Les concessionnaires font saliver les prêteurs


Édition du 14 Janvier 2017

Les concessionnaires font saliver les prêteurs


Édition du 14 Janvier 2017

Par Claudine Hébert

[Photo : Shutterstock]

Grâce à leurs ventes phénoménales, jamais les concessions automobiles n'auront été aussi attrayantes pour les prêteurs. Depuis les lendemains de la crise de 2008, on assiste à une bataille féroce entre les institutions financières et les manufacturiers. L'objectif : s'emparer du financement automobile des consommateurs... et de celui des opérations des concessionnaires.

Selon la Banque du Canada, les soldes de prêts automobiles représentent aujourd'hui, à eux seuls, plus de 120 milliards de dollars au pays. C'est le double d'il y a dix ans. Et les parts que détiennent les acteurs ont changé. Les manufacturiers, qui finançaient plus de 70 % des prêts des concessionnaires en 2006, représentent désormais moins de 50 % de la source des prêts. BMO, Banque Scotia, RBC, TD, sans oublier Desjardins au Québec, figurent parmi les acteurs qui veulent augmenter leur part du gâteau.

«Les concessionnaires ont désormais beaucoup plus d'options pour négocier leurs emprunts», observe Jean Leblanc, un ancien concessionnaire Hyundai à Châteauguay, devenu consultant et chroniqueur automobile pour le magazine AutoMedia.

Et c'est tout à leur avantage, poursuit-il. Un concessionnaire moyen emprunte en général 5 millions de dollars par année pour financer ses opérations et son inventaire automobile, explique-t-il. «De pouvoir négocier une simple réduction d'un demi-point de son taux d'emprunt peut aisément se traduire par 25 000 $ d'économie par année. Et lorsqu'il s'agit d'un groupe de concessions automobiles, qui dispose de cinq, dix, voire plus de quinze adresses, il va de soi que cette économie devient encore plus substantielle», souligne Jean Leblanc, qui a été concessionnaire pendant 22 ans.

Chez Albi Le Géant, qui regroupe plus d'une vingtaine de concessions automobiles dans les Laurentides et dans Lanaudière, on demeure discret sur les montants des emprunts. Il n'en demeure pas moins que cette guerre entre les institutions financières fait le bonheur du président et propriétaire de l'entreprise Denis Leclerc. «Je peux maintenant faire affaire avec au moins cinq à six prêteurs différents», reconnaît Denis Leclerc. «Certes, cette stratégie réduit mon pouvoir de négocier un meilleur taux. En revanche, j'ai beaucoup plus de latitude pour offrir les meilleurs taux d'intérêt à mes clients», indique l'entrepreneur, qui vend près de 25 000 véhicules par année.

Des taux d'intérêt avantageux

Qu'est-ce qui explique cet engouement des institutions financières pour le prêt d'argent aux concessionnaires automobiles ? «Notre industrie est en pleine expansion, soutient Hugh Williams, directeur des affaires publiques à l'Association canadienne des concessionnaires automobiles (CADA). Encore en 2016, il s'est vendu plus de 1,95 million de véhicules au Canada. Un quatrième record de ventes consécutif. Juste au Québec, l'industrie automobile représente 20,5 % des ventes au détail, soit plus de 22 milliards de revenus.»

Les taux d'intérêt avantageux de 1,9 %, 0,9 %, voire 0 %, font que le prêt automobile sert actuellement à financer plus de 70 % des véhicules neufs par année au pays. En 2007, le prêt finançait à peine 45 % des ventes. Les autres voitures étaient louées (42,4 %) ou achetées comptant (12,6 %).

«Remarquez, pour les banques, il s'agit d'une stratégie lucrative, qui va au-delà du financement des voitures», insiste Jean Leblanc. En vous accordant un prêt automobile, l'institution inscrit votre nom dans sa banque de données. Elle peut ensuite facilement vous courtiser pour d'autres produits, tels que des cartes de crédit, des placements pour votre REER, un prêt hypothécaire ou une assurance vie», indique le consultant.

Chez Desjardins, qui ne veut pas rater le bateau, un programme de financement automobile a justement été mis en place il y a trois ans pour offrir davantage de services aux concessionnaires. «Notre offre comprend le financement automobile, y compris le financement des réparations, l'achat de pneus, le service de paie des employés, sans oublier une aide pour la relève qui veut financer le transfert de l'entreprise», rapporte Jean Defoy.

La part des manufacturiers

Les formules de prêts issues des manufacturiers, que l'on appelle dans le jargon de l'industrie automobile les sociétés captives, n'ont pas dit pour autant leur dernier mot. Selon la firme américaine Experian Automotive, les sociétés Ford, Toyota et Honda figurent encore dans le top 5 des leaders en matière de prêts automobiles en Amérique du Nord. Même GM, qui s'est départie de sa société de financement Ally en 2011 (RBC avait d'ailleurs acheté la filiale canadienne Ally pour la somme de 1,4 milliard), a mis sur pied une nouvelle société captive.

«Le taux des captives est bien souvent 0,25 % plus élevé que celui des banques. En revanche, ce mode financier se veut plus flexible pour les concessionnaires», explique Jean-Claude Gravel, propriétaire du Groupe Gravel, qui possède six concessions automobiles dans le Grand Montréal. Les prêts provenant des manufacturiers, dit-il, vont offrir plus de latitude aux concessionnaires, notamment lors des périodes de pointe au printemps et à l'automne, moments de l'année où les entreprises de location de voiture (Avis, Hertz, Enterprise et compagnie) renouvellent leurs flottes de véhicules. Ce qui entraîne une soudaine augmentation de véhicules d'occasion dans les cours arrière des concessions. «Pour nous aider à gérer cette situation, les sociétés captives vont nous accorder jusqu'à 60 jours pour écouler la marchandise, un avantage qu'on peut difficilement obtenir auprès des banques», soutient M. Gravel.

Depuis trois ans, le regain de volonté des manufacturiers de financer les concessions est palpable, note Jean Leblanc. Bien sûr, pour eux, meilleur est l'inventaire, meilleur est le choix offert aux consommateurs. «Mais n'oubliez pas que les manufacturiers ont, eux aussi, d'autres produits à vendre que des voitures», dit-il. Les garanties prolongées, les services antirouille, les assurances-auto et le service de burinage offerts en partenariat avec des distributeurs exclusifs font partie des produits qui sont devenus aussi profitables, sinon plus profitables, que la vente du véhicule en soi. «Des produits, ajoute M. Leblanc, qui font également grimper le montant du prêt automobile.»

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