Port de conteneurs à Québec: il faut une acceptabilité sociale
François Normand|Publié le 09 octobre 2020Le projet serait favorable à l'ensemble du Québec, même s'il avait un impact négatif sur le port de Montréal, selon lui.
Même si le projet Laurentia de port de conteneurs à Québec est très structurant pour l’économie québécoise, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, affirme qu’il doit avant tout recevoir l’appui de la communauté locale pour espérer aller de l’avant.
«On ne peut pas juste dire: si on a la majorité [de l’appui] du monde des affaires, on le fait pareil. Je pense que cela ne serait pas rigoureux de la part d’un gouvernement», a-t-il déclaré ce vendredi à Les Affaires, en soulignant que son gouvernement était «aussi soucieux» de l’opinion de la population que de celle du monde des affaires.
Actuellement, Montréal abrite l’unique port de conteneurs au Québec, avec un projet d’expansion dans le secteur de Contrecoeur, situé au nord-est de la métropole.
L’Administration portuaire de Québec (APQ) —dont les activités sont limitées actuellement au vrac liquide et solide— veut en construire un second (en eau profonde), avec son projet de nouveau terminal de conteneurs dans le secteur de la baie de Beauport. Il s’agit d’un projet de 775 millions de dollars dans lequel Québec est prêt à investir 90 M$.
Le port de Québec veut ainsi devenir une nouvelle destination pour les grands navires de conteneurs qui relient l’Asie du Sud-Est à la côte est de l’Amérique du Nord, et qui transitent de plus en plus par le canal de Suez (dont des travaux de dragage en 2014 et 2015 ont accru ses capacités) et la Méditerranée.
Si le projet Laurentia reçoit l’aval de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE), les travaux de construction devraient débuter en 2021, pour une mise en service au courant de 2024.
L’APQ planifie un investissement de 775 millions de dollars, et ce, avec deux partenaires privés, Hutchison Ports, un important opérateur d’installations portuaires de conteneurs au monde, et le Canadien National (CN).
Or, le projet suscite de l’inquiétude auprès de citoyens en raison des impacts négatifs appréhendés comme la pollution, le bruit et l’augmentation du trafic de camions dans l’arrondissement La Cité-Limoilou.
Des environnementalistes s’inquiètent aussi de l’impact potentiel du projet sur les milieux naturels de la baie de Beauport, dont le bar rayé. Pêches et Océans Canada estime d’ailleurs que cette espèce de poissons serait affectée si on construisait un terminal de conteneurs en eau profonde, rapportait récemment Radio-Canada.
«La réalisation du projet Laurentia, telle que proposée, aura des impacts importants sur l’habitat du poisson, dans un secteur, qui d’un point de vue biologique et écologique, est très important pour des espèces sensibles», indiquait une porte-parole.
Pierre Fitzgibbon affirme qu’il est conscient de tous ces enjeux.
Pour l’instant, Québec attend l’évaluation de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, qui aura un droit de vie ou de mort sur le projet Laurentia, souligne le député de Terrebonne.
«Si le fédéral dit non, on ne pourra pas le faire. On va être obligé de renoncer à ce projet», dit-il.
Par contre, si l’Agence canadienne d’évaluation environnementale donne son feu vert, le ministre se dit confiant que les parties prenantes au projet puissent trouver un terrain d’entente afin de permettre la construction du terminal de conteneurs.
«Je pense qu’il faut rallier la population. S’il y a une petite minorité qui réclame des choses et qu’on est capables d’avoir des mesures d’atténuation, on irait probablement de l’avant», affirme Pierre Fitzgibbon.
N’opposons pas Québec à Montréal
D’un point de vue économique, le ministre l’Économie et de l’Innovation ne cache pas son enthousiasme pour le projet du port de Québec, tout comme celui de l’Administration portuaire de Montréal à Contrecoeur.
À ses yeux, il ne faut surtout pas les opposer, car ils sont tous les deux importants pour l’avenir économique du Québec. «Ce que j’ai en tête c’est que un plus un égale une somme plus grande que 2», illustre-t-il pour souligner la complémentarité des deux projets.
Pour autant, Pierre Fitzgibbon est conscient qu’un second port de conteneurs à Québec prendra nécessairement une partie du trafic du port de Montréal.
En entrevue à Les Affaires en septembre, le PDG de l’Administration portuaire de Québec, Mario Girard, avait indiqué que le projet Laurentia pourrait faire baisser un peu le trafic à Montréal (moins de 10 %), «car des entreprises en région passeront par Québec pour réduire leurs coûts de camionnage».
Pour justifier son appui au projet Laurentia, le ministre souligne que le Québec n’a pas tiré sa juste part de la croissance du trafic de conteneurs sur la côte est de l’Amérique du Nord entre 2008 et 2019, même si les volumes du port de Montréal ont augmenté de 18%.
Or, durant cette période, les volumes des ports de la côte est américaine (dont Newark/New York) ont progressé de plus du double à 51%, selon les statistiques du port de Québec.
La difficulté de Montréal à tirer pleinement son épingle du jeu tient en grande partie au fait que la métropole n’a pas un port de conteneurs en eau profonde pouvant accueillir les navires Panamax et les post-Panamax, qui transitent de plus en plus par le canal de Suez pour le cargo maritime en provenance de l’Asie du Sud-Est.
Par conséquent, les grands armateurs mondiaux préfèrent passer par les ports américains de la côte est afin de desservir par exemple les marchés des Grands Lacs, le cœur industriel de l’Amérique du Nord.
Voilà pourquoi, selon Pierre Fitzgibbon, l’économie du Québec a besoin d’un second port de conteneurs (en eau profonde) sur le fleuve Saint-Laurent afin de capter une plus grande part de ce trafic de conteneurs, même si cela affecte en partie négativement les activités du port de Montréal.
Accaparer une partie du trafic qui va à New York
«Si on voit une augmentation du trafic asiatique via le canal de Suez, je pense que le Québec pourrait être sur la coche pour prendre ce marché-là afin de ne pas le laisser partir à New York ou en Caroline du Nord», souligne-t-il.
En revanche, il ne faudrait surtout pas que l’Administration portuaire de Montréal renonce à son projet d’expansion à Contrecoeur en raison du projet Laurentia. «Ça ne serait pas une bonne chose pour le Québec», prévient le ministre, qui invite d’ailleurs les deux ports à se parler.
Il rappelle que les ports de Québec et Montréal ont des caractéristiques différentes: le premier est avant tout un point de transit, tandis que le second est avant tout un point destination.
De plus, les deux ports ont des marchés assez différents. Le projet Laurentia vise essentiellement le marché du Midwest américain, tandis que le port de Montréal dessert actuellement la région métropolitaine, le sud de l’Ontario et une partie du Midwest.
D’ailleurs, à l’avenir, le ministre de l’Économie et de l’Innovation estime que les ports du Saint-Laurent auraient tout intérêt à coordonner davantage leurs activités.