Raymond Chrétien - Cette hypothèse est très réelle. C'est certain qu'on se dirige vers une majorité démocrate au Sénat au lendemain des élections, avec 54 ou 55 sénateurs; certains analystes parlent même de 60. Quant à la Chambre des représentants, les démocrates y auront peut-être une vingtaines de députés de plus.
JLA - Quel est le chiffre magique pour les démocrates au Sénat ?
R.C. - À partir de 60 sièges, cela permet d'éviter l'obstructionisme : le Sénat n'est plus neutralisé automatiquement par la Chambre des représentants. Ainsi, quand un projet de loi de la Chambre est présenté au Sénat, une majorité d'au moins 60 sénateurs fait en sorte d'éliminer certaines procédures compliquées qui ralentissent les débats.
JLA - À quoi peut-on s'attendre si les démocrates renforcent leur contrôle sur le Congrès ?
R.C - La grande crise financière et la récession vont sûrement faire en sorte que le prochain Congrès n'aura qu'une priorité : sortir les États-Unis du marasme économique. Et pour ce faire, ils ne vont pas être très ouverts à tout ce qui est étranger. À mon avis, il y aura davantage de protectionnisme. Surtout si le démocrate Barack Obama remporte la course à la Maison-Blanche.
JLA - Comment ce protectionnisme se manifestera-t-il ?
R.C. - Pour sortir le pays du marasme, les démocrates vont sûrement examiner de très près tous les accords de libre-échange des États-Unis, y compris l'Accord de libre-échange nord-américain [ALENA]. Je pense que tous les accords feront l'objet d'une certaine hostilité de la part du Congrès. Et j'irai plus loin : selon moi, le mouvement de libéralisation des échanges pourrait être fortement ralenti, pour ne pas dire arrêté. De plus, un Congrès à majorité démocrate sera plus ferme face aux questions d'intérêt national, et, malheureusement, la relation entre le Canada et les États-Unis en compte beaucoup ! Sécurité à la frontière, immigration, investissements étrangers aux États-Unis, y compris ceux en provenance du Canada... Toutes ces questions vont beaucoup préoccuper le nouveau Congrès américain. C'est inquiétant pour le Canada, mais aussi pour le Mexique.
JLA - Comment le Canada peut-il défendre ses intérêts ? Quelles sont ses cartes maîtresses dans ce jeu diplomatique ?
R.C. - Nous en avons deux : l'énergie et l'Afghanistan. Les États-Unis importent 17 % de leur pétrole et 94 % de leur gaz naturel du Canada. Et du fait de notre présence en Afghanistan, nous avons accès au plus haut niveau décisionnel à Washington, que ce soit à la Maison-Blanche, au Sénat ou à la Chambre des représentants. Il faut en profiter. Par exemple, à la fin d'une rencontre sur l'Afghanistan, rien n'empêche les représentants canadiens d'évoquer d'autres dossiers problématiques à caractère économique.