Eric Boyko entre en ondes confiant


Édition du 30 Juin 2018

Eric Boyko entre en ondes confiant


Édition du 30 Juin 2018

Par Stéphane Rolland

Eric ­Boyko carbure visiblement à l’adrénaline et a parlé à Les Affaires avec enthousiasme de sa transaction transformationnelle.

L'incursion de Stingray (RAY.A) sur les bandes AM et FM a été accueillie avec scepticisme par les investisseurs, mais son PDG et fondateur Eric Boyko est convaincu que son entreprise est en mesure de consolider l'industrie radiophonique canadienne en obtenant un rendement attrayant pour les actionnaires. L'entrepreneur nous explique son plan stratégique.

Le fournisseur de services musicaux veut ajouter un segment radiophonique à ses activités, qui comprennent entre autres des chaînes télévisées musicales et la diffusion de musique dans les commerces. Au début mai, la société a annoncé l'acquisition de Newfoundland Capital Corporation (NCC), qui compte 101 stations de radio, pour un montant équivalant à 506 millions de dollars. La transaction devrait être approuvée d'ici la fin de 2018 (au plus tard le 2 mai 2019). L'action a perdu près de 12 % à l'annonce de la transaction et elle s'échange maintenant 20 % sous son prix d'avant acquisition.

La réaction du marché n'ébranle pas la conviction de M. Boyko. Assis dans une salle de conférence où deux chaînes de télévision diffusent des vidéoclips en mode silencieux, l'homme d'affaires explique la transaction dans un débit rapide et énergique. Il carbure visiblement à l'adrénaline et parle avec enthousiasme de cette transaction transformationnelle.

«Nos investisseurs posent de bonnes questions : ils sont nerveux et c'est normal, répond-il. Les marchés sont toujours réticents quand il y a une grosse transaction. On vient de mettre la main sur un actif rare, une entreprise indépendante qui contient une centaine de stations de radio. C'est comme acheter une propriété sur le bord de la mer.»

L'achat d'un «vieux média» a effectivement «surpris» plusieurs analystes. Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux, voit le verre à moitié plein.

D'un côté, la transaction ajoutera près de 37 % au bénéfice par action de l'exercice 2020 (qui se termine 31 mars 2020), estime l'analyste. Les stations de NCC produisent aussi de généreux flux de trésorerie, ce qui permettrait d'accélérer la cadence d'acquisitions et ainsi accroître plus rapidement la taille de l'entreprise.

Par contre, l'analyste est moins enthousiaste quant au potentiel de l'industrie radiophonique. Il note que la radio doit se battre avec de nouveaux concurrents, comme les applications de musique diffusée en ligne et les producteurs de baladodiffusion. Les plus jeunes, pour leur part, sont moins fidèles au poste. Les heures d'écoute chez les Canadiens de 12 à 17 ans ont décliné de 17,2 % en 2016, selon des données du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC). «Stingray entre dans une industrie où il n'y a pas de croissance», prévient M. Yaghi, qui croit que la transaction aura un impact sur l'évaluation du titre puisque le potentiel de croissance de l'acquisition est moins élevé, selon lui.

Lucratives radios

M. Boyko n'est pas sur la même longueur d'onde. Les inquiétudes quant à l'avenir de la radio sont exagérées, selon lui. Elle reste le média le plus populaire aux États-Unis, le marché où l'offre concurrentielle «est plus intense» qu'au Canada. Près de 93 % des Américains écoutent la radio chaque semaine, selon Nielsen, une firme spécialisée dans la quantification des habitudes des consommateurs. Cette proportion arrive à 92 % chez les 18 à 34 ans. Le dirigeant montréalais souligne également l'importance que revêt la radio pour les collectivités en région. «Elle a remplacé le perron de l'Église, raconte-il. Avec les journaux locaux qui disparaissent, on devient le seul diffuseur de contenu local. S'il y a un événement, c'est la radio locale qui va en parler. Ce ne sera pas remplacé par Google.»

Le PDG se défend d'avoir troqué la croissance pour la stabilité des flux de trésorerie d'une industrie mature. Il souligne que les revenus de NCC ont augmenté de 3 % en 2016 et que le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) a avancé de 1,7 % la même année. Il ajoute que l'entreprise est «bien gérée», que son équipe est «économe» et que toutes ses stations sont rentables. «C'est une entreprise qui effectue très peu de dépenses en investissement (immobilisations)», ajoute celui qui se définit d'abord et avant tout comme un comptable plutôt qu'un connaisseur de la musique.

Miser sur la publicité

Outre les activités dans la radio proprement dite, l'acquisition ajoute une autre source de revenus : la publicité. NCC, dont l'équipe de direction restera en poste, apportera une nouvelle expertise qui aidera Stingray à vendre de la publicité sur ses autres plateformes.

La publicité est-elle vraiment une avenue de croissance alléchante au moment où les communications ciblées de Facebook et Google bouleversent le monde publicitaire ? «On n'a jamais tiré de revenus de la publicité, commente-t-il. Nous avons 400 millions d'abonnés télé, mais zéro revenu publicitaire. Quand tu pars de zéro, tu peux juste monter.»

L'homme d'affaires donne en exemple les revenus publicitaires de la chaîne musicale canadienne Country Music Television pour illustrer son propos. La chaîne a tiré des revenus publicitaires de 17 M$ en 2016. «Les montants étaient peut-être plus importants avant, mais, si nous allons juste chercher notre part de marché, nous sommes contents.»

Pour l'instant, la radio souffre beaucoup moins que la presse écrite de la concurrence des géants du Web. De 2011 à 2016, la part de la radio dans les revenus publicitaires est passée de 13,2 % à 11,7 % tandis que les revenus ont baissé de 3,2 %, selon les données de Statistique Canada. Rien de comparable avec les journaux où les revenus ont chuté de 38 % et les parts de marché sont passées de 28,7 % à 16,4 %.

Stingray ne risque-t-elle pas de rebuter des auditeurs qui aiment écouter ses chaînes sans publicité ? «Il n'y aura pas de publicité sur les chaînes audio, assure M. Boyko. Elle ne sera que sur les chaînes de vidéoclips, où les gens sont déjà habitués à en voir sur des chaînes comparables.»

Devenir un consolidateur

La prochaine étape sera de consolider l'industrie radiophonique canadienne. L'homme d'affaires affirme qu'il y a une «centaine d'indépendants» dans l'industrie. La direction de NCC aurait déjà relevé une quarantaine de cibles d'acquisitions potentielles au Canada anglais. «C'est la même chose dans bien des secteurs : de nombreux propriétaires vieillissent et ils sont prêts à vendre», explique-t-il.

Connaissant moins le marché francophone, NCC ne détient pas de station au Québec. M. Boyko veut éventuellement acquérir des stations dans sa province d'origine et sollicitera l'expertise de personnes qui connaissent bien le marché québécois, affirme-t-il «C'est un projet pour le moment où la transaction avec NCC sera terminée.»

Des concurrents bloqués par la réglementation

Stingray n'aura pas à surenchérir contre les Bell, Rogers et Corus pour mettre la main sur des stations indépendantes. Les règles canadiennes concernant la propriété des stations de radio limitent le nombre de stations que peut détenir une même entreprise dans un marché, ce qui, dans la plupart des cas, les empêche d'espérer mettre la main sur ces indépendants. «Ça limite le nombre de stations achetable pour les gros joueurs.»

M. Boyko n'est pas le seul homme d'affaires québécois à avoir la radio sur son écran radar. Québecor s'y intéresserait et se préparerait à lancer une station en ligne, selon des informations obtenues par La Presse. M. Boyko ne craint pas la concurrence de l'empire médiatique de Pierre Karl Péladeau.

En vertu de la réglementation actuelle, une entreprise ne peut détenir que deux des trois médias suivants dans un même marché : radio, télévision et journal. «Si Québecor veut vraiment aller dans la radio, elle va devoir vendre des journaux», dit M. Boyko.

Questionné sur la pertinence de la réglementation actuelle, l'entrepreneur se porte à sa défense. «C'est important que le citoyen ait accès à une diversification des voix. C'est comme ça à plusieurs endroits dans le monde. Il faut la protéger.»

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