Phyllis Lambert a façonné sa ville et son milieu

Publié le 19/03/2009 à 00:00

Phyllis Lambert a façonné sa ville et son milieu

Publié le 19/03/2009 à 00:00

Par Pierre Théroux
Le petit quartier montréalais Milton-Parc, près du centre-ville, est passé près de la dénaturation architecturale. Au début des années 1970, de nombreuses maisons victoriennes avaient disparues et d’autres étaient menacées de démolition pour faire place à un gigantesque projet de tours d’habitation.

 

Finalement, seules les deux tours du complexe de La Cité seront érigées. Les citoyens du quartier, appuyés par Phyllis Lambert, ont empêché la métamorphose de ce magnifique quartier historique et permis la rénovation de rangées entières de bâtiments construits au tournant du 20e siècle, les transformant en coopérative d’habitation.

Voilà un des premiers combats pour la conservation du patrimoine bâti menés par Phyllis Lambert à son retour à Montréal, alors qu’elle contribuait à la création de Sauvons Montréal et d’Héritage Montréal. D’où son surnom de Jeanne d’Architecture !

Après avoir participé à d’importantes réalisations d’architecturale ailleurs dans le monde, dont le Seagram Building à New York, la restauration de la synagogue Ben Ezra au Caire et la rénovation du célèbre hôtel Biltmore à Los Angeles, Phyllis Lambert a grandement contribué à façonner le paysage architectural mont-réalais.

Elle met toute son influence, sa notoriété et surtout sa ténacité et sa passion pour l’art, au service de la sauvegarde du patrimoine urbain et à la qualité des projets d’architecture, d’aménagement et de design, en préconisant toujours la consultation publique.

Phyllis Lambert s’est investie dans la préservation de bâtiments patrimoniaux en acquérant personnellement, au milieu des années 1970, la maison historique Shaughnessy, érigée en 1874 et menacée de démolition. Elle y fonde le Centre canadien d’architecture (CCA).

Journal Les Affaires – Qu’est-ce qui a mené à la création du CCA ?

Phyllis Lambert – Quand je travaillais au projet de l’édifice Seagram, j’ai commencé à collectionner des dessins d’architectes. Je m’intéressais à la pensée des architectes à diverses époques, dans différents lieux. C’était fascinant. Puis, j’ai commencé à prendre des photos comme outil d’enquête, toujours pour mieux comprendre l’architecture, la ville. J’avais aussi une collection de livres. L’idée est venue de les rassembler dans un lieu pour que le passé informe le présent et l’avenir.

JLA – Le CCA fête cette année ses 20 ans. A-t-il évolué selon vos souhaits ?

P.L. – Je me rappelle la première exposition, Le Panthéon, symbole des révolutions, sur cette église devenue le temple des grands hommes. Et actuellement, nous présentons une exposition sur les mesures prises partout dans le monde par les gens pour s’approprier la ville, l’améliorer. Le CCA a toujours voulu faire mieux comprendre l’architecture, amener les gens à réfléchir et à se poser des questions, avec la conviction que l’architecture est d’intérêt public.

JLA – Tout en étant devenu un centre d’études de renommée internationale qui attire des chercheurs de partout !

P.L. – Le CCA invite les chercheurs en résidence pour encourager la réflexion et l’action en architecture. Le centre entretient des liens étroits avec les universités pour soutenir la formation.

JLA – Vous avez confié à Mies van der Rohe, un des pères de l’architecture moderne, le mandat d’ériger le Seagram Building à New York. Il est devenu un mentor pour vous. Que vous a-t-il enseigné ?

P.L. – J’ai rencontré un maître. Il dégageait une telle aura... Quand j’ai quitté [l’Université] Yale, je suis allée travailler à son bureau à Chicago. J’y ai appris une façon de raisonner très pointue, tout en voyant très large et en laissant une grande place à l’innovation.

JLA – Pourquoi avoir décidé de revenir à Montréal ?

P.L. – J’avais déjà conçu un bâtiment dans les années 1960, le centre Saidye-Bronfman. Je sentais qu’il y avait d’autres choses à faire ici. Mont-réal est une ville fascinante dont l’histoire se lit dans ses bâtiments. J’ai commencé en la photographiant, c’était une façon de la comprendre.

JLA – Trente ans plus tard, après avoir vous-même influencé le paysage architectural de Montréal, quelle image vous renvoie la ville ?

P.L. – Il y a eu de grands progrès, une nouvelle façon de faire et de voir la ville. On le remarque dans les projets d’aménagement du Quartier international et du Quartier des spectacles, le bâtiment de la Caisse de dépôt et placement. Il y a aussi une volonté de consulter les citoyens, pas seulement les soi-disant experts. Un projet mené par une seule personne, une seule équipe, amène à penser toujours dans la même direction. Mais quand on rassemble des gens aux expériences et aux objectifs différents, on fait souvent des choses plus intéressantes, plus osées.

Phyllis Lambert... l’architecte

Fille de Samuel Bronfman, fondateur de l’empire Seagram, Phyllis Lambert est née à Montréal, en 1927. Elle est titulaire d’une maîtrise en architecture de l’Illinois Institute of Technology de Chicago. Elle a fait sa marque en planifiant la réalisation de l’édifice Seagram de New York, terminé en 1958, premier gratte-ciel construit en acier et en verre. Dans les années 1970, de retour à Montréal, elle fonde Héritage Montréal et projette la création du Centre canadien d’architecture. En 1996, elle établit le Fonds d’investissement de Montréal pour la revitalisation de l’habitat pour les ménages à faible et moyen revenu.

L’artiste

On la décrit comme une militante urbaine, grande dame de l’architecture montréalaise, mécène, rebelle et... mouton noir. « Mouton noir, non je ne dirais pas », dit celle qui, très jeune, rêvait d’une vie d’artiste. Dès l’âge de neuf ans, pour sortir du carcan familial, elle s’adonne à la sculpture et s’y consacrera encore davantage au début de la vingtaine, dans un atelier d’artiste à Paris. Puis, ce sera la photo et l’architecture. À 82 ans, l’adepte de yoga travaille à l’écriture d’un livre sur l’épopée de l’édifice Seagram. « L’art est la valeur fondamentale de la vie », estime-elle.

L’honorée

Phyllis Lambert est titulaire d’une vingtaine de doctorats honorifiques d’universités nord-américaines et européennes. En 1997, elle a reçu le prix Hadrien du World Monuments Fund pour son rôle dans la conservation du patrimoine artistique et architectural mondial. En 2006, le National Building Museum de Washington lui décernait le prix Vincent J. Scully pour sa contribution au design de l’environnement bâti, à la sensibilisation du public et à la sauvegarde du patrimoine architectural. Elle est aussi, entre autres distinctions, Compagnon de l’Ordre du Canada et Grand Officier de l’Ordre national du Québec. P.T.

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