Entrevue n°308 : Ramona Ortega, fondatrice, My Money My Future


Édition du 05 Novembre 2016

Entrevue n°308 : Ramona Ortega, fondatrice, My Money My Future


Édition du 05 Novembre 2016

Par Diane Bérard

«Notre plateforme sert de service marketing aux institutions financières» - Ramona Ortega, fondatrice, My Money My Future.

Les institutions financières rejoignent mal les milléniaux. Encore moins ceux issus des communautés culturelles. Ramona Ortega - diplômée en communication, service social et droit - a imaginé une fintech qui fait le pont entre les milléniaux et les institutions financières. «My Money My Future» éduque ce public et les dirige vers les fournisseurs de produits financiers.

Diane Bérard - Quels sont les services offerts par votre plateforme ?

Ramona Ortega - Nous fournissons de l'information financière et des outils de gestion de finances personnelles aux milléniaux en général, et en particulier à ceux qui proviennent des communautés afro-américaine et latino.

D.B. - Quelle est votre mission ?

R.O. - Nous voulons contribuer à combler le fossé financier lié à la race. Lors de la crise financière de 2008, les foyers afro-américains et latinos ont vu la valeur de leurs actifs fondre de moitié. Pourquoi ? Entre autres parce que leur portefeuille n'était pas assez diversifié. Faute de connaissance des produits financiers, ils ont tout misé sur l'immobilier.

D.B. - Le débat autour d'une hausse importante du salaire minimum est très animé. Pour vous, ce n'est qu'une solution parmi d'autres pour combattre les inégalités.

R.O. - En effet, de nombreux gestes sont suggérés, et posés, pour réduire les inégalités. Un salaire minimum décent en fait partie. Mais si on n'y greffe pas des mesures concrètes, immédiates et accessibles de littératie financière, ce revenu supplémentaire ne permettra pas à ceux qui vont en bénéficier d'améliorer leur sort de façon durable. À quoi bon hausser le salaire minimum si on n'apprend pas aux gens à acheter des produits d'assurance pour protéger leur nouvelle richesse et à mettre de l'argent de côté pour la retraite ? N'oublions pas que le monde a changé, les travailleurs sont de plus en plus responsables de leurs revenus de retraite.

D.B. - Vous divisez le contenu de votre plateforme en quatre sections : apprendre, planifier, croître et profiter. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

R.O. - Apprendre le langage financier pour ne plus être intimidé. Planifier, c'est-à-dire s'organiser. Déterminer ses besoins. Croître, c'est-à-dire investir. Maximiser ses avantages fiscaux aussi, si on est travailleur autonome, par exemple. Quant à la section «profiter», elle invite à explorer sa relation à l'argent. Comment parler de retraite et de testament avec ses parents. Comment parler de partage des dépenses avec son conjoint ou sa conjointe. Mais aussi comment profiter de son argent au maximum. Organiser un mariage ou un voyage sans se ruiner, par exemple.

D.B. - Quel type de contenu est le plus populaire sur votre plateforme ?

R.O. - Tout texte qui contient le mot «rêve». Notre public cible est jeune, il a des ambitions, des projets et des aspirations. Il compte sur nous pour l'aider à les réaliser.

D.B. - Votre contenu est gratuit, d'où tirez-vous vos revenus ?

R.O. - Nous recevons des redevances de la part d'institutions financières dont le nom figure au bas de nos pages. Lorsque vous terminez la lecture d'un texte d'information, vous trouvez des liens vers des institutions qui peuvent vous aider à passer à l'action. L'an dernier, aux États-Unis, les institutions financières ont dépensé 17 milliards de dollars américains en publicité sur des sites comme le nôtre. Notre défi consiste donc à obtenir un taux de conversion élevé de la part de nos lecteurs. Notre contenu doit être suffisamment clair et attirant pour leur donner envie d'entamer une démarche de gestion de leurs finances personnelles.

D.B. - Votre start-up est une pure fintech. Quelle relation entretenez-vous avec les institutions financières, amies ou ennemies ?

R.O. - Nous sommes amies. Les institutions financières ne sont pas naïves. Elles reconnaissent que le marché des milléniaux leur pose un défi. Elles peinent à l'atteindre. Les milléniaux ne font pas confiance aux banques. Ils ont grandi à l'ombre de la crise financière. Cela a été leur premier contact avec ce secteur. Par contre, ils accordent de la crédibilité au contenu qu'ils trouvent en ligne. Pour eux, Internet est une source naturelle d'information. Et puis, ils ne sentent pas le besoin d'une rencontre face à face avec un conseiller. Tout cela procure un avantage aux fintech comme la nôtre. Les institutions financières le savent, ce qui explique qu'elles se rapprochent des fintech.

D.B. - Comment votre plateforme collabore-t-elle avec les institutions financières ?

R.O. - La relation est à définir. Nous en sommes à explorer ce que chacun peut apporter à l'autre. Ainsi, j'ai donné un atelier sur la création de contenu à un groupe chez American Express. J'ai expliqué comment élaborer une stratégie de création de contenu efficace. Éventuellement, les institutions financières pourraient nous sous-traiter leur contenu de finances personnelles qui s'adresse aux milléniaux. En fait, nous pourrions développer un contenu de littératie financière pour les milléniaux en général, avec une partie destinée aux différentes communautés culturelles, que nous fournirions en marque blanche [white label] - notre nom n'apparaîtrait nulle part - à diverses institutions financières.

D.B. - Pouvez-vous nous donner un exemple ?

R.O. - La société d'investissement Fidelity a développé un programme de bien-être financier destiné à ses employés. Ce programme inclut de nombreux microsites, dont un pour les milléniaux. La réalité, c'est que peu d'entre eux auront le réflexe de visiter le site de Fidelity. Ça ne leur ressemble pas. Il faut leur offrir une autre porte d'entrée. C'est la fonction que remplit un site comme le nôtre. En fait, je nous vois comme le service de marketing des institutions financières lorsqu'il est question de la clientèle des milléniaux. Nous sommes le pont qui mène la génération du millénaire vers le secteur financier.

D.B. - Pourquoi avez-vous choisi le secteur de la littératie financière ?

R.O. - Ma famille a émigré aux États-Unis il y a trois générations. Notre situation financière a toujours été précaire. Nous avons toujours travaillé, mais nous ne nous sommes jamais enrichis [working poor]. Je suis la première diplômée de l'université. Cette connaissance doit servir à ma communauté. J'ai d'abord travaillé en service social et du côté des droits de l'homme. Puis, je me suis rendu compte que, pour que mon action porte, pour que mes solutions contribuent vraiment à réduire les inégalités, il fallait que je découvre ce qui influence la richesse et la pauvreté. Cela supposait comprendre le fonctionnement des marchés et de l'économie. J'ai donc étudié en droit, avec une spécialisation en droit des entreprises. C'est cette combinaison d'expertise qui m'a menée à lancer My Money My Future. En fait, je suis revenue aux racines de mon action en droits de la personne, avec des connaissances supplémentaires pour proposer des solutions.

D.B. - Nous assistons à la montée des robots conseillers. Assisterons-nous à la disparition pure et simple des conseillers financiers ?

R.O. - Je ne sais pas. Ce que je peux affirmer, par contre, c'est que la plupart des Américains n'ont pas de conseillers financiers. Sauf s'ils y ont accès par leur employeur. En sachant que la plupart des Américains ne paieront pas pour un conseiller financier, il est essentiel de trouver une autre façon de développer leurs connaissances en finances personnelles. D'où la pertinence de sites comme le nôtre. Et puis, pour la plupart des conseils financiers, vous n'avez pas besoin de rencontrer un conseiller. Il vous suffit d'avoir accès à de l'information claire et à des outils conviviaux.

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