Entrevue n°254 : Frédéric Mazzella, pdg et fondateur, BlaBlaCar


Édition du 11 Juillet 2015

Entrevue n°254 : Frédéric Mazzella, pdg et fondateur, BlaBlaCar


Édition du 11 Juillet 2015

Par Diane Bérard

«L'entrepreneuriat amène un yoyo émotionnel. Sans partenaire, vos creux seront plus longs» - Frédéric Mazzella, pdg et fondateur, BlaBlaCar.

La plateforme française d'autopartage BlaBlaCar existe depuis 2004. Plus de 20 millions de passagers de 19 pays en profitent. Mais pas les Québécois. Même si la consommation collaborative gagne en popularité, le fondateur de BlaBlaCar, Frédéric Mazzella, estime que l'Amérique du Nord est moins propice à l'autopartage que l'Europe.

Diane Bérard - Quels services votre entreprise offre-t-elle ?

Frédéric Mazzella - Nous sommes une plateforme d'autopartage née en France, qui compte 20 millions de membres dans 19 pays. Nous optimisons les places dans les véhicules. Si vous prévoyez faire un trajet de plus de 100 km et qu'il y a des places libres dans votre véhicule, nous vous permettons de louer ces places pour partager les frais.

D.B. - D'où viennent vos revenus ?

F.M. - Nous prélevons une commission sur le montant de chaque trajet, soit 99 centimes plus 10 % de la course.

D.B. - Comment vous assurez-vous que les conducteurs réclament un juste prix ?

F.M. - BlaBlaCar suggère un prix qui correspond, environ, au coût de l'essence et des péages, divisé par trois. Le conducteur peut ajuster ce montant selon son type de voiture et sa consommation d'essence. Toutefois, aucun conducteur ne peut exiger un prix supérieur à plus de 50 % de celui que BlaBlaCar propose.

D.B. - D'où vient le joli nom de votre entreprise ?

F.M. - Il fait référence à la tendance à parler un peu (bla), pas mal (blabla) ou beaucoup (blablabla) pendant les trajets en auto. C'est une des caractéristiques propres à chaque passager que nous recueillons comme l'habitude de fumer, par exemple.

D.B. - Vous jouez dans les mêmes eaux qu'Uber. Ne craignez-vous pas d'être ciblé par l'industrie du taxi ?

F.M. - Pas du tout, notre service n'a rien à voir avec celui d'Uber. Les conducteurs qui s'inscrivent sur notre site feront le trajet de toute façon. Ils souhaitent simplement réduire leur frais en optimisant les places disponibles dans leur véhicule. À l'opposé, tous les trajets qu'effectuent les conducteurs d'Uber résultent d'une requête d'un client. C'est un système de transport à la demande. Sans demande, pas de course.

D.B. - Et vos chauffeurs ne reçoivent qu'une indemnité tandis que ceux de Uber sont rémunérés...

F.M. - Aucun de nos trajets ne permet au conducteur de tirer un profit. Il s'agit d'un partage de frais. D'ailleurs, en France, le covoiturage est défini légalement. Pour les chauffeurs d'Uber, chaque trajet est une source de revenu. Il s'agit d'une activité professionnelle nécessitant une déclaration de revenus.

D.B. - BlaBlaCar a-t-elle rencontré de la résistance ?

F.M. - Pas vraiment. Peut-être un peu de la part des compagnies d'autobus.

D.B. - Comment vous y prenez-vous lorsque vous pénétrez un nouveau marché ?

F.M. - On lance toujours notre service sans monétiser, pour réduire l'investissement et les risques en attendant d'atteindre une taille critique. Tant que nous n'avons pas entre 50 et 100 trajets proposés sur un axe, les passagers paient directement le conducteur. Et ils doivent se parler au téléphone pour fixer les détails de la rencontre. Lorsqu'il y a suffisamment de trafic, tout se passe sur la plateforme, aussi bien la réservation que le paiement. À la fin du trajet, le conducteur reçoit par virement ce que lui doit chaque passager.

D.B. - BlaBlaCar n'est pas présente au Canada ni aux États-Unis. Pourquoi ?

F.M. - Nous avons évalué le marché canadien et le marché américain pour découvrir qu'il existe plusieurs obstacles au covoiturage en Amérique du Nord. Chez vous, les frais d'essence et de péage sont beaucoup plus bas qu'en Europe. L'incitation des conducteurs à partager n'est donc pas aussi forte. De plus, les villes sont plus étalées qu'en Europe et les transports en commun, moins performants. Cela force les conducteurs à faire le tour de la ville pour récupérer des passagers au départ et un autre tour à l'arrivée pour les déposer. Ces obstacles ne nous empêcheront pas d'essayer de percer votre marché. Toutefois, pour l'instant, d'autres régions géographiques sont plus faciles et plus propices au covoiturage. [Le Québec compte le site de covoiturage AmigoExpress.]

D.B. - Votre entreprise se situe dans l'économie du partage, un secteur dont la définition semble de plus en plus élastique...

F.M. - En principe, l'économie du partage repose sur des ressources chères partagées et utilisées à plusieurs. Il ne m'appartient pas de décider de ce qui fait partie de l'économie du partage et de ce qui n'en fait pas partie, mais je dirais qu'il existe trois niveaux. D'abord, le pur partage : c'est le cas de BlaBlaCar, car le trajet se fait de toute façon. Ensuite, airbnb, qui constitue parfois du partage, parfois de la location à profit, selon la nature du propriétaire et de la propriété. Finalement, Uber, où il n'est pas question d'optimisation et où le conducteur est rémunéré.

D.B. - Pourquoi utilise-t-on les services de BlaBlaCar ?

F.M. - La première fois, c'est purement pour économiser. Ensuite, parce que les longs trajets en auto sont plus sympathiques à plusieurs.

D.B. - Vous êtes entrepreneur depuis 2004. Comment s'est déroulée l'aventure ?

F.M. - Un jour sur deux, vous vous dites que vous changez le monde avec votre idée. Le lendemain, vous êtes convaincu que vous ruinez votre vie ! Pensez-y, combien de postes exigent que vous travailliez pendant cinq ans sans rémunération ? Aujourd'hui, je vis de mon métier d'entrepreneur. Mais il m'arrive encore de connaître ce sentiment d'impuissance, lorsque certains dossiers n'avancent pas aussi vite que j'aimerais, par exemple.

D.B. - Que trouvez-vous le plus exigeant ?

F.M. - De s'adapter pour toujours répondre au besoin réel des clients. Offrir le produit le plus contemporain. En ce moment, nous vivons très fort la pression du mobile. Dans certains pays, la moitié de nos clients consomment notre service sur leur portable.

D.B. - Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs qui débutent ?

F.M. - Si vous voulez franchir tous les obstacles qui se dresseront devant vous, il vaut mieux choisir un service ou un produit que vous utilisez ou que vous utiliseriez. Sinon, ce sera trop difficile. Vous allez vous décourager. Pour tenir le coup pendant les premières années de BlaBlaCar, alors que nous tentions de nous tailler une place, je me répétais «j'utilise le covoiturage, je ne suis pas un individu étrange. Si je veux ce service, d'autres personnes le veulent aussi».

D.B. - Vous ne croyez au cavalier solitaire...

F.M. - Surtout pas ! Ne tentez pas de vous lancer en affaires seul. L'entrepreneuriat amène un yoyo émotionnel. Sans partenaire, vos creux seront plus longs et prononcés. Il est rare que les états d'âme des deux associés soient synchronisés. Comme si on sentait le besoin d'être fort quand l'autre doute et vice versa. Avec un partenaire, vous émergez plus rapidement de vos creux.

D.B. - Quel est votre prochain défi ?

F.M. - Je ne vais pas vous dévoiler ma stratégie...

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