Le luxe au fond des bois

Publié le 21/07/2012 à 00:00

Le luxe au fond des bois

Publié le 21/07/2012 à 00:00

La forêt boréale québécoise recèle des joyaux que nous envie le monde entier. Des pourvoiries où le luxe côtoie la rusticité, pour le plus grand plaisir des chasseurs fortunés et des propriétaires prospères.

Caribou, cerf, ours, saumon... Le Québec est le terrain de chasse et de pêche privilégié de nombreux visiteurs américains et européens au portefeuille bien garni. Un marché de 110 millions de dollars qui a toutefois eu tendance à s'effriter ces dernières années.

Chaque année, des stars d'Hollywood ainsi que des pdg d'entreprises américaines et européennes débarquent au Camp Bonaventure, en Gaspésie. À l'ouverture, en juin, la douzaine de pêcheurs provenaient de Los Angeles, de Manhattan, de Boston, de Philadelphie, de Salt Lake City, de Toronto, et de Paris. «En fait, plus de 75 % de notre clientèle provient de l'extérieur du Québec», note Glenn LeGrand. Cet ancien contrôleur au CN de 50 ans n'a jamais regretté d'avoir quitté son emploi pour devenir copropriétaire d'une pourvoirie de pêche à la mouche au saumon de l'Atlantique, en 1995.

Pour attirer ces riches aventuriers, l'entrepreneur et les trois autres actionnaires (deux Néo-Écossais et un Ontarien) n'ont pas lésiné. Le Camp Bonaventure jouit d'installations cinq étoiles pour accueillir une douzaine d'invités à la fois. «Nous avons les mêmes matelas que le Ritz-Carlton de New York», glisse le propriétaire. Et l'endroit est fort discret. À peine 20 % des quelque 2 600 résidents de Bonaventure connaissent l'adresse de ce joyau.

Ce sont surtout les fosses à saumon des rivières Bonaventure et des Petite et Grande Cascapédia qui forgent la réputation de cette destination gaspésienne, dont les taux d'occupation et de fidélité frisent les 100 %.

Investir pour contrer la crise

On a parfois tendance à l'oublier : le Québec dispose de nombreux atouts pour attirer les amateurs étrangers de chasse et de pêche, une clientèle sélecte et fortunée. La province se démarque à l'international sur quatre volets : la chasse aux caribous, la chasse aux cerfs de l'Île-d'Anticosti (dont le panache s'est vu attribué une catégorie distinctive par le Safari Club International), la chasse à l'ours noir et la pêche (brochet, doré, truite grise et saumon de l'Atlantique).

Malgré ces attraits, la crise économique n'a pas épargné l'industrie de la chasse et de la pêche au Québec. Évalués à 135 millions de dollars en 2005, les revenus des pourvoiries ont fondu à 110 M$ en 2010. «Une baisse essentiellement attribuée à une diminution de la clientèle américaine touchée par la crise... et l'obligation de se procurer un passeport», soutient Marc Plourde, directeur général de la Fédération des pourvoiries du Québec.

L'industrie redouble donc d'efforts pour courtiser les pêcheurs et les chasseurs américains. Pour renverser la vapeur, plus d'un million de dollars seront consacrés au marketing (salons commerciaux, catalogues, brochures) en 2012 afin d'attirer cette clientèle hors Québec. «Bien qu'ils ne représentent que 25 % de la clientèle totale, ce sont des clients qui rapportent trois fois plus de revenus que le chasseur et le pêcheur locaux», signale Marc Plourde.

Offensive hors des frontières

Parmi les stratégies déployées, la fédération cible les magasins Cabela's, où sera distribuée sa brochure anglophone. Coté en Bourse, ce détaillant d'articles et d'équipement de chasse et pêche compte plus d'une trentaine de magasins aux États-Unis, la plupart d'une superficie de plus de 150 000 pieds carrés. Certaines adresses, notamment celles de Kansas City, au Kansas, et d'Owatonna, au Minnesota, figurent même parmi les attractions touristiques les plus visitées de leur État respectif.

Autre bon coup, la FPQ pourrait être l'invitée d'honneur du légendaire Game Fair 2013, présenté à la fin de juin à Chambord, en France. Cet événement annuel consacré aux chasseurs reçoit plus de 65 000 visiteurs en trois jours. «Même si ça va mal en Europe, on continue de courtiser ce marché. On veut être là quand la machine va se remettre à fonctionner», conclut Marc Plourde.

L'industrie de la pourvoirie peut rapporter gros à ceux qui savent flairer le vent. Quinze ans après son ouverture, le Camp Bonaventure se hisse parmi les destinations les plus courues de la planète pour titiller le roi des rivières. Avec Salmon Lodge (une pourvoirie voisine achetée il y a cinq ans), l'entreprise génère 1,7 M$ de chiffre d'affaires pour la période de pêche du 1er juin au 30 septembre. Trois emplois à temps plein et une trentaine d'emplois saisonniers découlent de cette entreprise.

Renommée mondiale

Il faut dire que Glenn LeGrand et ses trois partenaires d'affaires disposent d'un avantage concurrentiel de taille. «À peine cinq endroits sur le globe se démarquent pour la pêche au saumon de l'Atlantique : l'Est du Canada, le Royaume-Uni (Écosse et Irlande), la Norvège, la Russie et l'Islande. Et au sein du lot, la Gaspésie dispose des rivières les plus limpides», rappelle le pourvoyeur.

Le Danois Henrik Mortensen, une sommité européenne de la pêche à la mouche, a justement fait du Camp Bonaventure son lieu de prédilection pour produire ses vidéos de pêche. Une excellente promotion permettant de pénétrer le marché européen, qui représente 20 % de la clientèle.

Autre belle vitrine pour le Camp Bonaventure, son association avec le réseau Orvis, un détaillant américain haut de gamme d'équipements et de forfaits de pêche à la mouche. Seulement deux autres destinations québécoises détiennent ce privilège : Fairmont Kenauk, à Montebello, et la réserve Beauchêne, à Témiscaming.

LE FAIRMONT KENAUK, UN CINQ ÉTOILES DANS LE BOIS

L'industrie des pourvoiries du Québec jouit d'un élément distinctif dont aucune autre province ni État américain ne dispose : une pourvoirie gérée par une chaîne hôtelière internationale, Fairmont Kenauk, à Montebello.

«Ça représente un atout considérable sur le plan du marketing, convient Bill Nowell, directeur, récréations et pêcheries de Fairmont Kenauk. En revanche, ce privilège constitue tout un défi sur le plan de la gestion. «Même si on est dans le bois, il faut respecter les standards d'un hôtel cinq étoiles», signale-t-il.

Situé à quelques kilomètres du Fairmont Château Montebello, ce territoire de chasse et pêche totalise plus de 265 km2. Il comprend une douzaine de chalets privés entièrement équipés et une soixantaine de lacs, dont 25 désignés pour la pêche. «On y trouve un vaste choix d'espèces, tel le brochet, les achigans à petite et à grande bouche, la truite mouchetée et la truite arc-en-ciel», dit M. Nowell, qui dirige une vingtaine d'employés, dont une dizaine à temps plein.

Fairmont Kenauk correspond à l'ancien territoire de chasse et pêche du Seigniory Club, un club privé aujourd'hui dissous qui, de 1929 à 1970, réunissait l'élite de Montréal, de Toronto, du Nord-Est américain et de plusieurs pays européens. Le Prince Rainier, la Princesse Grace de Monaco et le duc de Windsor figuraient parmi les membres. Encore aujourd'hui, plus de 65 % de la clientèle de la pourvoirie provient de l'extérieur du Québec, une clientèle principalement américaine.

Les chalets, où le chef de l'hôtel peut venir préparer les repas, affichent régulièrement complets les week-ends pendant toute la saison de la pêche. D'une année à l'autre, 60% des clients pêcheurs reviennent. Mais les plus fidèles demeurent la cinquantaine de chasseurs à l'orignal qui réservent la dizaine de forfaits offerts à l'automne un an à l'avance. Rien d'étonnant, 9 sorties de chasse à l'orignal sur 10 étant couronnées de succès.

LE LEAF RIVER LODGE ÉCHAPPE À LA CRISE DU CARIBOU

Après des années d'abondance, les pourvoyeurs de chasse aux caribous du Nord-du-Québec doivent s'adapter à des diminutions de quotas. Émises en 2011, celles-ci découlent du nouveau cadre de gestion des populations de cervidés. À certains endroits, le nombre de permis a chuté de 75 %. Les pourvoyeurs doivent également composer avec le budget à la baisse de leur principale clientèle, les Américains.

Si plusieurs pourvoiries en sont très ébranlées, les leaders de cette industrie s'en tirent bien. Relativement bien.

«Notre clientèle de chasseurs a tout de même diminué de moitié», concède Alain Tardif, propriétaire depuis 1989 de la Leaf River Lodge, située à la rivière aux Feuilles. Il a déjà reçu jusqu'à 300 chasseurs durant la période de chasse automnale, qui s'étire de la fin d'août jusqu'au début du mois d'octobre.

Sa recette de survie ? «Le service à la clientèle et le taux de succès des chasseurs qui frôle les 100 %», répond d'emblée ce chasseur de caribous depuis les années 1970. Trois à quatre semaines de pêche (omble de fontaine indigène et saumon de l'Atlantique) lui permettent également de s'en sortir.

Le chiffre d'affaires de l'entreprise, qui emploie une dizaine de saisonniers, se maintient à 1,5 million de dollars. Plus de 90 % de la clientèle provient de l'extérieur du Québec. À ce propos, Alain Tardif dit consacrer aisément 100 000 $ par année à la promotion de son produit aux États-Unis ainsi qu'en Europe, qui constitue 5 % de la clientèle. Un nombre en croissance, souligne-t-il.

Accessible seulement par hydravion ou hélicoptère, cette pourvoirie se trouve à 405 km au nord du réservoir Caniapiscau. Les coûts de transport qui ont grimpé ne facilitent pas la tâche du pourvoyeur. «Idem pour le vieillissement et l'embonpoint de la population», ajoute-t-il. De plus en plus de chasseurs qui ont les moyens de se procurer les forfaits de chasse (offerts à partir de 5 495 $) n'affichent pas la meilleure forme physique. Or, la chasse aux caribous, qui s'effectue sans mirador, se veut la plus sportive des chasses aux cervidés du Québec. Un autre défi de taille pour l'industrie.

200 000 $

37 % des entreprises du secteur ont un chiffre d'affaires supérieur à 200 000 $ par année. Près du quart d'entre elles font moins de 40 000 $.

425 000

Nombre de visiteurs par année dans les pourvoiries du Québec

600

Nombre de pourvoiries au Québec, dont 350 sont membres de la Fédération des pourvoiries du Québec. Plus de 220 d'entre elles disposent d'unités de quatre étoiles ou plus.

Source : FPQ

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