La quête pour un modèle omnicanal irrite certains acheteurs
La Presse Canadienne|Publié le 06 octobre 2020Vous a-t-on suggéré, lors de votre dernière visite dans un magasin, de faire vos achats en ligne?
Lorsque Mark Butler a eu besoin d’un nouveau joint pour sa cafetière, il a sauté sur son vélo et est allé au magasin Mountain Equipment Co-op de Halifax.
« Le gars a juste dit : “Nous n’en avons pas” », a raconté M. Butler. « Je lui ai dit que je les avais déjà achetés là−bas, et il m’a simplement répondu de regarder en ligne. »
Au milieu des difficultés économiques de la pandémie de COVID-19, une tendance se dessine. Celle-ci voit des visiteurs de grandes chaînes et de grands magasins se faire discrètement conseiller de faire leurs achats en ligne.
Alors que les problèmes de chaîne d’approvisionnement ont un impact sur les stocks et qu’une deuxième vague menace davantage de mesures restrictives, de nombreux détaillants mettent à niveau leurs services en ligne pour rivaliser avec l’expérience en magasin.
Cependant, comme le montre l’expérience de M. Butler, les résultats ne sont pas toujours heureux.
« Certains détaillants innovent en fait dans l’espace en ligne et essaient de se connecter avec leurs clients non seulement de manière utilitaire, mais aussi en tentant de recréer l’expérience d’achat que les clients auraient en magasin », a observé Jenna Jacobson, professeure adjointe à la Ted Rogers School of Retail Management de l’Université Ryerson.
Par exemple, les acheteurs peuvent planifier des réunions virtuelles avec des vendeurs pour une aide personnalisée allant des conseils de garde-robe au design d’intérieur.
Les fenêtres de clavardage en ligne connectent les consommateurs à de vrais vendeurs plutôt que des « robots de discussion » programmés avec une liste prédéfinie de questions et réponses.
Et certaines épiceries connectent leurs clients à des assistants d’achat pour leur permettre de modifier leur liste d’épicerie en temps réel.
« L’assistant d’achat qui cueille des fruits et des légumes peut en fait communiquer avec les clients pour leur dire : “Nous n’avons plus de fraises, aimeriez-vous des bleuets ?” » a illustré Mme Jacobson.
L’objectif n’est pas d’éclipser le magasin physique, mais de le compléter.
En fait, soulignent des experts, tout cela revient à l’idée de commerce de détail omnicanal, qui vise une intégration fluide des environnements d’achat physique et numérique.
Lorsque ce plan fonctionne, il permet d’améliorer le service client, l’engagement de la marque et, ultimement, les ventes. Mais en cas d’échec, les clients peuvent se sentir confus et découragés.
Dans le cas de M. Butler, le vendeur aurait pu vérifier la rupture de stock de l’article sur un ordinateur et faire expédier son joint au magasin, ou le faire livrer à son domicile.
« Ça n’encourageait pas particulièrement à se déplacer au magasin », a souligné M. Butler. « Ça envoie assez explicitement le message que je devrais simplement aller en ligne. »
Markus Giesler, professeur agrégé de marketing à la Schulich School of Business de l’Université York, a noté que le fait que des acheteurs se fassent dire de « simplement aller en ligne » était symptomatique d’un problème avec la stratégie de vente au détail concernant la coexistence des magasins en ligne et physiques.
« Le commerce de détail omnicanal nécessite une coordination extraordinaire entre les différents acteurs et éléments », a-t-il fait valoir. « Les vendeurs sur le terrain doivent être formés et pleinement intégrés à la mission, sinon le résultat est souvent frustrant pour les consommateurs. »
Quelques années de progrès en quelques mois
Une partie du défi auquel sont confrontés les détaillants est la croissance fulgurante des achats en ligne ces derniers mois.
Selon Statistique Canada, les ventes du commerce électronique ont atteint un sommet historique de 3,9 milliards $ en mai, une augmentation de 110 % par rapport au même mois un an plus tôt.
Les achats en ligne ont progressé en quelques mois comme ils auraient dû le faire en quelques années, et certains détaillants et leur personnel doivent parfois se démener pour suivre la cadence.
Mais Karl Littler, du Conseil canadien du commerce de détail, a estimé que les détaillants qui découragent les gens de faire leurs achats dans leur magasin physique devraient être « rares ».
Outre les coûts substantiels liés à l’exploitation des magasins physiques, il a rappelé que les consommateurs avaient tendance à acheter davantage en magasin.
Malgré tout, il a ajouté qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que l’offre en ligne soit plus large.
« Il y a plus de produits disponibles en ligne que n’importe quel magasin physique peut en contenir », a affirmé M. Littler, vice−président principal des affaires publiques du groupe de l’industrie.
Il a ajouté que compte tenu de la croissance rapide du commerce électronique, les détaillants évaluaient probablement l’empreinte physique dont ils ont besoin.
En fin de compte, l’avenir du commerce de détail consiste à intégrer le monde des achats en ligne aux magasins physiques, a poursuivi M. Littler.
C’est quelque chose que le détaillant Canadian Appliance Source tente de perfectionner depuis avant la pandémie de COVID-19.
Terry Robar, directeur des ventes, a souligné que la solide plateforme en ligne de la société avait aidé à la transition vers un modèle entièrement en ligne pendant les confinements.
Les mêmes vendeurs qui aident les clients sur les sites physiques de l’entreprise sont aussi disponibles pour répondre aux questions par l’entremise du clavardage en direct sur le site web de l’entreprise.
« Les appareils électroménagers sont parmi les achats les plus chers que les gens font et nous savons qu’il y a beaucoup de recherches en jeu », a expliqué M. Robar. « Nous voulions avoir un personnel compétent en magasin pour aider les clients en ligne. »
La stratégie contraste avec l’approche en ligne typique, dans laquelle les entreprises sous−traitent la fonction de clavardage en direct à un centre d’appels ou proposent de retransmettre les questions à un vendeur qui fera un suivi plus tard pour y répondre.
M. Robar a indiqué qu’une subdivision intéressante émergeait parmi son personnel de vente, certains préférant toujours l’interaction sociale d’une vente en face à face, tandis que d’autres se sont entièrement adaptés aux ventes en ligne.
Mais il a assuré qu’il y aurait toujours des magasins physiques.
« L’achat d’appareils électroménagers comporte une forte composante “toucher et ressentir”. Nous aurons toujours des emplacements physiques. »