforcée.

Le stockage du nitrate d’ammonium, à l’origine de l’explosion dans le port de Beyrouth mardi, a fait l’objet de surveillance renforcée ces dernières années pour éviter les catastrophes, rares mais dévastatrices, que ce produit très courant a provoquées depuis son industrialisation il y a un siècle.

 

Utilisé en masse dans l’agriculture et les mines

Le nitrate d’ammonium est produit en masse: plus de vingt millions de tonnes par an pour les seuls engrais, selon la FAO, soit l’équivalent chaque jour de vingt fois la quantité (2 700 tonnes) qui a explosé à Beyrouth. Les stockages de plusieurs centaines et même de milliers de tonnes sont donc fréquents à travers le monde, et un seul exploitant agricole peut en utiliser plusieurs tonnes par an, selon des experts.

Selon le cabinet spécialisé IHS, l’agriculture – riche en azote, le produit favorise la croissance des plantes – représente environ les trois quarts de la consommation mondiale et le reste pour les explosifs, notamment dans le secteur minier et des travaux publics, avec une concentration plus élevée et donc plus dangereuse.

Le produit se trouve à l’état naturel à la surface du globe, notamment au Chili. Mais depuis l’invention de procédés industriels de synthèse au début du XXe siècle, il est quasi exclusivement produit dans des usines, en faisant réagir de l’acide nitrique et de l’ammoniaque.

 

Des accidents rares mais terribles

S’ils restent rares – quelques dizaines depuis un siècle – les accidents impliquant le nitrate d’ammonium ont des bilans effroyables. Un des premiers d’entre eux, à l’usine BASF à Oppau en Allemagne, avait fait 561 morts en 1921. En 1947, à Texas City, l’explosion de deux navires à quai transportant 3 500 tonnes avaient tué 581 personnes. En 2014 en Corée du Nord, une collision d’un train transportant du nitrate d’ammonium avec un autre chargé de pétrole avait détruit ou endommagé 40% de la ville de Ryongchon, 120 000 habitants.

Sites de production, entrepôts comme transports ont tous subi des accidents, selon un mémo de la Commission européenne sur le sujet. «Même des petits stockages de nitrates d’ammonium, parfois d’à peine dix tonnes selon certaines législations, peuvent entraîner un risque élevé pour les populations si les mesures de sécurité ne sont pas parfaitement en place», relève l’UE.

Les industriels (le norvégien Yara, le russes Eurochem et Uralchem, l’américain CF Industries, le chilien Enaex…) soulignent eux que le risque est minime quand les consignes de sécurité sont respectées.

«Insensible aux chocs et aux frottements, le nitrate d’ammonium est un explosif médiocre sauf s’il est mélangé à des combustibles comme des hydrocarbures, ou s’il est fondu et confiné lors, par exemple, d’un incendie violent», résume la Société chimique de France.

Selon la FAO, la Russie est de très loin le premier producteur mondial, devant l’Egypte notamment. Le gros de la consommation agricole – plus de 70% – concerne l’Europe et l’ex-URSS.

 

Des régulations de plus en plus strictes

«Il y a une pression constante à travers le monde pour réguler l’usage et le commerce du nitrate d’ammonium du fait de son usage détourné à des fins terroristes ou du risque de détonation accidentelle. Plusieurs pays ont banni sa vente comme engrais, comme l’Afghanistan, la Chine, la Colombie, les Philippines et la Turquie», selon IHS.

En Europe, les stockages sont encadrés par la directive Seveso 3, qui a été renforcée à la suite de l’accident de l’usine AZF à Toulouse en France en 2001.

Les mesures sont de plus en plus strictes en fonction de la quantité entreposée, mais «il n’y a pas de limites maximales» aux quantités stockées, selon Lukasz Pasterski, porte-parole de l’organisation du secteur Fertilizers Europe.

À partir de 350 tonnes, un stockage est classé «Seveso bas» et au-delà de 2 500 tonnes, «Seveso haut», dont on trouve par exemple seize en France, a expliqué à l’AFP le ministère français de l’Ecologie.

Ilots de taille réduite et séparés, distanciation des sources de chaleur, détecteurs de fumée, nettoyages et surveillances régulières sont ainsi imposés, selon le ministère.

Selon les normes russes, datant de 2013, le nitrate d’ammonium doit être conservé à part, sans contact avec d’autres matériaux, «dans des entrepôts fermés, secs et propres » protégeant le produit de l’humidité. Il peut être conservé dans des endroits ouverts, mais pas plus de six mois après sa fabrication.»

En Russie, où l’on recense au moins treize sites de production, il est interdit de stocker plus de 2 500 tonnes dans des sacs, et pas plus de 5 000 tonnes si c’est en vrac.

Aux États-Unis, il est interdit d’en entreposer plus de 2 500 tonnes dans un bâtiment non pourvu d’extincteurs automatiques.

La Chine a pris des mesures après le grave accident de Tianjin en 2015, où le nitrate d’ammonium était également impliqué. Une inspection nationale a été annoncée mercredi après l’explosion de Beyrouth.

Produit banal et peu coûteux, le nitrate d’ammonium a souvent été utilisé dans les attentats et s’avère un casse-tête pour les autorités antiterroristes.

Deux tonnes de produit combinées avec de l’essence dans une voiture piégée avaient suffi à l’extrémiste américain Timothy McVeigh pour commettre l’attentat d’Oklahoma City en 1995 (168 morts). Un mode opératoire imité en 2011 à Oslo par le Norvégien Anders Behring Breivik, qui s’était procuré le produit chez un revendeur agricole.