ArcelorMittal pourra-t-elle atteindre la carboneutralité d’ici 2050?
François Normand|Mis à jour le 28 juin 2024À son usine de Contrecœur, sur la Rive-Sud de Montréal, ArcelorMittal Produits Longs Canada fabrique de «l’acier vert», et ce, dans une des aciéries les plus décarbonées au monde. (Photo: courtoise)
La chaleur et le bruit des machines sont intenses quand on circule dans l’aciérie d’ArcelorMittal Produits Longs Canada à Contrecœur, sur la Rive-Sud de Montréal. Comme produire de l’acier est énergivore, le procédé émet beaucoup de gaz à effet de serre (GES). Malgré tout, cette aciérie est l’une des plus décarbonées au monde. Mais la multinationale veut aller beaucoup plus loin: elle veut être carboneutre en 2050, ce qui représente tout un défi en raison des énormes quantités d’électricité dont elle aura besoin dans les prochaines années.
Fait méconnu, la multinationale luxembourgeoise fait déjà partie de la minorité d’aciéries dans le monde qui produit de «l’acier vert», c’est-à-dire un acier faible en carbone. Cet acier vert est essentiel pour décarboner à terme l’économie mondiale, incluant celle du Québec, puisqu’on retrouve de l’acier dans une foule de produits et d’infrastructures autour de nous.
On parle entre autres des ponts, des bâtiments, des voitures, des outils, voire des clés sur les guitares pour ajuster les cordes.
Habituellement, produire une tonne d’acier dans une aciérie génère environ 2,2 tonnes de CO2 — en Chine, les émissions peuvent même atteindre 2,4 tonnes, selon certaines estimations.
Or, ArcelorMittal en génère quatre fois moins à Contrecœur, soit seulement 640 kilogrammes par tonne d’acier fabriquée.
Comment y arrive-t-elle?
L’aciériste utilise depuis longtemps un concentré de fer de haute qualité, c’est-à-dire pur à plus de 67%, alors que le plafond maximal de pureté est de 70%.
ArcelorMittal a donc pu éliminer le charbon de son procédé de fabrication et utiliser des fours à arc électrique, au lieu des hauts fourneaux traditionnels carburant à cette énergie fossile la plus polluante.
Des fours à arc électrique depuis 50 ans
«Nous avons adopté le choix visionnaire des fours électriques il y a plus de 50 ans, une technologie aujourd’hui recommandée pour la décarbonation de l’ensemble de l’industrie sidérurgique», souligne Hugues Fauville, vice-président, ressources humaines, communications, environnement et décarbonation, avec qui nous avons visité l’immense usine de Contrecœur.
Au Québec, cette aciérie — fondée en 1914, mais qui a changé de mains à plusieurs reprises pour finir dans le giron d’ArcelorMittal — s’approvisionne en concentré de fer de qualité auprès d’ArcelorMittal Exploitation minière du Canada, une entreprise sœur.
Cette société exploite deux mines de fer près de Fermont, sur la Côte-Nord, soit à Fire Lake et à Mont-Wright.
Elles sont situées dans la fosse du labrador, la ceinture géologique qui s’étend de la Côte-Nord jusqu’à l’extrémité nord du Québec, au Nunavik, qui contient l’un des minerais de fer le plus pur au monde.
À relire: Une révolution dans la chaîne mondiale de l’acier vert se prépare à Fermont
Ainsi, grâce à ses deux mines, la minière peut donc fabriquer des boulettes de fer avec une teneur en fer de 67% et plus à son usine de bouletage de Port-Cartier, également sur la Côte-Nord, pour ensuite les vendre à ArcelorMittal Produits Longs Canada.
Ces boulettes de fer représentent 50% de la matière première utilisée par l’aciérie afin de produire de l’acier vert à Contrecœur.
L’autre moitié de la matière première provient de la ferraille (véhicules, électroménagers, etc.) que l’aciériste achète au Québec, soit 1 million de tonnes par année. L’entreprise est d’ailleurs devenue le plus grand recycleur de métaux de la province.
ArcelorMittal a donc déjà grandement décarboné son procédé, explique Hugues Fauville, en nous montrant les différentes étapes pour produire de l’acier, incluant le refroidissement de billettes d’acier très chaudes (produites à l’aide d’une coulée continue) qui circulent sur un espèce d’immense laminoir.
Par conséquent, pour espérer atteindre la carboneutralité en 2050, l’entreprise, qui a déjà l’objectif de réduire ses émissions de CO2 de 25% d’ici 2030, doit donc électrifier davantage son processus de fabrication.
Avec cette énergie, elle envisage par exemple de produire de l’hydrogène vert ou de capter, transformer ou stocker du carbone.
800 MW d’électricité d’ici 2050
Et la quantité d’énergie dont a besoin ArcelorMittal est très importante, alors qu’il manque déjà d’électricité au Québec dans le secteur manufacturier et l’industrie — une entreprise sur trois en manque, selon un sondage publié en mai.
Elle a besoin d’environ 800 mégawatts (MW) d’électricité. Cela dit, cela inclurait également ses activités à Longueuil, à Montréal et à Hamilton-Est — à ne pas confondre avec ArcelorMittal Dofasco, une autre société sœur.
Pour mettre les choses en perspective, en novembre, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a accordé un bloc d’électricité de 956 MW, mais pour 11 entreprises, dont 354 MW pour Northvolt, qui est en train de construire une usine de fabrication de cellules de batteries à Saint-Basile-le-Grand, en Montérégie.
Et le 6 juin, Pierre Fitzgibbon a accordé un autre bloc, cette fois plus petit, de 400 à 500 MW (selon ce qu’a indiqué le ministre en entrevue à Les Affaires).
Par conséquent, 800 MW, pour une seule entreprise (sur différents sites, certes), représente un bloc d’énergie considérable. Hugues Fauville en est bien conscient. C’est pourquoi il insiste sur le fait qu’il s’agit d’une «estimation préliminaire et évolutive».
«Avec les avancées technologiques à venir au cours des 25 prochaines années, dont le potentiel demeure très important, il serait envisageable de réduire drastiquement les besoins en énergie primaire», explique-t-il.
Il donne l’exemple des électrolyseurs qui promettent «des avancées significatives dans ce domaine», selon lui.
Certes, avec son plan d’action 2035, Hydro-Québec compte ajouter une capacité de 8000 à 9000 MW, incluant des économies d’énergie de 1600 à 1800 MW, dans les 10 prochaines années.
Aussi, il y aura donc de nouveaux blocs d’électricité pour répondre aux besoins des entreprises comme ArcelorMittal.
Du reste, l’aciériste n’a pas besoin d’un bloc de 800 MW d’un seul coup, fait remarquer Hugues Fauville. Le gouvernement et Hydro-Québec pourraient lui attribuer des portions d’électricité sur un horizon de 25 ans.
Bref, cette demande pourrait être étalée dans le temps, sans parler du fait que les besoins pourraient aussi évoluer à la baisse en raison des progrès technologiques.
Des alternatives pour viser la carboneutralité
Malgré tout, rien ne garantit qu’ArcelorMittal pourra avoir de nouveaux blocs d’électricité, même si l’entreprise est un acteur clé dans la décarbonation de l’économie. Aussi, l’aciériste envisage déjà des scénarios alternatifs pour espérer atteindre la carboneutralité.
L’entreprise pourrait par exemple modifier ses intrants pour réduire ses émissions de GES.
«En utilisant 100% de la ferraille pour certains grades de notre production, nous pourrions nous rapprocher encore plus de la carboneutralité, sans avoir recours à l’électricité, une option que nous étudions sérieusement», insiste Hugues Fauville.
Dans ce scénario, l’aciérie s’approvisionnerait donc un peu moins en boulettes de fer, pour ces grades, auprès de l’usine de bouletage de Port-Cartier.
Bien entendu, l’usine peut aussi miser davantage sur l’efficacité énergétique, sans parler de la récupération de la chaleur dégagée dans le processus. Par exemple, la chaleur dégagée lors du refroidissement des billettes est entièrement perdue dans l’air, comme nous avons pu le constater.
Quand nous sommes passés près du laminoir, Hugues Fauville a d’ailleurs reconnu qu’il y avait là un potentiel intéressant pour récupérer cette source chaleur.
Enfin, dans son procédé industriel, ArcelorMittal est aussi en train d’effectuer une transition vers des carburants de plus en plus décarbonés, comme de la biohuile (une biomasse liquéfiée), du biocharbon (une forme de charbon de bois) ou du gaz naturel renouvelable (GNR).
«Cela aura un impact significatif sur la réduction de nos émissions de GES», affirme Hugues Fauville.