Entrevue n°304 : Michel-Édouard Leclerc, pdg, E.Leclerc


Édition du 08 Octobre 2016

Entrevue n°304 : Michel-Édouard Leclerc, pdg, E.Leclerc


Édition du 08 Octobre 2016

Par Diane Bérard

«Le pdg a le devoir de s'exposer publiquement pour démontrer qu'il croit à ce qu'il fait» - Michel-Édouard Leclerc, pdg, E.Leclerc.

E.Leclerc est un géant du commerce de détail français, aux revenus de 66,3 G$ CA. Cette coopérative, qui compte 600 hypermarchés, est dirigée par le fils du fondateur Édouard Leclerc, Michel-Édouard Leclerc, connu pour ses prises de position sur son blogue personnel. Le 13 octobre prochain, il sera conférencier à l'événement eCommerce-Québec, du Conseil québécois du commerce de détail.

Diane Bérard - Quelle est la mission d'E.Leclerc ?

MICHEL-ÉDOUARD LECLERC - Nous sommes une enseigne à bas prix avec un fort ancrage territorial. Nos commerçants, tous indépendants, exploitent 600 hypermarchés de 5 500 mètres carrés. Chaque hypermarché abrite 10 concepts de boutiques, dont l'optique, la parapharmacie, les produits culturels, la bijouterie, etc.

D.B. - L'entreprise a perdu et retrouvé son titre de leader à quelques reprises au cours des décennies...

M.-É.L. - En effet, E.Leclerc a d'abord été l'enseigne des petites épiceries. Puis, au cours des années 1970, mon père est devenu le roi des supermarchés. Il a ensuite été bousculé par les hypermarchés de type Carrefour et Casino. Il a fallu se réinventer. Il y a cinq ou six ans, nous sommes redevenus un leader, des hypermarchés cette fois.

D.B. - Il y a cinq ans, vous avez entamé le virage numérique. Vous avez opté pour le modèle «cliquez et ramassez» plutôt que pour la livraison à domicile. Pourquoi ?

M.-É.L. - La livraison à domicile coûte cher, surtout en milieu urbain. «Le dernier kilomètre» augmenterait nos prix de 15 à 20 %. Or, ces 15 à 20 % nous différencient de nos concurrents. Nous avons donc ouvert E.Leclerc Drive, des entrepôts et comptoirs où nos clients peuvent ramasser les produits achetés en ligne. Ces articles sont vendus au même prix que s'ils étaient achetés dans nos magasins. Nous avons deux types d'entrepôts Drive. Les«accolés», situés à côté des hypermarchés, et les «déportés», de l'autre côté de la ville. Les clients y passent après le travail, vers 18 h 30. Notre chiffre d'affaires frise les 45 milliards d'euros (66,3 G$ CA), dont 6 % provient des comptoirs Drive et de notre site Internet. D'ici 2020, cette proportion grimpera à 10 %.

D.B. - Vous tenez un blogue personnel, De quoi je me mel. Au Québec, on n'a pas l'habitude de voir un pdg exprimer ses opinions publiquement...

M.-É.L. - En France non plus ! Nous ne sommes que trois à nous exprimer ainsi publiquement. Xavier Niel (Free), Serge Papin (Système U) et moi.

D.B. - Pourquoi ne pas vous contenter de gérer votre entreprise ?

M.-É.L. - Le chef d'entreprise doit incarner les valeurs de ses marques. Il a le devoir de s'exposer pour démontrer qu'il croit à ce qu'il fait et qu'il en assume la responsabilité. Le politique déçoit. Les projets collectifs sont médiocres. Les médias vendent la violence et les mauvaises nouvelles. Dans cette société en crise, le public s'accroche à ceux qui s'engagent publiquement. Il leur accorde une prime. Les citoyens apprécient les patrons visibles. Ceux qui racontent ce qu'ils font.

D.B. - On pourrait voir votre blogue personnel comme un prolongement du site de l'entreprise. Votre service des communications s'en mêle-t-il ?

M.-É.L. - Non, c'est mon blogue personnel. Il s'alimente de mon métier, c'est certain. Je m'exprime sur des sujets qui touchent à mon secteur. Il est donc évident que le contenu peut influencer le regard que nos 120 000 salariés portent sur l'entreprise. Lorsque je m'engage publiquement dans la lutte aux pesticides, par exemple, cela peut alimenter l'engagement du personnel à l'égard d'E.Leclerc. Mais je porte d'abord ces idées parce que j'y crois, parfois comme militant, parfois comme missionnaire.

D.B. - Vous souciez-vous de l'impact du contenu de votre blogue sur vos affaires ?

M.-É.L. - (Rires.) En tant que chef d'entreprise responsable, je dois vous répondre «oui». En réalité, je me fais d'abord une idée de mes convictions. Puis, je les étaye à la lueur de la réalité.

D.B. - Sur votre blogue, vous avez vanté le patron de L'Oréal France, parce qu'il ne dit pas du mal de ses clients. C'est plutôt normal de ne pas mordre la main qui nous nourrit...

M.-É.L. - Eh bien, non ! La France est un îlot de méfiance à l'égard de la fonction commerciale, soit tout ce qui est lié à l'achat et la vente. Il y a 10 ans, j'étais sur un plateau de télé en compagnie de Serge Dassault, de la société d'aéronautique Dassault. Il m'avait alors confié : «Mon fils ne pourra jamais prendre la direction de Dassault. Il n'est pas ingénieur. C'est un "commercial" [un spécialiste de la vente]». Je lui avais répondu : «C'est peut-être pour cela que Dassault n'a pas encore vendu un seul avion militaire, parce que ce n'est pas un "commercial" qui la dirige !» Dans les pays à l'éthique protestante, l'argent et le commerce ne sont pas diabolisés. En France, seules la terre et l'industrie sont considérées comme génératrices de richesse. Les industriels, ils ne disent jamais du bien des distributeurs. Par exemple, on veut toujours taxer le commerce et la distribution pour venir en aide aux agriculteurs.

D.B. - Parlons de vos clients. Ceux de la Bretagne et de l'Alsace, par exemple, n'ont pas les mêmes magasins. Pourquoi ne pas protéger la marque en imposant l'homogénéité ?

M.-É.L. - C'est plutôt pour protéger la marque E.Leclerc que nous n'imposons pas d'image ni d'aménagement. Nos clients n'ont pas l'impression qu'ils font leurs courses dans une chaîne nationale ou multinationale. Nos commerces de la Bretagne sont recouverts d'ardoise. Ceux du Midi sont en brique. Chacun de nos 600 détaillants s'inscrit dans son milieu. La gamme de produits, quant à elle, est 80 % homogène et 20 % locale.

D.B. - Une formule aussi hétérogène se révèle difficile à internationaliser...

M.-É.L. - En effet, nos concurrents Carrefour et Casino sont mieux outillés pour se diversifier à l'international. Mais, sur le territoire français, nous leur damons le pion. Nous traversons mieux la crise économique à cause de notre ancrage territorial.

D.B. - Toutes les entreprises devraient avoir la mission, dites-vous, d'être utiles...

M.-É.L. - Elles doivent être utiles socialement. E.Leclerc, par exemple, contribue à la préservation des territoires.

D.B. - Le prix des aliments fait couler beaucoup d'encre. Agriculteurs, distributeurs, commerçants, chacun fait porter le blâme sur les autres. Que pouvez-vous nous en dire ?

M.-É.L. - La déflation donne le sentiment aux industriels qu'ils ne pourront plus faire croître leur chiffre d'affaires. Cela crée des tensions. Les entreprises font pression pour augmenter les prix. Les consommateurs, eux, plébiscitent la guerre des prix. Les enseignes les plus populaires sont celles qui offrent de bas prix en téléphonie, en alimentation et en transport aérien.

D.B. - Quelle solution voyez-vous à cette tension ?

M.-É.L. - Il faut taxer l'économie qui ne l'est pas. Notre concurrent principal, Amazon, ne paie pas d'impôt en France. Et puis, pourquoi est-on taxé quand on vend des produits mais pas quand on vend des données, comme Facebook et Google ? Il faut étendre le socle de la fiscalité pour redonner des ressources aux États.

D.B. - Quel est le principal angle mort des détaillants, ce qu'ils oublient de surveiller et qui cause leur perte ?

M.-É.L. - Leurs concurrents. Je n'en méprise aucun. Je les fréquente tous. Je leur parle. Je suis leur client. J'ai leurs cartes de fidélité.

À la une

Les nouvelles du marché du mardi 23 avril

Mis à jour il y a 16 minutes | Refinitiv

General Motors dépasse ses objectifs de résultats trimestriels et relève ses prévisions.

Bourse: ce qui bouge sur les marchés avant l'ouverture mardi 23 avril

Mis à jour il y a 42 minutes | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. Les Bourses mondiales en hausse, entre résultats d'entreprises et indicateurs.

Les jeunes votent de plus en plus pour... Trump

Il y a 27 minutes | John Plassard

EXPERT INVITÉ. Les Américains âgés de 18 à 29 ans préfèrent Biden à Trump par seulement 3 points de pourcentage.