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Le Canada accusé d’invoquer un traité pour nuire aux Autochtones

La Presse Canadienne|Publié le 24 octobre 2023

Le Canada accusé d’invoquer un traité pour nuire aux Autochtones

Cette photo prise en 2016 montre une portion hors terre de la canalisation 5 d'Enbridge à une station de pompage de Mackinaw City, au Michigan. (Photo: La Presse Canadienne/John Flesher)

Le gouvernement fédéral et le géant albertain de l’énergie Enbridge tentent d’exploiter un traité «dormant» et obsolète avec les États-Unis pour empêcher la fermeture de la canalisation 5, affirment des groupes de défense des droits de la personne et de l’environnement, dans de nouveaux documents judiciaires.

Cet argument survient à la suite d’une récente vague de plaintes déposées auprès d’un tribunal de district du Wisconsin, où Enbridge est engagé dans une bataille avec une bande autochtone américaine sur l’avenir du conduit transfrontalier.

Plusieurs d’entre eux visent directement un élément central de la défense de l’entreprise: un traité de 1977 entre le Canada et les États-Unis visant à empêcher les interruptions du flux de pétrole et de gaz entre les deux pays.

Indépendamment des traités internationaux, les États-Unis sont obligés de défendre les droits des peuples autochtones, qui incluent l’autogestion de leurs ressources naturelles, affirme le Centre américain pour le droit international de l’environnement, dans un de ces documents. 

«À la lumière des multiples risques liés au pipeline […], la poursuite de l’exploitation de la ligne 5 contreviendrait aux obligations des États-Unis de protéger le droit à la vie des communautés autochtones», peut-on lire.

«Si le traité sur le pipeline oblige les États-Unis à abandonner la réglementation environnementale et à chercher activement à garantir la continuité de l’exploitation du pipeline malgré ces graves risques de préjudice, il obligerait les États-Unis à manquer à leur devoir de garantir les droits de la personne fondamentaux.»

Enbridge et la bande de Bad River des Chippewa du lac Supérieur font appel d’une décision d’un tribunal de district qui a donné, en juin, trois ans à Enbridge pour déplacer la canalisation hors du territoire de la bande.

La collection de mémoires d’amicus curiae déposée la semaine dernière comprend également un mémoire de la procureure générale du Michigan, Dana Nessel, qui est elle-même impliquée dans un litige devant une cour d’appel au sujet de la ligne 5, qui traverse les Grands Lacs en aval du détroit de Mackinac.

Dana Nessel et l’État tentent de faire fermer le pipeline depuis 2019, craignant un choc d’ancre ou un accident similaire qui pourrait perturber l’une des régions les plus écologiquement délicates du nord-est des États-Unis.

Dans son mémoire, Dana Nessel convient que l’argument d’Enbridge concernant le traité ne tient pas la route, simplement parce que rien dans le traité lui-même n’empêche expressément les gouvernements ou les tribunaux de faire respecter les droits de la personne.

«Enbridge et le Canada soutiennent essentiellement que le traité de 1977 permet à Enbridge d’empiéter indéfiniment sur les terres d’autrui, des terres souveraines en plus, et prive le propriétaire foncier de tout recours», écrit-elle.

«Cet argument est sans fondement, n’a pas de base dans le texte du traité et porte atteinte aux droits fondamentaux des gouvernements souverains et des propriétaires fonciers.»

Dans son propre mémoire d’appel, Enbridge soutient que le «fondement de la suprématie» du traité est le même que celui de la Constitution américaine et qu’il empêche «d’entraver, de détourner, de rediriger ou d’interférer de quelque manière que ce soit avec le transport des hydrocarbures en transit».

La canalisation 5, qui emprunte le même tracé depuis sa construction en 1953, transporte chaque jour quelque 540 000 barils de pétrole et de gaz naturel liquide à travers le Wisconsin et le Michigan jusqu’aux raffineries de Sarnia, en Ontario.

Elle approvisionne des installations de raffinage clés en Ontario et au Québec, et est essentielle à la production de carburéacteur pour les principaux aéroports des deux côtés de la frontière canado-américaine, incluant l’aéroport métropolitain de Detroit et l’aéroport Pearson de Toronto.

Enbridge et ses alliés affirment qu’une fermeture entraînerait des perturbations économiques majeures dans les Prairies et le Midwest américain, où le pipeline fournit des matières premières aux raffineries du Michigan, de l’Ohio et de la Pennsylvanie.

L’entreprise, qui cherche toujours l’approbation réglementaire pour un détour de 66 kilomètres autour de la communauté autochtone, craint que trois ans ne suffisent pas pour le rendre opérationnel. La société insiste également sur le fait qu’un accord de 50 ans signé avec la bande en 1992 lui permet de maintenir la ligne existante ouverte.

La bande souhaite toutefois que les 19 kilomètres de pipeline sur son territoire soient fermés le plus rapidement possible, et conteste également les termes de l’attribution financière et de l’accord de partage des bénéfices qui accompagnaient la décision du tribunal de district.

À cette fin, un dossier distinct déposé par deux experts américains en droit de restitution affirme que le juge du tribunal de district William Conley a commis une erreur lorsqu’il a calculé cet accord, qui comprenait un arriéré de 5,1 millions de dollars.