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Ce qu’il faut savoir sur l’oléoduc Trans Mountain

La Presse Canadienne|Publié le 18 juin 2019

Ottawa doit annoncer mardi sa décision, très attendue, concernant l'accroissement de la capacité de l'oléoduc.

Le cabinet fédéral doit annoncer mardi sa décision, très attendue, concernant l’accroissement de la capacité de l’oléoduc Trans Mountain. Quelques informations importantes à savoir sur ce projet très controversé, à quatre mois des élections fédérales:

1. Qu’est-ce que Trans Mountain, exactement?

Un oléoduc achemine déjà sur 1150 kilomètres des produits pétroliers bruts et raffinés des sables bitumineux de l’Alberta vers un terminal maritime à Burnaby, près de Vancouver, en Colombie-Britannique. Cet oléoduc achemine environ 300 000 barils de pétrole par jour, dont environ 15 pour cent de produits raffinés principalement utilisés en Colombie-Britannique _ essence, diesel et carburant pour avions. Environ la moitié du pétrole brut est acheminé aux raffineries de l’État de Washington, juste au sud, par un autre oléoduc, et moins de 10 pour cent est chargé sur des pétroliers. L’an dernier, 53 pétroliers ont ainsi utilisé le terminal maritime Westridge, au bout de l’oléoduc Trans Mountain.

Le nouveau projet, proposé pour la première fois en 2012, permettrait de construire un autre oléoduc, parallèle au pipeline existant, afin de transporter 590 000 barils supplémentaires par jour, mais entièrement du bitume dilué. Il faudrait installer environ 980 kilomètres de nouvelles conduites et la réactivation de 193 kilomètres d’un oléoduc existant qui n’ont pas été utilisés depuis de nombreuses années. Il y aurait également 12 nouvelles stations de pompage et 19 nouveaux réservoirs de stockage dans des terminaux en Alberta et en Colombie-Britannique.

Le projet utiliserait l’emprise existante sur 73 pour cent du tracé et 16 pour cent sur les emprises accordées pour d’autres infrastructures, notamment les télécommunications, les lignes électriques et les routes; 11 pour cent de l’itinéraire nécessiterait donc un nouveau droit de passage.

2. Pourquoi les promoteurs veulent-ils accroître sa capacité?

Essentiellement parce que l’infrastructure actuelle des oléoducs au Canada est saturée et freine toute hausse de la production de pétrole canadien. La difficulté d’exporter les produits constitue un des facteurs qui ont une incidence sur le prix que les producteurs canadiens peuvent obtenir. On espère aussi que ce nouvel approvisionnement de pétrole sur la côte Ouest ouvrira la voie vers les marchés asiatiques. À l’heure actuelle, 99 pour cent des exportations canadiennes de pétrole sont destinées aux États-Unis, ce qui a également une incidence sur les prix.

Par contre, aucune raffinerie en Asie ne peut actuellement traiter le bitume canadien _ il doit d’abord être transformé en brut synthétique (liquide). Les promoteurs du projet estiment que s’il y avait plus de produits disponibles, les raffineries d’Asie se développeraient pour les utiliser, car la demande en pétrole dans des pays comme la Chine et l’Inde augmente. Les opposants qualifient cette thèse de mythe: ils affirment que tout excédent de pétrole provenant de Trans Mountain et destiné à l’exportation finirait encore aux États-Unis.

3. Qu’est-ce que le bitume dilué?

Principal produit issu des sables bitumineux de l’Alberta, le bitume est un produit épais qui a à peu près la consistance de la mélasse sortant du frigo. Pour circuler avec fluidité dans les oléoducs, ce bitume doit être mélangé à des solvants chimiques. Le «dilbit» ainsi obtenu est donc plus coûteux à produire et on sait encore peu de choses sur la façon dont il se comporte quand il est déversé dans l’environnement _ notamment dans l’eau.

Un important déversement de «dilbit» a eu lieu au Michigan en 2010: une conduite d’Enbridge a déversé plus de 3,7 millions de litres dans un affluent de la rivière Kalamazoo. Les travaux de nettoyage ont duré plus de cinq ans et une section de la rivière a été fermée aux activités récréatives pendant près de deux ans. Le ministère canadien des Ressources naturelles a conclu que le «dilbit» ne coulait pas au fond de l’eau et qu’il pouvait en fait être plus facile à récupérer. Trois ans après le déversement de Kalamazoo, Enbridge a toutefois été contrainte de revenir sur les lieux pour retirer le brut immergé et les sédiments contaminés. En 2014, les coûts estimés de ce nettoyage s’élevaient à plus d’un milliard de dollars.

4. Quelles sont les conséquences politiques de la décision de mardi?

Les voix des partisans et des opposants sont très fortes. L’industrie pétrolière et les politiciens conservateurs estiment que l’oléoduc est indispensable à la survie de l’industrie des sables bitumineux. Les écologistes et les politiciens progressistes sont convaincus qu’un nouvel oléoduc empêchera le Canada de respecter ses obligations internationales en matière de lutte contre les changements climatiques _ réduire ses émissions de près de 30 pour cent au cours des onze prochaines années.

Pour les libéraux, qui tentent de concilier les besoins économiques de l’industrie pétrolière et de l’Alberta avec les préoccupations environnementales, il s’agit d’un dossier extrêmement délicat. Cela fait aussi partie de leur défi de prouver aux Canadiens qu’il est possible de «stimuler l’économie et créer de bons emplois pour la classe moyenne tout en protégeant l’environnement».

Leurs efforts pour apaiser l’industrie pétrolière en approuvant l’oléoduc et en le soutenant par tous les moyens _ y compris en achetant, pour 4,5 milliards $, l’oléoduc existant et en promettant de développer eux-mêmes le projet _ n’ont pas amélioré la crédibilité du gouvernement libéral auprès de l’industrie. Les écologistes, qui avaient largement soutenu les libéraux en 2015, sont eux aussi très sceptiques. Les Autochtones, quant à eux, sont divisés: certains croient qu’ils pourront en tirer des bénéfices financiers, d’autres s’inquiètent d’un éventuel déversement, qui aurait des conséquences dévastatrices pour leur mode de vie traditionnel.

5. Qu’est-ce que le projet de loi C-69 _ et qu’a-t-il à voir avec Trans Mountain?

Il s’agit d’une réforme du processus d’évaluation environnementale fédérale pour les grands projets nationaux dans les secteurs de l’énergie et des transports. Les libéraux soutiennent que le processus mis en place par les conservateurs en 2012 comportait des lacunes au chapitre de la consultation des Autochtones et de la protection de l’environnement. Pour ces mêmes motifs, la Cour d’appel fédérale a d’ailleurs annulé le feu vert accordé par le cabinet libéral aux projets Northern Gateway et Trans Mountain.

Le projet de loi C-69 n’est pas encore adopté et ne s’appliquerait donc pas à Trans Mountain, mais il pourrait l’être pour tout autre projet à venir si le Sénat l’adoptait cette semaine. Andrew Scheer a promis qu’un gouvernement conservateur abrogerait cette loi.