Le transport collectif, autant une affaire de gouvernance que d’argent
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑novembre 2024(Photo: Adobe Stock)
CHRONIQUE. L’argent, c’est le nerf de la guerre, dit l’adage, et c’est correct d’en discuter avec force et détermination quand il est question de transport collectif. En effet, les besoins sont énormes, les sommes sont colossales et l’argent est rare. Son financement requiert la collaboration de plusieurs parties prenantes : les municipalités, qui en sont responsables, les régies qui gèrent son exploitation, les citoyens qui l’utilisent ou pas et les gouvernements qui financent les infrastructures.
À part les usagers, dont on se soucie trop peu, les autres parties prenantes s’entendent difficilement sur les solutions optimales. Outre les intérêts des exploitants, ceux des décideurs politiques sont parfois déterminants. Ces derniers aiment mieux couper des rubans que d’entretenir des équipements, a déclaré récemment Luc Tremblay, ex-directeur général de la Société de transport de Montréal (STM).
Celui-ci a fourni trois exemples de décisions mal avisées prises de 2018 à 2021 aux dépens de la saine gestion de la STM, qui avait alors un déficit de maintien d’actifs de 830 millions de dollars (M$) :
1. Québec a devancé de dix ans l’ajout de 300 autobus. Coût de cette décision : plus de 1,2 milliard de dollars (G$) incluant le coût de l’agrandissement des garages. Or, cela n’a pas encore augmenté l’offre de service à cause de la crise budgétaire qui frappe le transport collectif.
2. On a remplacé 17 trains de métro MR-73 alors que la STM avait commencé la rénovation de wagons existants pour prolonger leur durée de vie de 20 ans. Un investissement de près de 500 M$ pour sauver l’usine de La Pocatière.
3. On a décidé d’électrifier les 2000 autobus de la STM, ce qui coûtera plus de 4 G$ sans ajout de service pour les usagers. Ces décisions politiques et électoralistes ont nui au développement de l’offre de transport collectif (fréquence et portée) et à l’entretien de ses infrastructures.
C’est en effet le manque d’entretien préventif du métro qui a entraîné la fermeture récente de la station Saint-Michel. Des fissures dans le béton menaçaient la sécurité des usagers. Une meilleure allocation des ressources aurait pu éviter l’arrêt de service. Mais cette négligence planifiée n’est pas inusitée. On la voit dans des écoles, des cégeps, des universités, des hôpitaux, etc. Ces bris de service, comme la vétusté des infrastructures, minent la confiance des citoyens et se répercutent en des coûts futurs plus élevés.
La vérificatrice générale a beau allumer des feux jaunes, rien n’y fait. Les comptables de la CAQ, qui avaient promis de mieux gérer l’État, ont envoyé des chèques préélectoraux, ont baissé les impôts par opportunisme et ont utilisé la carte de crédit pour régler les conventions collectives du secteur public, au lieu de colmater une impasse de 11 G$ qu’ils n’ont pas vue venir dans les finances publiques. Pris de panique, ils coupent maintenant sans ménagement et de façon arbitraire dans l’ensemble des missions de l’État, y compris en santé, en éducation et jusque dans la francisation des immigrants, dont on devait prendre soin.
Transport collectif
Mais tout n’est pas noir. Le transport collectif, qui a souffert de la pandémie, bénéficiera bientôt d’une entente de refinancement (on parle de 2,5 G$ d’ici 2028), mais on n’en connaît pas encore les détails. Autre bonne nouvelle, Québec a confié à CDPQ Infra la maîtrise d’œuvre du projet de tramway de Québec et la planification de sa première phase. Mais son financement n’est pas attaché. De plus, Pierre Poilievre, dont l’élection semble souhaitée par François Legault, pourrait changer la donne s’il devient premier ministre. Celui-ci a déclaré qu’il ne mettrait « pas une cenne dans ce projet-là », préférant financer des autoroutes et le troisième lien de la CAQ.
Ce discours autoroutier fait des émules. Le premier ministre ontarien, Doug Ford, dit vouloir construire un tunnel de 59 km sous l’autoroute 401, réduire la taxe sur l’essence et éliminer des pistes cyclables à Toronto.
À Montréal, le prolongement de la ligne bleue du métro a débuté, une première en 20 ans. Mais comme on manque d’argent, le projet de transport structurant espéré sur le boulevard Taschereau entre Longueuil et Brossard est retardé. On réfléchit sur un service rapide par bus (SRB), moins coûteux qu’un tramway.
Projet de société
Au lieu d’agir par à-coups, les États qui ont fait du transport collectif un projet de société construisent constamment des infrastructures. On étend la portée du réseau et on améliore le service graduellement, de façon à le rendre toujours plus utile et attrayant pour les usagers. On rend ainsi l’automobile moins nécessaire et moins attirante, ce qui désencombre les rues et réduit les GES.
Cette vision implique aussi que l’aménagement du territoire privilégie le transport collectif à la construction d’autoroutes et à l’étalement urbain. On planifie ensemble le développement du transport collectif et le développement immobilier. À Montréal, on a développé le métro sans penser au développement d’ensembles immobiliers à forte densité, comme on le fait à Brossard actuellement (projet Solar et site Panama) le long du REM. Il faut développer des projets semblables ailleurs le long de la ligne du REM, le long des corridors de SRB et près des stations de métro.
Un gouvernement clairvoyant, visionnaire et soucieux de l’environnement prendrait aussi des mesures fiscales pour décourager l’achat et l’utilisation de véhicules polluants, freinerait l’étalement urbain et protégerait mieux les terres agricoles. La voiture électrique est certes préférable à la voiture à essence, mais elle encombre toujours les routes. Selon une étude de HEC Montréal, le coût social total d’utilisation d’une voiture qui parcourt 20 km par jour à Montréal est de 15 000 $ par année. On n’y pense pas assez.
Malheureusement, le gouvernement Legault a du mal avec cette vision, comme l’indique la relance du projet du troisième lien autoroutier, une promesse tour à tour improvisée, abandonnée, puis réanimée, dont CDPQ Infra n’a pas vu l’utilité.
Les décideurs publics devraient écouter davantage les experts, ce qui permettrait de prendre de meilleures décisions. De leur côté, les gestionnaires des sociétés devraient sonder davantage les usagers pour s’assurer d’offrir un service optimal en tout temps. Le transport collectif remplirait mieux sa mission.
J’aime
La Banque du Canada a accéléré le tempo de réduction de son taux directeur en le baissant de 50 points de base, à 3,75 %. C’est 125 points de moins qu’en juin dernier. Puisque l’inflation a chuté à environ 2 %, on peut anticiper d’autres réductions importantes (encore 50 points de base en décembre), ce qui favorisera la relance de l’économie et soulagera les entreprises, les personnes qui ont des marges de crédit et les emprunteurs hypothécaires qui doivent renouveler un prêt.
Je n’aime pas
Alors qu’il ne veut pas de religion dans les écoles, François Legault refuse d’interdire les écoles religieuses et d’abolir les privilèges fiscaux dont elles bénéficient. Selon un dossier de Francis Vailles (La Presse, 25 octobre 2024), 11 écoles religieuses québécoises bénéficient de l’avantage fiscal des organismes de bienfaisance pour la partie des droits de scolarité reçus pour l’instruction religieuse. Ces écoles sont reconnues comme des organismes de bienfaisance par les ministères du Revenu du Canada et du Québec. Les écoles privées non religieuses sont aussi des organismes de bienfaisance reconnus. Celles-ci peuvent donner des reçus fiscaux pour les dons qu’elles reçoivent, mais non pour les droits de scolarité qu’elles perçoivent pour l’enseignement qu’elles prodiguent.