Entrevue n°272 : Alain Mérieux, président, Institut Mérieux


Édition du 16 Janvier 2016

Entrevue n°272 : Alain Mérieux, président, Institut Mérieux


Édition du 16 Janvier 2016

Par Diane Bérard

«Comme patron, on peut très bien être mo.ndialiste et patriote» - Alain Mérieux, président, Institut Mérieux. [Photo : Stéphane Audras]

L'Institut Mérieux est numéro un mondial des vaccins et spécialiste en santé publique. Fondé à Lyon en 1897 par le grand-père de l'actuel président Alain Mérieux, l'Institut emploie plus de 13 000 personnes dans le monde. La famille Mérieux est aussi à l'origine du Centre Jacques Cartier, qui encourage les échanges économiques entre Lyon et Montréal. Alain Mérieux est aussi un grand sinophile. En mars 2014, le président chinois Xi Jinping l'avait d'ailleurs rencontré avant le président de la République.

Diane Bérard - L'Institut Mérieux est un poids lourd du secteur de la santé publique. En quoi consistent vos activités ?

Alain Mérieux - Nous oeuvrons dans le diagnostic des maladies infectieuses et les tests de sécurité biologique alimentaire. Notre division BioMérieux s'assure qu'il n'y a pas de pollution biologique dans votre assiette.

D.B. - Qui sont vos clients ?

A.M. - Ils sont gigantesques ou très petits. Notre clientèle naturelle se compose des grands laboratoires mondiaux d'analyse. Mais, depuis quelques années, on voit émerger des POL [physician office laboratory] et des POC [point of care]. Ces cabinets médicaux possèdent de petits laboratoires pour diagnostiquer eux-mêmes les pathologies de leurs patients. C'est une évolution vers une médecine plus décentralisée prise en charge par des regroupements de médecins. Cette tendance se développe rapidement aux États-Unis et en Allemagne.

D.B. - Quels défis particuliers devez-vous relever du fait que vos clients sont gigantesques ou très petits ?

A.M. - Les gros laboratoires sont entièrement automatisés. Ils exigent que nous le soyons aussi. Les petits regroupements de médecins, quant à eux, désirent une approche plus personnalisée. Nous devons offrir les deux et naviguer avec aisance de l'un à l'autre.

D.B. - Pourquoi votre expertise est-elle de plus en plus sollicitée ?

A.M. - Nous assistons à une recrudescence de maladies infectieuses qu'on croyait disparues. Et parallèlement, à une montée de la résistance aux antibiotiques. La tuberculose, par exemple, revient en force. On relève des cas en Europe de l'Est, en Chine, en Inde et en Afrique.

D.B. - Vos activités vous ont mené dans des dizaines de pays. Mais vos liens avec la Chine sont si étroits qu'en 2014, le président Xi Jinping a effectué son premier arrêt français non pas à Paris, mais à Lyon, pour vous rencontrer. Qu'est-ce qui vous unit à la Chine ?

A.M. - Mes liens avec la Chine remontent à 1978. À cette époque, j'ai présenté nos vaccins devant la communauté scientifique chinoise réunie à Beijing. En 1986, alors que j'étais premier vice-président de la région Rhône-Alpes responsable de l'international, j'ai négocié un accord de coopération avec Shanghai. Cela m'a permis de rencontrer le maire [Zhu Rongji, qui est devenu premier ministre en 1998] ainsi que les dirigeants du Parti communiste. En 2005, j'ai fait la connaissance du président Xi Jinping et j'ai travaillé étroitement avec la première dame, très préoccupée par les enjeux de santé. Cela explique la visite de courtoisie de Xi Jinping en mars 2014.

D.B. - Vous avez contribué à l'ouverture du seul laboratoire médical P4 en Chine, à Wuhan. De quoi s'agit-il et quelle a été votre contribution ?

A.M. - Un laboratoire classé P4 est suffisamment sécurisé pour qu'on puisse y travailler sur des microorganismes très, très dangereux [taux de mortalité élevé en cas d'infection]. Le projet du laboratoire de Wuhan remonte à 2004, à la suite de l'épidémie du SRAS, une infection respiratoire. On a créé un comité franco-chinois sur les maladies infectieuses. Je suis entré en scène en 2008, pour accélérer le projet Wuhan et venir à bout des résistances. Nous avons remis les clés du laboratoire aux autorités chinoises à la fin de janvier 2015. L'accréditation devrait suivre en 2016.

D.B. - Dans cette collaboration franco-chinoise, les résistances sont surtout venues de la France. Expliquez-nous...

A.M. - Replacez-vous en 2008, la Chine faisait encore peur. Pour plusieurs, un laboratoire sécurisé P4 ouvrait la porte au déclenchement d'une guerre biologique. Il a fallu que je donne pas mal de ma personne pour vaincre les peurs et les résistances.

D.B. - Poursuivons sur la Chine, puisque vous la connaissez bien. Quel est son principal atout ?

A.M. - Ma réponse vous surprendra peut-être, mais je dirais qu'il s'agit de la gouvernance claire et forte que lui donne son parti unique. Et puis, pour avoir connu plusieurs dirigeants du parti au fil des ans, je peux affirmer que la Chine compte de nombreux politiciens remarquables. Le ministre de la Santé, par exemple, le Dr Zhu Chen, est un grand scientifique. Et ces politiciens sont fort conscients des enjeux qu'ils ont à relever.

D.B. - Quelle est la plus grande réussite chinoise des dernières années ?

A.M. - Je vais parler de ce que je connais le mieux, l'accès aux soins de santé. Dans les années 1970, la Chine était ravagée par la famine. Aujourd'hui, 97 % des Chinois ont accès aux soins de santé essentiels.

D.B. - Et quel est son grand défi ?

A.M. - La Chine doit créer une économie qui augmente le pouvoir d'achat de ses citoyens. Les dirigeants misent sur le retour des «Routes de la soie». Ces voies - terrestres, maritimes, aériennes - permettraient à la Chine de recréer une sphère d'influence pour exporter ses produits dans les régions limitrophes et à l'étranger.

D.B. - Vous êtes influent en Chine, mais vous ne négligez pas pour autant votre région, Rhône-Alpes. Parlez-nous de la création de la COMUE.

A.M. - La COMUE, c'est la Communauté d'universités et établissements qui réunit les universités et les grandes écoles de notre région. Nous avons vaincu les susceptibilités pour réunir tout le monde sous un même drapeau. La COMUE est une initiative de la Fondation pour l'Université de Lyon, dont j'ai été président jusqu'en décembre 2015. Outre la COMUE, la Fondation a favorisé le rapprochement des milieux industriel, universitaire et politique. Nous voulons ouvrir nos maisons d'enseignement sur le monde. Nous allons multiplier les échanges d'étudiants et de professeurs. Nous avons d'ailleurs des liens avec Montréal et Ottawa.

D.B. - La région Rhône-Alpes regroupe 20 % des entrepreneurs du territoire français. Quel est son secret ?

A.M. - Une partie de la réponse tient peut-être au rapprochement du monde industriel et universitaire. Les entreprises de notre région sont associées à l'effort universitaire.

D.B. - On vous qualifie souvent de «patron patriote». Or, les patrons prennent rarement position sur la place publique...

A.M. - J'ai été éduqué à la notion de service. Ainsi, quand il a été question de rapatrier le siège social de Sanofi Pasteur - qui se trouvait aux États-Unis -, je n'ai pas hésité à m'impliquer. Comme patron, on peut être mondialiste et patriote. Les sièges sociaux sont essentiels à la vitalité d'une région. Comme industriel, il ne suffit pas de le penser ou de le dire. Quand on a le pouvoir d'agir, il faut le faire.

D.B. - Votre fils a étudié à HEC Montréal. Qu'est-ce que vous aimez au Canada ?

A.M. - Le modèle canadien a puisé le meilleur de l'Europe et des États-Unis et a laissé tomber le pire. De l'Europe, il a pris l'intelligence, mais pas le côté ronchon et immobile. Des États-Unis, il a retenu l'agilité et le dynamisme, sans les égarements de Wall Street.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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